L'Ethiopie en deuil national après une série d'assassinats politiques
Les drapeaux étaient en berne dans le pays le 24 juin 2019.
Le chef d'état-major de l'armée nationale et de hauts responsables de la région Amhara (nord-ouest) ont été assassinés le 22 juin 2019, au cours de deux attaques séparées et considérées par les autorités comme une tentative de renverser le gouvernement de cette région.
Considéré comme responsable de ces deux attaques, le chef de la sécurité de la région Amhara, le général Asaminew Tsige, a été abattu deux jours plus tard, a annoncé la télévision EBC, proche du pouvoir. Le général Asaminew, selon cette source, "qui était en fuite depuis le coup d'Etat manqué de ce week-end, a été tué par balle dans le quartier Zenzelma de Bahir Dar", ville du nord-ouest de l'Ethiopie.
Dans une déclaration lue par un présentateur à la télévision nationale, le président de la chambre basse du Parlement éthiopien a regretté les assassinats politiques. "C'est un jour triste pour toute la nation, nous avons perdu des patriotes", a-t-il déclaré.
Le ministre de la Défense, Lemma Megersa, a assuré que ces événements ont mis "dans une position difficile" le deuxième pays le plus peuplé d'Afrique (plus de 100 millions d'habitants).
De fait, ces deux attaques sont un coup de taille porté à l'agenda réformiste et progressiste du Premier ministre Abiy Ahmed.
"Tentative orchestrée de coup d'Etat"
Dans la nuit du 22 au 23 juin, le bureau du Premier ministre avait assuré qu'une "tentative orchestrée de coup d'Etat s'est produite contre l'exécutif du gouvernement régional de l'Amhara", une des neuf régions autonomes d'Ethiopie et la deuxième la plus peuplée du pays.
Le président de la région Amhara, Ambachew Mekonnen, et l'un de ses conseillers, qui participaient à une réunion, ont été tués par un commando armé à Bahir Dar, la capitale régionale. Le procureur général de la région Migbaru Kebede, également présent à cette réunion, a succombé à ses blessures.
Dans une attaque séparée, mais qui, selon les autorités, semble "coordonnée", le chef d'état-major des forces armées éthiopiennes, le général Seare Mekonnen, a été tué quelques heures plus tard par son garde du corps, à son domicile d'Addis Abeba, la capitale. Le général Mekonnen "menait l'opération" de réponse aux attaques de Bahir Dar. Le garde du corps a été arrêté, de même que de nombreux participants à l'attaque contre le gouvernement de l'Amhara, selon les autorités.
Coup d'Etat ou pas?
L'éventuel lien entre les deux attaques, ainsi que leurs motifs, restent à éclaircir, alors que les observateurs mettent en doute l'affirmation des autorités qu'il s'agissait d'une tentative de coup d'Etat. Selon eux, une telle tentative implique généralement d'importantes manœuvres militaires ainsi que la prise de contrôle de points stratégiques comme les aéroports ou les médias.
Les autorités ont accusé le chef de la sécurité de la région Amhara, le général Asaminew Tsige, d'être derrière l'attaque de Bahir Dar. Arrêté pour un présumé complot remontant à 2009, amnistié et libéré en 2018, il était en fuite, selon plusieurs sources avant d'être abattu lundi 24 juin. Selon William Davison, expert du think tank International Crisis Group, M. Asaminew est un nationaliste amhara favorable à la "reconquête" de la région Tigrée, au nord, et entraînait des milices. "Il est possible que son éviction imminente, soutenue par le gouvernement fédéral, (...) ait provoqué cette attaque mortelle", a estimé M. Davison.
De son côté, le président de la région Amhara, M. Ambachew, était un allié de M. Abiy. Son discours visait à l'apaisement des tensions ethniques.
Le 24 juin, des résidents de Bahir Dar interrogés par l'AFP ont indiqué qu'après une journée du 23 juin tendue, les habitants de la ville circulaient comme à leur habitude et que les commerces étaient ouverts. Selon eux, la situation est normale, à l'exception du déploiement de membres de la police fédérale, principalement autour des bâtiments de l'administration régionale.
A Addis Abeba, des membres des forces spéciales ont été déployés notamment à l'aéroport, a constaté un journaliste de l'AFP. Les activités commerciales et le trafic semblaient, eux, normaux.
Internet est coupé depuis la mi-juin dans le pays.
Tensions interethniques
Ces deux attaques interviennent dans un contexte tendu pour l'Ethiopie.
Les Amharas représentent le deuxième groupe ethnique d'Ethiopie, après les Oromos. Ces deux ethnies ont été à l'avant-garde de deux ans de manifestations qui ont provoqué la chute de l'ancien Premier ministre Hailemariam Desalegn.
Son successeur, Abiy Ahmed, un Oromo, s'est efforcé de démocratiser le pays, légalisant des groupes dissidents et améliorant la liberté de la presse. Mais cet assouplissement a également permis une expression plus libre des tensions ethniques, qui ont souvent pour enjeu des terres ou des ressources. Ces tensions se sont traduites par des violences meurtrières et ont fait plus d'un million de déplacés.
"Abiy Ahmed est très bon dans ses relations avec l'étranger, et c'est quelqu'un de très malin, mais malheureusement pour lui, sa compréhension du fonctionnement de la politique éthiopienne n'est pas assez bonne", estime le chercheur français Gérard Prunier, spécialiste de la Corne de l'Afrique. "Il a beaucoup trop sous-estimé la puissance des nationalismes ethniques, et en particulier celui des Amharas", poursuit le chercheur. Il note que ces derniers, qui ont longtemps dirigé l'Ethiopie, notamment avec ses empereurs, ont très mal vécu la perte du pouvoir après la chute de la junte militaire communiste du Derg en 1991 au profit de la coalition du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF).
Et maintenant?
"Clairement, M. Abiy et son gouvernement doivent restaurer l'ordre et s'assurer que la situation ne se détériore pas, ou qu'elle ne devienne pas instable dans d'autres régions sensibles", soutient William Davison. "M. Abiy, le gouvernement fédéral et la coalition au pouvoir doivent commencer par reconnaître l'ampleur de la crise politique", ajoute-t-il. "Il s'agit de la première étape en vue de régler les problèmes (...), et créer les conditions pour des élections (législatives) réussies l'année prochaine".
Pour Gérard Prunier, la tâche s'annonce très difficile, voire impossible, car la coalition de l'EPRDF sur laquelle s'appuie Abiy Ahmed "est moribonde". "Les partis qui la composent sont devenus très minoritaires au sein des ethnies qu'ils sont censés représenter". Les mouvances les plus populaires sont désormais nationalistes, remarque-t-il. Il craint que la tenue d'élections en 2020 ne mette encore davantage le feu aux poudres. Et de conclure: "La situation en Ethiopie commence dangereusement à ressembler à celle de la Yougoslavie juste avant que n'y éclatent les guerres".
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