Soudan : la contestation du pouvoir d'Omar el-Béchir s'étend au Darfour
Les forces anti-émeute soudanaises ont tiré des gaz lacrymogènes pour disperser des manifestations antigouvernementales à Khartoum et au Darfour, où des rassemblements ont eu lieu pour la première fois depuis le début de la contestation.
Les organisateurs avaient appelé à de nouvelles manifestations, le 13 janvier 2019, pour marquer "une semaine de soulèvement". "La révolution est le choix du peuple", scandaient les protestataires dans les rues du quartier Bahari, dans la capitale soudanaise, avant que la police n'intervienne pour réprimer la manifestation.
Les femmes munies de masques contre les gaz lacrymogènes
Beaucoup de femmes étaient descendues aussi dans la rue pour protester en sifflant et tapant des mains. Elles étaient munies de masques pour se protéger des gaz lacrymogènes. Des manifestants ont brandi le drapeau soudanais et des banderoles sur lesquelles était écrit "paix, justice, liberté", un des slogans du mouvement qui a éclaté le 19 décembre, après la décision du gouvernement de tripler le prix du pain. Dans un pays en plein marasme économique, les manifestations se sont rapidement transformées en une contestation du président Omar el-Béchir, qui dirige le Soudan d'une main de fer depuis un coup d'Etat en 1989.
Vingt-quatre personnes sont mortes depuis le début du mouvement, selon un bilan officiel. Les ONG Human Rights Watch et Amnesty International avancent elles au moins 40 morts. Deux jours auparavant, l'Union européenne avait affirmé que les forces de sécurité soudanaises utilisaient parfois des "balles réelles" pour réprimer les rassemblements. Des témoins ont affirmé à l’AFP avoir vu la police poursuivre les manifestants dans les rues de Khartoum. "C'est le jeu du chat et de la souris", a confié l'un d'entre eux. Des habitants de Bahari ont même fait entrer chez eux des manifestants cherchant à se protéger des tirs de gaz lacrymogènes et leur ont offert des jus de fruits, a raconté un témoin.
Les premiers rassemblements au Darfour
Plus tard dans la journée, l'Association des corporations soudanaises, qui organise les manifestations, a confirmé l'usage de "munitions réelles" à Bahari, sans préciser l'origine des tirs. Après les manifestations, plusieurs rues de Khartoum sont restées bloquées, jonchées de pierres et de pneus brûlés, tandis que la police anti-émeute restait déployée sur la zone avec des véhicules équipés de mitrailleuses.
Le même jour, des rassemblements ont eu lieu au Darfour pour la première fois depuis le début du soulèvement du 19 décembre. La police a dispersé les contestataires à coups de gaz lacrymogènes à Al-Facher, capitale de l'Etat du Darfour-Nord, et à Niyala, capitale de l'Etat du Darfour-Sud. Le nombre des manifestants était difficile à évaluer.
Vaste comme la France, cette région de l'ouest est secouée depuis 2003 par un conflit opposant les forces soudanaises à des rebelles issus de minorités ethniques et s'estimant marginalisés par le pouvoir central. Le conflit au Darfour a fait plus de 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés, selon l'ONU. Le président soudanais est sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour répondre d'accusations de génocide et crimes de guerre dans cette région.
Des manifestations ont également eu lieu dans la ville de Madani (centre) ainsi que dans des villages de la province agricole et pauvre de Gadaref, dans l'est du Soudan.
Pour el-Béchir, pas de changement hors les urnes
Environ 1000 personnes ont été arrêtées dans différentes localités du Soudan en trois semaines de manifestations, selon des groupes de défense des droits humains, notamment des militants, des leaders de l'opposition et des journalistes. L'UE a appelé le 11 janvier 2018 les autorités à libérer tous les opposants détenus "arbitrairement". La Grande-Bretagne, la Norvège, les Etats-Unis et le Canada ont prévenu que les actions de Khartoum "auront un impact" sur leurs relations.
De passage le 14 janvier à Niyala dans le Darfour-sud, le président Omar el-Béchir a déclaré devant une foule de ses partisans que la contestation qui secoue le pays depuis près d'un mois n'aboutirait "pas à un changement". "Il y a une seule voie vers le pouvoir, et c'est celle des urnes. Le peuple soudanais décidera en 2020 qui doit les gouverner", a réaffirmé le président el-Béchir qui devrait, à 75 ans, postuler pour un nouveau mandat.
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