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Procès des «biens mal acquis» : Teodoro Nguema Obiang Mangue ouvre le bal
Après une décennie de procédures, le premier procès des «biens mal acquis» démarre le 19 juin 2017 devant le tribunal correctionnel de Paris. Sur le banc des accusés, le vice-président de la Guinée équatoriale, Teodoro Nguema Obiang Mangue. Il est notamment accusé d’avoir détourné quelque 200 millions d’euros de fonds publics dans son pays.
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Teodoro Nguema Obiang Mangue, alias Teodorin, le fils aîné du président de la Guinée équatoriale et vice-président du pays, sera entendu le 19 juin 2017 devant le tribunal correctionnel de Paris «pour des faits de blanchiment d’abus de biens sociaux, de blanchiment de détournement de fonds publics, de blanchiment d’abus de confiance, et de blanchiment de corruption commis sur le sol français entre 1997 et 2011».
«Une étape importante» dans la lutte contre la corruption
«Pour la première fois, un haut dignitaire sera jugé pour ce type d’infractions», précise-t-on sur le site de l’association Sherpa, à l’origine de la première plainte en mars 2007 dans la désormais célèbre affaire des «biens mal acquis», avec l’association Survie et la Fédération des Congolais de la diaspora. La démarche fait alors suite à la publication, dans la même période, d’«un document de travail» de l’ONG française CCFD-Terre intitulé Biens mal acquis... profitent trop souvent - La fortune des dictateurs et les complaisances occidentales, rédigé notamment par Antoine Dulin, aujourd’hui vice-président du Conseil économique, social et environnemental français.
Mais la plainte de 2007 est classée sans suite. Transparency International France et le Gabonais Grégory Ngbwa Mintsa, décédé en 2014, déposent alors une nouvelle plainte en 2008. Elle est jugée recevable deux ans plus tard après plusieurs recours. Mais les blocages persistent au niveau du parquet. Transparency France et Sherpa se constituent partie civile et portent de nouveau plainte en 2011. Cette énième démarche a permis l’ouverture d’un procès que la société civile considère comme une «étape importante».
Le fils du président Obiang de la Guinée équatoriale (et son vice-président) jugé à Paris pour corruption - Une étape importante.
Equatorial Guinea President Obiang's son (and VP) faces criminal prosecution in Paris for corruption--a milestone. https://t.co/xNaBCbpJCy pic.twitter.com/fPxh3gjZM0
— Kenneth Roth (@KenRoth) June 18, 2017
«Une frénésie d’achats» alimentée par des fonds publics
L’accusé Teodorin Nguema Obiang n’a jamais fait mystère de son goût pour le luxe et de son somptueux train de vie en France, largement documenté par les médias. En France, il serait à la tête d'un patrimoine estimé à 200 millions d'euros acquis avec de l'argent détourné.
«Les procureurs français allèguent qu’entre 2004 et 2011, 110 millions d’euros ont été transférés du Trésor public équato-guinéen vers le compte personnel de Teodorin Obiang, pour alimenter une frénésie d’achats de 175 millions d’euros à Paris incluant un hôtel particulier, des automobiles de luxe et des objets de designers», précise l’ONG américaine Human Rights Watch (HRW) qui a publié une enquête le 15 juin 2017 sur le gaspillage et la spoliation des richesses pétrolières de la Guinée équatoriale.
«Les gens ordinaires ont payé le prix de la corruption de l’élite au pouvoir en Guinée équatoriale», souligne Sarah Saadoun, chercheuse à HRW. Ainsi pointe l’ONG, le gouvernement équato-guinéen n’aurait investi «que 140 millions de (dollars américains) dans l'éducation et 92 millions de (dollars) dans la santé en 2011, après avoir investi respectivement 60 millions de (dollars) et 90 millions de (dollars) dans ces deux secteurs en 2008, selon les données du FMI et de la Banque mondiale».
Une situation paradoxale dans la mesure où la Guinée équatoriale «a perçu environ 45 milliards de dollars de revenus du pétrole entre 2000 et 2013». Au total, «le gouvernement n’a consacré que 2 à 3 % de son budget à la santé et à l’éducation en 2008 et en 2011, années pour lesquelles des données sont disponibles, tout en affectant près de 80 % à des projets d’infrastructures à grande échelle parfois contestables».
«En même temps, poursuit l'enquête d'HRW, de hauts responsables du gouvernement ont bâti des fortunes personnelles à partir des richesses pétrolières». Notamment Teodorin Obiang, vice-président de la Guinée équatoriale depuis 2016. Il aurait ainsi, par exemple, «profité de sa fonction de ministre de l’Agriculture (son poste précédent, NDLR) pour amasser 300 millions de (dollars), soit plus que les budgets de la santé et de l’éducation combinés certaines années».
Pour faire cesser les poursuites américaines, le fils aîné du président Teodoro Obiang Nguema a accepté «de renoncer à 30 millions de (dollars) d’avoirs aux Etats-Unis». Outre la procédure dont il fait l’objet en France, une enquête a été ouverte en Suisse où «11 voitures de luxe et un yacht d’une valeur de 100 millions de (dollars)» ont été saisis.
«Une opération de déstabilisation de la Guinée équatoriale»
En avril 2012, lors d’un entretien accordé à la chaîne française France 24 où il a été interrogé sur les sources de revenus de son fils, le président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo avait répondu: «Mon fils est entrepreneur (…) Il travaille.» Et d'ajouter quand le journaliste Alain Foka lui demande de préciser plus globalement les origines de la fortune familiale: «Pour éviter les problèmes de corruption, je recommande à ma famille de travailler, d’avoir des sociétés, des entreprises pour gagner de l’argent au lieu de prendre l’argent de l’Etat. Moi-même, je ne peux pas toucher l’argent de l’Etat. J’ai des entreprises. Même si je suis président, j’ai certaines sociétés dont je suis actionnaire. Je ne peux pas travailler avec l’argent de l’Etat.»
Selon HRW, «les responsables du gouvernement détiennent souvent des parts dans les entreprises qui répondent aux appels d’offres pour des projets d’infrastructures publics. Par exemple, des hommes d’affaires et des experts du FMI ont expliqué aux enquêteurs américains que la famille présidentielle possède des intérêts dans plusieurs des principales entreprises de construction du pays. Une enquête du Sénat américain et un câble d’un département d’Etat rendu public prétendent que le président détient au moins partiellement la société qui a le monopole des importations de ciment».
Mais ces preuves et le rapport d'HRW, vite balayés par Malabo, ne changent rien à la ligne de défense adoptée depuis le début de l'affaire des biens mal acquis par les autorités équato-guinéennes. Le procès de Teodorin, rapporte Jeune Afrique, n'est autre qu'«une opération de déstabilisation de la Guinée équatoriale» déclaraient-elles encore le 16 juin 2017.
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