Entre Nollywood et Bollywood, des relations complexes
L'Inde et le Nigeria possèdent deux industries du cinéma qui convergent sur certains points. Pour autant, les similitudes entre Bollywood et Nollywood, et la collaboration entre les professionnels en provenance des deux pays, ne sont pas évidentes... Explications dans The Conversation.
Depuis qu’en 2002 l’industrie cinématographique nigériane a été rebaptisée « Nollywood » par un journaliste américain, grande est la tentation de comparer cette industrie à ses grandes sœurs Hollywood et Bollywood.
Les industries cinématographiques indienne et nigériane sont de plus en plus souvent comparées et opposées à Hollywood ; on souligne volontiers le potentiel de développement d’une collaboration entre les professionnels en provenance de ces deux pays.
Ces discours insistent sur quelques affinités remarquables entre les deux pays et les deux industries, fruit de facteurs historiques spécifiques (dont, notamment, l’expérience de la colonisation britannique), qui ont laissé des traces importantes sur la manière dont le secteur audiovisuel y est structuré.
Cependant, les affinités existantes ne justifient pas entièrement les analogies mentionnées car les similitudes entre Nollywood et Bollywood sont loin d’être simples et directes.
Des réalisateurs nigérians en Inde
Le cinéma indien est très populaire au Nigéria au moins depuis les années 1950. L’émergence de nouvelles chaînes satellitaires entièrement dédiées à Bollywood (telle que la chaîne ZEE-TV) démontrent son succès, en provoquant parfois l’ironie des réalisateurs nigérians et la production des films se moquant de la « folie » des modes engendrés par les films indiens chez les spectatrices nigérianes.
Cependant, l’influence esthétique de Bollywood sur Nollywood reste modeste, à l’exception des films produits dans le nord du pays. En réalité, les interactions les plus importantes entre Nollywood et Bollywood concernent le secteur de la formation.
Pour des jeunes aspirants réalisateurs nigérians, l’Inde est une destination plus abordable que l’Europe ou les États-Unis : il est plus facile d’obtenir un visa, les frais de voyage et d’hébergement sont plus raisonnables et la formation cinématographique, tout étant d’excellente qualité, y est plus accessible.
Les premiers réalisateurs nigérians à aller étudier en Inde l’ont fait dans les années 1990, comme Niji Akanni, considéré comme l’initiateur de ce phénomène, qui a étudié pendant trois ans dans l’une des écoles le plus importantes du pays, le Film and Television Institute of India, à Pune.
D’après lui, des centaines de jeunes nigérians lui auraient emboîté le pas, en s’inscrivant généralement à des cours de quelque mois dans des écoles privées, comme la Mad Arts School, à Chandigarh, dans le Punjab, fréquenté par Chukwuma Osakwe, le réalisateur du film JUDE sorti en 2012 et célébré par la presse comme le premier film résultant d’une collaboration entre Nollywood et Bollywood.
Au cours des dix dernières années, les interactions se sont intensifiées, avec des réalisateurs nigérians invités dans des festivals en Inde (tel que le Woodpecker International Film Festival à New Delhi), des directeurs de la photographie indiens (comme Ramesh Babu Raparthy ou Dev Agarawal) participant à des productions nigérianes (tels que les films Aramotu et Invasion 1897), et des acteurs nigérians invités à jouer dans des productions indiennes (comme Samuel Abiola Robinson, acteur principal de Sudani from Nigeria.
Des tensions sous-jacentes
Cependant, lorsque l’on examine de près ces expériences, un certain nombre de tensions sous-jacentes entre les deux pays et les deux industries apparaissent. L’expérience de formation et de travail de plusieurs réalisateurs nigérians en Inde est marquée par le racisme qui pèse sur les dynamiques de collaboration entre les deux industries. Il est par conséquent parfois difficile de dépasser la méfiance réciproque, héritage d’une époque coloniale dans laquelle Indiens et Africains étaient positionnés à des niveaux différents de la pyramide sociale créée par les autorités britannique.
