"Je n'ai pas arrêté de marcher sur des cadavres" : Boko Haram plonge le nord-est du Nigeria dans l'horreur
Des centaines voire des milliers de personnes ont été tuées par les islamistes la semaine dernière. Les témoignages affluent pour raconter leurs exactions.
Après plusieurs jours de fuite éperdue, les survivants de ce qui serait la pire attaque de Boko Haram racontent l'horreur qu'ils ont vécue sur les rives du lac Tchad, dans l'extrême nord-est du Nigeria. De la ville de Baga et une quinzaine d'autres localités dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres, il ne reste presque rien. Elles ont été incendiées, rasées, et les populations qui n'ont pas pu fuir ont été massacrées.
Les attaques ont débuté le 3 janvier et ont duré plusieurs jours. Aucun bilan précis n'est donné pour le moment, mais Amnesty International avance le chiffre de 2 000 morts, quand d'autres, plus prudents, parlent de plusieurs centaines de victimes. Francetv info revient sur ces attaques sans précédent.
Une position stratégique
Baga, 10 000 habitants, s'est développée autour de son marché aux poissons et de sa communauté de pêcheurs. Aujourd'hui, le lac Tchad a reculé, mais la ville est restée le grand carrefour agricole et commercial du nord-est du Nigeria. Elle abritait aussi une caserne de la force sous-régionale supposée protéger les populations contre ce type d'attaques. Mais, depuis plus d'un mois, les troupes nigériennes et tchadiennes s'étaient retirées. Il ne restait que des Nigérians.
Samedi 3 janvier, des dizaines de véhicules chargés de plusieurs centaines de combattants islamistes de Boko Haram déferlent sur cette base militaire. L'attaque, venue simultanément du Nigeria et du Tchad, est coordonnée, affirme le chef de district, Alhaji Baba Abba Hassan, au Daily Trust (en anglais). Les troupes nigérianes sont submergées. Elles prennent la fuite.
"C'est le chaos total"
Les assaillants s'en prennent alors à la ville et aux villages environnants. Cela dure plusieurs jours. "C'est le chaos total", déclare le lendemain de l'attaque, à RFI, un sénateur de l'Etat du Borno, Maina Ma'aji Lawan. "Les gens ne savent plus dans quelle direction fuir ni vers qui se tourner pour être protégés."
Cinq jours après l'attaque, le chef de district affirme que "depuis le jour de l'attaque, ils [les combattants de Boko Haram] n'ont pas bougé d'un pouce. Ils sont dans Baga et ils vont de maison en maison, cherchant les gens et tuant ceux qui n'ont pas de chance." Les habitations sont rasées. Des centaines de corps jonchent les rues de la ville, selon des témoignages recueillis par le site Sahara Reporters (en anglais). Parmi eux, des femmes, des enfants. Personne n'ose les enterrer. Un habitant, parvenu à entrer dans la ville pour aller chercher ses économies, confie à l'AFP, lundi 12 janvier, que "toute la ville empeste l'odeur des cadavres en décomposition". Dans une édition locale de la BBC, un responsable local constate : "Baga est anéantie. Ils ont brûlé entièrement Baga."
La fuite par le lac
Membre d'une milice d'autodéfense, un survivant rencontré par le Premium Times (en anglais) se souvient : "Boko Haram a surgi dans Baga de tous les côtés, tirant, tuant. Nous n'avions pas d'autre choix que de fuir avec les autres." Acculés sur les rives du lac, des centaines d'habitants tentent de s'échapper en bateau, en pirogue, vers les îles du lac. "Nous avons vu un grand bateau qui transportait 25 personnes. Toutes avaient été abattues."
Un autre survivant explique que les assaillants se "couchaient en embuscade dans l'eau et quand une embarcation arrivait avec des habitants tentant de fuir, ils les attaquaient et les abattaient tous." Isolés sur des îles infestées de moustiques, sans nourriture, des rescapés meurent. Ce survivant dit avoir vu beaucoup de corps sur les îles du lac Tchad : "De nombreuses personnes ont été tuées là-bas comme des insectes." Il ajoute que "les tueries n'ont pas duré un jour, mais le premier jour, elles étaient massives, les soldats et les habitants étaient tués. Même après [que les combattants de Boko Haram] eurent pris Baga, ils ont continué à attaquer des villages voisins."
Tenter sa chance en brousse
Quand ils ne fuient pas par le lac, d'autres tentent leur chance en brousse. Les transports sont coupés, les routes dangereuses. Un témoin dit à l'AFP être resté tapi entre un mur et la maison de son voisin, écoutant les massacres autour de lui, sortant la nuit pour "avaler rapidement des graines de manioc, boire de l’eau".
Trois nuits après le début de l'attaque, Boko Haram commence à brûler la ville. L'étau s'est un peu desserré. Le témoin cité par l'AFP en profite, se glisse dans la nuit, en direction opposée des bruits des islamistes, et découvre l'horreur : "Sur cinq kilomètres, je n’ai pas arrêté de marcher sur des cadavres, jusqu’à ce que j’arrive au village de Malam Karanti, qui était également désert et brûlé." Il doit la vie à un vieux berger peul qui lui indique la direction à prendre pour éviter les bandes islamistes. Marchant, courant, il arrive le lendemain à 65 km de son point de départ, avant de prendre un bus pour Maiduguri, à 200 km de Baga.
D'autres, poursuivis en brousse, ont eu moins de chance. Le milicien rencontré par le Premium Times affirme avoir croisé "de nombreux corps, certains en groupes, d'autres seuls, dans la brousse. J'ai vu des enfants et des femmes morts, et même une femme enceinte avec le ventre ouvert."
De nouveaux enjeux
Désormais, Boko Haram, en plus d'avoir remporté une victoire symbolique sur les puissances de la sous-région, contrôle toute une zone stratégique aux frontières de plusieurs pays. Comme le résume le sénateur de l'Etat du Borno : "Vous n'avez qu'à tendre le bras et vous êtes au Niger, vous faites un pas dans une autre direction et vous êtes au Tchad." Quant au Cameroun, Boko Haram a menacé personnellement son président, Paul Biya, le mois dernier. En clair, toute la région risque désormais l'embrasement.
De plus, en prenant possession d'un territoire ayant accès au lac Tchad, l'organisation terroriste s'est dégagée une nouvelle voie de ravitaillement. Des armes en provenance de Libye transiteraient déjà par le lac et Boko Haram dispose désormais d'un point d'atterrissage.
Enfin, cette nouvelle attaque coïncide avec le lancement de la campagne pour les élections législatives et présidentielle de février. Le scrutin ne pourra pas se dérouler dans l'état du Borno, à cause de l'insécurité. Et, pour la première fois depuis le retour de la démocratie en 1999, le Parti démocratique populaire, le PDP, n'est pas assuré de remporter la victoire. Le président Goodluck Jonathan est vivement critiqué pour son incapacité à contenir la menace de Boko Haram, alors que le conflit a fait plus de 10 000 morts en 2014. Il pourrait être battu par Muhammadu Buhari, un ancien général. Un homme qui a la réputation d'être un dirigeant à la poigne de fer.
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