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Soudan : le gouvernement envoie l'armée au Darfour, en proie à une flambée de violences

Khartoum veut stopper les milices arabes proches de l'ancien président Omar el-Béchir qui terrorisent les populations dans l'ouest du pays. 

Article rédigé par franceinfo Afrique avec AFP
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Manifestation dans les rues de Khartoum (Soudan), le 6 juillet 2020, pour la protection des populations du Darfour, victimes des exactions de milices arabes proche de l'ancien dictateur Omar el-Bechir.   (MAHMOUD HJAJ / ANADOLU AGENCY VIA AFP)

Plusieurs attaques contre des villages ont fait une centaine de morts et de nombreux blessés entre le 19 et le 26 juillet 2020 dans l'ouest du Soudan. Le gouvernement de Khartoum a décidé d'envoyer l'armée pour tenter d'enrayer le retour de la violence au Darfour.

Quelque 500 hommes armés ont attaqué, le 25 juillet 2020, la localité de Masteri, à 48 km de la capitale provinciale d'El-Geneina, au Darfour-Ouest. Ils ont tué plus de 60 personnes dans ce village habité par des agriculteurs issus de la communauté noire des Masalit. Plusieurs maisons ont été pillées et brûlées ainsi que la moitié du marché local, a indiqué le 26 juillet le Bureau de la coordination des Affaires humanitaires (Ocha) de l'ONU à Khartoum. Selon le comité des médecins soudanais, l'attaque a duré neuf heures et huit femmes figurent parmi les morts. 54 personnes ont également été blessées, parmi lesquelles 19 femmes et enfants.

Au Darfour-Sud, au moins 20 paysans ont été tués le 24 juillet 2020 par des hommes armés alors qu'ils revenaient sur leurs champs après plus de 15 ans d'absence, selon un chef de tribu locale. Ils avaient été autorisés à revenir sur leurs terres au terme d'un accord conclu il y a deux mois sous l'égide du gouvernement avec ceux qui s'y étaient installés durant le conflit au Darfour.

Conflit historique pour la terre et l'eau

"La question de la terre est l'une des causes du conflit et elle demeure car, durant la guerre, les paysans ont fui leurs terres et leurs villages pour aller dans des camps et des nomades les ont remplacés et s'y sont installés", affirme à l'AFP Adam Mohammad, expert de la région.

Dans cette immense région de 400 000 km², dont presque la moitié est désertique, les agriculteurs appartenant à des tribus africaines cultivent des céréales (mil et sésame, notamment), des arachides, du tabac et des oranges. Les tribus arabes font de l'élevage (moutons, vaches, chameaux), en pratiquant la transhumance. Leur coexistence a souvent été source de conflits pour le pâturage et pour l'eau.

Selon l'ONU, "cette escalade de la violence dans différentes parties du Darfour provoque des déplacements de population et met en danger la saison agricole", qui coïncide avec la saison des pluies. L'ONU et l'Union Africaine ont appelé le gouvernement soudanais à agir rapidement.

Le Premier ministre soudanais Abdallah Hamdok a déclaré que les forces armées protégeraient les populations pendant la saison agricole. "Les forces de sécurité vont être envoyées de Khartoum dans les régions où se produisent des troubles pour assurer la sécurité des habitants", a déclaré dans un communiqué le ministre soudanais de l'Intérieur Eltrafi Elsdik.

Les milices proches de l'ancien président mises en cause

Le nouveau gouvernement soudanais qui a chassé le dictateur Omar el-Béchir, issu d'un accord entre militaires et meneurs de la contestation, a entamé en octobre 2019 des pourparlers pour un accord de paix avec des groupes rebelles et ainsi mettre un terme aux conflits dans les régions du Darfour, du Kordofan-Sud et du Nil Bleu.

La nouvelle vague de violences au Darfour est liée à la chute du régime d'Omar el-Béchir car, durant de longues années, le régime a approvisionné en armes des milices et il leur a donné le droit de confisquer des terres et même de lever des taxes auprès de ces agriculteurs

Abdallah Adam Khater, écrivain et expert du Darfour

à l'AFP

Les milices arabes soutenues par l'ancien dictateur sont mises en cause par les experts : "Après la chute de Béchir, les agriculteurs ont refusé de payer des taxes et les nouveaux arrivants continuent d'occuper leurs terres qu'ils avaient dû fuir", explique Abdallah Adam Khater à l'AFP. "Pour se maintenir coûte que coûte, (ces nouveaux arrivants) utilisent la force et la terreur. La situation est hors de contrôle", ajoute-t-il.

Marc Lavergne, directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et expert du Soudan, abonde dans son sens. "Si le changement de pouvoir à Khartoum entraîne un apaisement au Darfour et permet à une partie de la population qui a fui de revenir dans ses champs, (les milices) ne pourront plus continuer à semer la terreur, à piller et à racketter."

Pour Abdallah Adam Kather, l'intervention annoncée de l’armée soudanaise est la bonne décision. "Cela montrera à la population du Darfour que le nouveau gouvernement est soucieux de leur sécurité contrairement à ce qu'il se passait à l'époque de Béchir."

Le conflit, qui a éclaté en 2003 entre le régime à majorité arabe d'Omar el-Béchir et des insurgés issus de minorités ethniques s'estimant marginalisées, a fait des centaines de milliers de morts et des millions de déplacés selon l'ONU.

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