Méditerranée : choyé par l'Espagne, le Maroc a mis un frein aux départs de migrants
Les arrivées de migrants par la mer en Espagne sont en nette diminution sur les neuf premiers mois de 2019. Le Maroc, qui a conclu des accords assortis d'aides avec Madrid, empêche les départs.
Rabat a décidé de ne plus laisser autant d'embarcations qu'auparavant quitter ses côtes à destination du littoral espagnol, distant de moins de 300 km. Un recul de la tolérance marocaine constaté par Jose Encinas, un responsable du syndicat de gardes civils AUGC en Andalousie (sud), région où débarquent la plupart des migrants en Espagne. Autre signe : selon un expert en migrations d'un organisme international, requérant l'anonymat auprès de l'AFP, "la police maritime marocaine a mis en place tout un dispositif, surtout dans le nord, aux points stratégiques" pour ralentir les départs.
Les chiffres sont là. Depuis le mois de janvier 2019, 15 683 migrants sont arrivés en Espagne par la mer, soit 45% de moins que sur les huit premiers mois de 2018, selon le ministère espagnol de l'Intérieur. Après l'accord Turquie-UE sur l'immigration de 2016, puis la fermeture des ports italiens en 2018, la route migratoire maritime vers l'Espagne était devenue la plus fréquentée l'an dernier. Ce n'est plus le cas : les passages vers l'Europe sont de nouveau plus nombreux par l'est de la Méditerranée, vers la Grèce, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Le chantage des "robinets" migratoires
Pour Eduard Soler, spécialiste espagnol de la géopolitique en Afrique du Nord au sein du think tank CIDOB, l'explication du changement d'attitude de Rabat est limpide. "Le Maroc a constaté que la carte migratoire est un instrument de pression très utile", explique-t-il à l'AFP. Depuis des années, "les moments où les relations bilatérales Maroc-Espagne étaient difficiles ont coïncidé avec une augmentation des arrivées (de migrants en Espagne) et ceux où elles s'amélioraient avec une baisse drastique", dit-il, poursuivant sa démonstration.
Un état des lieux qui n'a en tout cas pas échappé au Premier ministre socialiste Pedro Sanchez. Nommé à la tête du gouvernement espagnol en juin 2018, alors que les arrivées d'embarcations étaient déjà en nette hausse, M. Sanchez a envoyé ses ministres à de multiples reprises à Rabat avant de s'y rendre lui-même cinq mois plus tard, afin de s'entretenir en particulier avec le roi Mohammed VI. Puis le roi d'Espagne Felipe VI en personne y a effectué en février une visite d'Etat attendue, présidant la signature de onze accords bilatéraux.
Des égards aussitôt suivis d'effets
"Une baisse radicale du nombre d'arrivées en Espagne s'est alors produite", de 4104 en janvier 2019 à 936 en février selon l'OIM, souligne Eduard Soler. Une situation que le garde civil Jose Encinas résume ainsi : "Quand le Maroc veut plus d'argent, il ouvre le robinet de l'émigration et quand il reçoit l'argent, il le ferme". CQFD.
A y regarder de près, Rabat a bénéficié de très confortables aides financières de la part de Madrid. En août, l'Espagne a ainsi accordé au Maroc 32 millions d'euros pour le contrôle de l'immigration clandestine, après l'octroi en juillet de 26 millions d'euros pour "la fourniture de véhicules au ministère de l'Intérieur marocain". De leur côté, les relations entre Bruxelles et Rabat se sont aussi particulièrement réchauffées depuis que le Parlement européen a validé en février un accord de pêche renégocié en 2018 entre l'UE et le Maroc. Jusqu'à y inclure de manière explicite, à la demande marocaine, les "eaux adjacentes du Sahara occidental", zone très disputée.
La Turquie elle aussi réclame plus d'aides internationales
Lors d'une septième réunion avec son homomlogue marocain, le 4 septembre 2019 à Rabat, le ministre espagnol de l'Intérieur Fernando Grande-Marlaska a souligné la "diminution notable" des arrivées de migrants, en vantant "la coopération policière". Il a assuré que Madrid "continuait d'insister auprès des institutions de l'UE sur l'importance cruciale du Maroc comme partenaire stratégique en matière de migrations et autres".
Une entente bien huilée des deux côtés de la Méditerranée qui devrait conforter la Turquie, autre pays aux prises avec de fortes migrations, dans l'expression de sa demande de moyens supplémentaires à l'UE pour gérer l'accueil de réfugiés syriens sur son sol.
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