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Nigeria : la dépollution du delta du Niger mollement engagée

Selon un nouveau rapport d'Amnesty International, les travaux de dépollution annoncés en 2016 ont débuté sur seulement 11% des territoires concernés et aucun site n'est totalement nettoyé.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
"Travaux de réhabilitation en cours. Ne pas entrer", indique la pancarte sur un site en cours de dépollution à Eleme, le 19 février 2019. Un timide début sur l'un des 21 sites concernés par la pollution au pétrole. (YASUYOSHI CHIBA / AFP)

Depuis 2011 et un rapport accablant du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), la pollution par le pétrole du delta du Niger revient régulièrement à la une, tant le dossier progresse avec une lenteur extrême. Le rapport lui-même fixait une échéance lointaine.

"De manière générale, contrer et nettoyer la pollution et catalyser un relèvement durable du pays Ogoni demanderait entre 25 et 30 ans." Or, ce n'est qu'en juin 2016 que le premier programme de dépollution a été élaboré dégageant une première enveloppe de 10 millions de dollars, une somme dérisoire face à l'importance de l'enjeu. On parle en fait d'un milliard de dollars à engager dans la dépollution.

Une double problématique

Car la pollution touche à la fois la zone aquatique et les terres de l'Ogoniland, cette vaste région du delta du Niger. La mangrove et les marécages qui bordent le fleuve ont ainsi piégé, d'année en année, des tonnes de pétrole. Dépolluer des zones souvent très difficiles d'accès prendra du temps et coûtera beaucoup d'argent. 

Les arbres morts tombés dans le fleuve constituent autant de piège pour distiller lentement la pollution par le pétrole. (YASUYOSHI CHIBA / AFP)

Mais sans cela, la dégradation naturelle du pétrole continuera de dégrader la qualité des eaux et la vie aquatique. Des fermes aquacoles ont ainsi dû cesser leur activité en raison de la présence permanente d'une couche d'huile à la surface de l'eau.

Plus d'eau potable

L'autre aspect concerne l'effet sur l'eau potable. Dans certains secteurs, les nappes phréatiques ou les sources contiennent 900 fois plus de benzène que la norme maximale de l'OMS. L'enquête du PNUE a permis de démontrer que dans certains lieux, les sols sont pollués en profondeur, "jusqu’a au moins cinq mètres de profondeur" pour 49 analyses de sol.

Faute d'eau potable, toute vie est interdite dans ces secteurs. "Les scientifiques du PNUE ont trouvé une couche de 8 cm de pétrole raffiné flottant dans la nappe phréatique alimentant ces puits, qui serait liée à une fuite de pétrole s’étant produite il y a plus de 6 ans", explique le rapport.

11% des sites en cours de nettoyage

Le nettoyage a commencé dans 11% des sites pollués identifiés et aucun n'est encore arrivé à son terme. Le programme, annoncé officiellement par le président Buhari en juin 2016, n'a en fait démarré qu'en janvier 2019, à quelques semaines de l'élection présidentielle... Il convient déjà de chercher de l'eau potable à une plus grande profondeur et de débarrasser les terres des résidus, souvent du pétrole désséché, qui rendent impossibles les cultures.

Selon un rapport publié début 2020, la NNPC, société publique nigériane du pétrole, et ses partenaires Shell, Total et Eni ont, au cours des deux dernières années, investi 360 millions de dollars pour nettoyer les cours d’eau et criques de l’Ogoniland.

Shell principal accusé

La compagnie Shell, principal opérateur du secteur, est régulièrement visée par les ONG, tant pour sa responsabilité dans la pollution que pour sa faible implication dans les travaux de dépollution. Shell a reconnu sa responsabilité dans une marée noire en 2008 à Bodo. Elle avait alors négocié un accord financier (60 millions d'euros au total) avec la population locale qui lui a permis d'éviter un procès.

Shell a admis plus de 1 000 déversements de pétrole le long de son réseau d'oléoducs ou sur ses sites d'extraction de 2011 à 2018, affirme Amnesty International. "Shell soutient que la majorité des déversements sont le résultat de vols et de sabotages d’oléoducs", poursuit l'ONG.

Il est vrai que les vols sur les oléoducs, les sabotages, les raffinages sauvages sont monnaie courante dans la région. Car si depuis plus de 50 ans des millions de dollars sortent chaque jour de son territoire, les habitants de l'Ogoniland n'en profitent guère. Exclus de la manne financière, ils ont le sentiment d'être les seuls à subir une exploitation anarchique de la rente pétrolière. La dépollution leur est due, elle participe aussi de la juste redistribution des richesses.

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