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Procès des biens mal acquis: «Le temps de l'impunité est révolu»

Le premier procès des «biens mal acquis» s'est ouvert le 19 juin 2017 à Paris, en l'absence du principal accusé, Teodoro Nguema Obiang, vice-président de la Guinée équatoriale. Antoine Dulin est le co-auteur de l'enquête de l'ONG française CCFD-Terre solidaire, point de départ d'une procédure judiciaire inédite dans la lutte contre la corruption. Entretien.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Antoine Dulin est le principal auteur du rapport de l'ONG CCFD-Terre solidaire, paru en 2007, qui a donné lieu à l'affaire des «biens mal acquis».  (DR)

Comment s’est déroulée la première journée du procès de Teodoro Nguema Obiang?
Nous avons assisté à quelques manœuvres de la défense, d'une part, pour renvoyer le procès – ce que le tribunal n’a pas accepté – et d’autre part pour faire déclarer, entre autres, la nullité de la procédure en faisant valoir que Teodoro Nguema Obiang bénéficiait d’une immunité en tant que vice-président de la Guinée équatoriale.

La personnalité et les déclarations de Teodoro Nguema Obiang, notamment sur son somptueux train de vie, ont-ils «facilité» sa mise en accusation pour ce premier procès des biens mal acquis?
On pourrait dire qu’il est le client «facile» de cette affaire. Il ne s’est, certes, pas caché sur son train de vie, mais depuis dix ans il s’emploie à mettre les bâtons dans les roues de la justice. Par exemple, quand le 42 avenue Foch est déclaré bâtiment diplomatique du jour au lendemain parce que la justice a décidé de saisir ce bien, on assiste là à une forme d’amateurisme liée à un sentiment d’impunité sur le territoire français. Teodoro Nguema Obiang se sentait et se sent encore tout-puissant. Il ne s’est d'ailleurs pas déplacé pour son procès.



Teodoro Nguema Obiang Mangue, alias Teodorin, le 24 janvier 2012 en Guinée équatoriale. (ABDELHAK SENNA/AFP)



En 2007, pensiez-vous que cette enquête sur les biens mal acquis réalisée pour l’ONG française CCFD-Terre solidaire aboutirait à un procès?
Pas du tout! J’ai commencé à travailler sur la question des biens mal acquis en juin 2006, il y a onze ans jour pour jour sous les combles du CCFD-Terre solidaire, la première ONG française de développement. J’effectuais alors un stage de chargé de plaidoyer. Jean Merckaert, qui était mon directeur de stage, voulait qu’on planche sur cette question qui est devenue celle des «biens mal acquis». J’ai passé trois mois, en lien avec la diaspora des différents pays d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Asie, à lire des livres, à parcourir à bicyclette les VI, VII et XVIIe arrondissements de Paris et à rencontrer des concierges qui me racontaient, pour certains, les frasques de leurs résidents…

Nous avons brassé un nombre impressionnant de sources. C’était, au niveau mondial, le premier travail qui comptabilisait ces biens mal acquis. Avant, il y a eu des livres, comme celui sur l’argent des dictateurs dans les années 80. Au CCFD, nous nous sommes arrêtés sur 33 pays, pas seulement des Etats africains, pour metttre en avant la corruption et les détournements, l’opacité et la difficulté des enquêtes judiciaires notamment du fait de l’existence des paradis fiscaux et la complaisance des occidentaux (acteurs privés et publics). Dans les cas Bongo et Sassou Nguesso, par exemple, certains membres du gouvernement français fréquentaient les hôtels particuliers pointés aujourd’hui dans l'affaire. 



L'hôtel particulier parisien de Teodorin Obiang. (CITIZENSIDE / MICHEL STOUPAK/ AFP)

Les associations Sherpa et Survie et la Fédération des Congolais de la diaspora portent tout de suite plainte contre les chefs d’Etat de l’Angola, du Burkina Faso, du Congo-Brazzaville, de la Guinée équatoriale, du Gabon et leur entourage. Pourquoi les Africains se retrouvent-ils finalement aux premières loges de cette affaire des biens mal acquis alors que votre enquête porte sur une trentaine de pays à travers le monde?
Les sociétés civiles française et africaine ont réussi à s’organiser rapidement pour déposer plainte. Cela faisait sens dans un contexte français, où politiquement et diplomatiquement la Françafrique n’était pas remise en cause. C’est la période où Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir. Son premier coup de fil, dès qu’il a été élu président, aurait été pour Omar Bongo (feu l’ancien président gabonais). La société civile voulait assainir les relations franco-africaines.

Cependant, les plaintes à l’encontre de responsables africains n’ont pas été les seules. Il y en a eu d’autres concernant des pays arabes et des enquêtes ont été diligentées ailleurs. En Suisse, par exemple, sur les avoirs des anciens présidents Ferdinand Marcos (Philippines) et Suharto (Indonésie). A l’époque, on n’appelait pas ça encore les «biens mal acquis», mais il ya eu des demandes de restitution de comptes bancaires placés en Suisse.