Niji Akanni, par exemple, à la fin de ses études, aurait bien aimé rester en Inde pour travailler dans l’industrie cinématographique locale, mais après quelques tentatives il a fini par rentrer au Nigéria. Comme il me l’a expliqué au cours d’un entretien,
Il était totalement impossible pour un étranger de pénétrer même dans les marges de l'industrie de Bollywood et il était égalemant presque impossible de fonctionner en tant que réalisateur indépendant dans l'espace du cinéma alternatif indien.
Ce n’est donc pas un hasard si le peu des films nigérians tournés en Inde mettent l’accent sur cette question.
Selon Chukwuma Osakwe, ce sont des problèmes qui influencent de manière importante la relation entre les deux pays et les deux industries cinématographiques. Dans son film J.U.D.E, le protagoniste rencontre cette situation lorsqu’il tombe amoureux d’une femme indienne, mais il est rejeté par sa famille parce qu’il est noir et africain.
Le film de Emem Isong, Love Is in the Hair, se concentre également sur la relation entre un homme nigérian et une femme indienne, avec un regard beaucoup plus ironique sur la complexité de cette relation. Dans le film, le protagoniste masculin Johnny, désireux de séduire la femme nigériane qu’il aime, lui vole une mèche de cheveux pour un rituel qui est censé provoquer son amour. Malheureusement, ses cheveux sont des extensions dont la véritable propriétaire est une femme indienne d’âge moyen qui tombe soudainement amoureuse de Johnny et commence à le pourchasser à travers les deux pays.
Convergences et méfiances réciproques
Les similitudes les plus frappantes entre Bollywood et Nollywood sont en effet le résultat de processus parallèles d’inscription dans des systèmes néolibéraux de production et de distribution des médias qui, ces dernières années, ont poussé les deux industries à formaliser leurs modalités de fonctionnement économique (en termes de production et de distribution), à forger et à consolider des interactions avec les structures de financement nationales et internationales, à verticaliser progressivement leur organisation interne et à se concentrer de manière prioritaire sur des publics élitistes et diasporiques.
Les interactions Sud-Sud qui ont émergé au cours des deux dernières décennies ont joué un rôle très important (et même positif) dans la promotion de la multipolarisation des paysages politiques, économiques et médiatiques globaux. Mais ces mêmes relations ne sont pas épargnées par l’influence d’une dynamique mondiale plus large, dans laquelle des politiques économiques néolibérales agressives et des politiques identitaires radicales ont tendance à évoluer conjointement.
Dans ces contextes, les solidarités, les complicités et les collaborations transnationales et transversales deviennent plus difficiles à réaliser.
Pour autant, des collaborations efficaces et durables sont envisageables. Comme l’a souligné Narender Yadav – directeur d’un festival de cinéma indien qui a programmé plusieurs films nigérians ces dernières années – au cours d’une entretien, les spectateurs de son festival ont beaucoup apprécié certains des films nigérians inclus dans le programme :
Ils pouvaient faire un lien instantané avec les histoires et la musique [des films nigérians]. Même après le festival, nous recevons toujours des demandes pour voir ces films encore et encore
Alors que les téléspectateurs indiens commencent à découvrir les films nigérians, le public nigérian continue à apprécier les films indiens. De nombreux cinéastes nigérians continuent à opter pour des formations courtes et peu coûteuses en Inde. S’ils ne sont pas encore en mesure de développer de solides collaborations avec leurs homologues indiens, ils contribuent à développer un paysage dense d’interactions humaines et professionnelles. Une telle dynamique pourrait faire émerger un marché de coproductions mettant en vedette des stars nigérianes et indiennes.
Des films nigérians tournés en Inde tels que JUDE et Love Is in the Hair constituent l’avant-garde d’un mouvement reliant les deux industries, un mouvement qui, malgré les difficultés soulignées plus haut, pourrait prendre de l’ampleur dans les décennies à venir.
Alessandro Jedlowski, Collaborateur scientifique FNRS, Université Libre de Bruxelles
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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