Angola : les velléités d'indépendance de la province pétrolière du Cabinda
Depuis son élection en 2017, le président Joao Lourenço s'est bâti une image de dirigeant ouvert et modéré. Mais dans la province du Cabinda , les indépendantistes l'accusent de poursuivre la politique de répression de son prédécesseur José Eduardo dos Santos.
Militant de longue date d'un Cabinda indépendant, Jeovanny Ventura ne mâche pas ses mots. "Ce que l'Etat angolais nous fait subir, c'est de la persécution. Les autorités nous traitent comme des terroristes", a-t-il affirmé à l'AFP. L'ancien président José Eduardo dos Santos pratiquait une politique de répression dans la province septentrionale du Cabinda. "Et cela ne s'est pas amélioré avec Joao Lourenço (le chef de l'Etat élu en 2017, NDLR). Tous ceux de nos militants qui organisent des événements se retrouvent en prison". En janvier 2019, près de 70 partisans du Mouvement indépendantiste du Cabinda (MIC) ont ainsi été arrêtés alors qu'ils préparaient une manifestation pour célébrer le traité de Simulambuco en 1885. Lequel avait fait de l'entité cabindaise un protectorat portugais.
Né du partage colonial de l'Afrique, le Cabinda est un confetti coincé tout au nord du pays entre les deux Congo, tombé sous la souveraineté de l'Angola à son indépendance en 1975. Il est l'une des 18 provinces du pays.
Depuis plus d'un demi-siècle, le Front de libération de l'enclave du Cabinda (Flec) y mène une guérilla contre le pouvoir central angolais. Celui-ci a déployé des milliers de policiers et soldats sur les 7000 km² du territoire. Le dernier coup d'éclat des séparatistes remonte à 2010, ils avaient alors mitraillé un bus de l'équipe de football du Togo, lors de la Coupe d'Afrique des nations (CAN) causant 2 morts.
L'instabilité politique n'a pas cessé depuis. Amnesty International et Human Rights Watch (HRW) y dénoncent régulièrement détentions arbitraires et torture. "Contrairement à d'autres régions d'Angola où on a constaté des progrès en matière de liberté d'expression" depuis l'arrivée au pouvoir de Joao Lourenço, la situation au Cabinda "reste tendue", a expliqué à l'AFP Zenaida Machado, chercheuse à la division Afrique de HRW. "Les militants ne peuvent pas profiter de leurs droits politiques, parce que les autorités les voient comme une menace. Pas un mois ne s'écoule sans détention arbitraire, le droit de manifester est un mirage", ajoute-t-elle.
Du pétrole avant toute chose
La présence au large des côtes du Cabinda d'importants gisements de pétrole explique cela. La province septentrionale fournit 60% du volume d'or noir de l'Angola, deuxième producteur d'Afrique subsaharienne. Mais les 400 000 habitants ne voient pas beaucoup la couleur des pétrodollars générés...
"La population du Cabinda n'a jamais bénéficié de son pétrole", dénonce l'avocat indépendantiste Arao Bula Tempo. "Le taux de chômage atteint 88% et les seules infrastructures qui existent datent de la colonisation. L'Angola ne fait rien ici."
Dès la sortie de l'aéroport de Cabinda, capitale de la province éponyme, l'état des routes en dit plus que nombre de discours. Elles sont inondées au moindre orage, faute de moyens d'écoulement des eaux de pluies. En ville, de nombreux quartiers sont privés d'électricité, d'eau courante et d'assainissement.
En novembre 2018, le président Joao Lourenço a présidé à Cabinda une réunion décentralisée du conseil des ministres. "Je vais personnellement suivre tous les projets de Cabinda afin de pouvoir, dans les années à venir, améliorer la situation", avait-il alors affirmé. A entendre les habitants, ce ne furent que de belles paroles.
"Le gouvernement nous promet régulièrement de nouvelles infrastructures, mais ce ne sont que des mensonges", accuse Carlos Vemba, le secrétaire général du MIC. "Mais la lutte continue. Nous allons tout faire pour (...) défendre notre indépendance", poursuit-il. Le responsable politique et des dizaines de ses partisans ont déjà connu la prison, de deux semaines pour le premier, jusqu'à trois mois pour une quarantaine d'autres, finalement libérés sans la moindre charge.
"Tout le monde dit Flec, Flec, Flec"...
"La situation politique est catastrophique, parce que le gouvernement angolais ne veut pas nous parler", regrette Alexandre Kwang N'sito, de l'Association pour le développement de la culture et des droits de l'homme (ADCDH). "Je dialogue avec tous les partis d'opposition", lui rétorque le gouverneur de la province, Eugenio Laborinho. "La situation est calme et sous contrôle. Il y a bien un peu d'agitation sociale autour du chômage, mais c'est tout. Tout le monde dit Flec, Flec, Flec, (Front de libération de l'enclave du Cabinda, NDLR) mais moi je ne l'ai jamais vu", poursuit-il.
Le Front affirme régulièrement tuer des soldats lors d'embuscades. Des attaques que les autorités de Luanda s'appliquent à ne jamais confirmer, rendant toute vérification quasi impossible.
Ces dernières années toutefois, les communiqués de victoire du Flec se sont fait plus rares. "Notre volonté de défendre le Cabinda contre la colonisation angolaise est intacte. Nous sommes ouverts au dialogue, mais le gouvernement de Luanda ne veut pas négocier une solution qui l'obligerait à reconnaître les droits du peuple de Cabinda", assure le porte-parole du Flec, Jean-Claude Nitza.
En dernier recours, le Flec vient de demander la médiation du président de la République démocratique du Congo voisine, Félix Tshisekedi. Une demande qui n'a reçu, à ce jour, de réponse, ni de Kinshasa, ni de Luanda.
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