Votre rapport va changer la donne parce qu'il est à l'origine d'une démarche judiciaire inédite... 
Cette procédure a permis d'aller plus loin dans le droit international et dans le droit français, comme l'illustre la décision de la Cour de cassation qui a donné le droit à Transparency International, l’association de lutte contre la corruption, de pouvoir agir en justice en France.

Ce procès est également historique parce qu'il donne un signal fort en matière de lutte contre l'impunité: il sonne la fin de la récréation. C’est la première fois que le vice-précident d’un pays est jugé dans ce type de d'affaire. A noter que Teodoro Nguema Obiang a été nommé à ce poste en juin 2016 pour bénéficier d’une immunité alors qu’au moment des faits, il était seulement ministre de l’Agriculture.  

La défense fait tout pour retarder le moment crucial. Dans un pays où il y a énormément de pauvreté, où les opposants sont menacés et où les droits de l’Homme ne sont pas respectés, les quelque 240 millions d’euros détournés posent question, quand bien même Teodoro Obiang serait un bon chef d'entreprise.

Le président de la Guinée Equatoriale, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, lors de la cérémonie de clôture du 28e Sommet de l'Union africaine à Addis-Abeba, en Ethiopie, le 31 janvier 2017. (Minasse Wondimu Hailu / ANADOLU AGENCY)


La Guinée équatoriale reste fidèle à sa ligne de défense: c'est une cabale...
Ce qui est le plus gênant dans cette affaire, c’est de nous taxer nous - Transparency International, l’association Sherpa, le CCFD - de néocolonialistes et de racistes. Et ce depuis le début de l'affaire. C’est d’autant plus révoltant que nous avons été aidés par la diaspora africaine et que nous sommes soutenus par la société civile africaine. Nous assistons à un perpétuel mélange des genres: l’avocat de Teodoro Nguema Obiang est aussi celui de la Guinée équatoriale. Sauf que les citoyens ne se sentent pas représentés par ce clan, au pouvoir depuis 30 ans, qui a raflé une grande partie des ressources naturelles, empêchant le développement du pays. Le dernier rapport de Human Rights Watch le montre bien: les revenus pétroliers ne bénéficient qu'à une élite en Guinée équatoriale. 


Pour mettre fin à cette impunité, la France peut aujourd'hui condamner quand il y a recel sur son territoire d’un argent public étranger. Il ne s’agit pas d’ingérence: les conventions internationales comme celle des Nations Unies contre la corruption ou celle de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) le permettent. Signe des temps, la France n’est plus le territoire d’asile pour les avoirs des clans, à la tête des pays du Sud, qui s’enrichissent sur le dos des populations et qui viennent ensuite acheter des palaces, des voitures… Ils se tournent désormais vers le Canada, comme le révèle une enquête du Journal de Montréal. 

Quelle est aujourd'hui la position de l’Etat français dans cette affaire?
Dans un courrier adressé à son homologue de Guinée équatoriale début 2017, François Hollande a indiqué que la France allait se conformer à la décision de la Cour internationale de justice (l'affaire France-Guinée équatorialeImmunités et procédures pénales, oppose les deux pays sur la question de l'immunité, NDLR) quand elle interviendrait, mais qu'il laissait la justice française faire son travail. Pendant cinq ans, ce qui n’avait pas été forcément le cas sous Nicolas Sarkozy, il y a eu une vraie indépendance entre la justice et l’Etat qui pourrait avoir un intérêt diplomatique et financier à ce que les choses n’aillent pas plus loin. Et on le voit encore aujourd’hui, il n’y a pas d’ingérence dans ce procès où le vice-président de la Guinée équatoriale est accusé de recel et détournements de fonds.

Il est difficile de savoir ce que fera Emmanuel Macron en matière de relations franco-africaines. Mais il est certain qu’il faut continuer d’assainir ces relations et de porter les questions de démocratie, de droits de l’Homme et de développement sur l’agenda international. Et surtout, il ne faut pas que l’Etat s’ingère dans les affaires d'une justice française qui est rendue au nom du peuple français. 

Qu’attendez-vous de ce procès ?
Je me suis rendu compte que chacun à son niveau peut faire bouger les choses. Ce procès est une victoire pour la société civile parce que des associations et des citoyens africains et français se battent au quotidien contre la corruption, souvent sous la menace et parfois au risque de leur vie.
Il est important que ce procès aille au bout. D'autant qu'il y a encore des recours possibles de la part de la défense. Je souhaite qu'il soit démontré in fine que le vice-président de la Guinée équatoriale, Teodoro Nguema Obiang, a spolié son peuple de quelque 240 millions d'euros, qui ne représentent qu'une partie de sa fortune, et que cette somme soit restituée à ses compatriotes, même si cela prendra du temps. Ce procès est l'occasion d'affirmer que le temps de l'impunité est révolu.


*Antoine Dulin est vice-président du Conseil économique, social et environnemental français 

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