Soudan : le soulèvement populaire met fin à trente ans de pouvoir d’Omar el-Béchir
Au terme de quatre mois de contestation diffuse dans le pays et de six jours et nuits de pression populaire directe sur le quartier général des forces armées à Khartoum, le président Omar el-Béchir a été poussé à la démission. Retour sur l’itinéraire d’un paysan putschiste poursuivi par la Cour pénale internationale.
A 75 ans, dont trente années de pouvoir au compteur, le président soudanais a perdu la partie malgré sa détermination à rester au pouvoir.
Au lendemain des premières manifestations contre son régime au Darfour, dans l’ouest du pays, il s’était rendu le 14 janvier à Nyala, capitale du Darfour du Sud, où il faisait une première apparition publique depuis le début de la contestation populaire, le 19 décembre 2018.
Faisant valser sa canne comme à son habitude face à ses partisans venus l’acclamer, il avait réaffirmé, comme il l’avait fait à Khartoum deux jours auparavant, que "cette contestation n’aboutirait pas à un changement du pouvoir". "Il y a une seule voie vers le pouvoir et c’est celle des urnes. Le peuple soudanais décidera en 2020 qui doit les gouverner", a-t-il prévenu, oubliant sans doute qu’il s’était lui-même emparé du pouvoir par un coup d’Etat.
Du paysan modeste au colonel putschiste
Né le 1er janvier 1944 à Hosh Bonnaga au Soudan, dans une famille paysanne modeste, Omar el-Béchir a rejoint l’armée soudanaise à l’adolescence. Formé à l’académie militaire égyptienne du Caire, il gravit rapidement les échelons et devient parachutiste. Il servira même dans l’armée égyptienne, durant la guerre de Kippour en 1973.
De retour au pays, il est chargé des opérations contre l’Armée populaire de libération du Soudan, dans le sud. Parvenu au grade de colonel, il s’allie au dirigeant islamiste Hassan al-Tourabi pour renverser, le 30 juin 1989, le gouvernement démocratiquement élu.
Sous son commandement, le pays passe sous une gouvernance militaire, qui interdit tous les partis politiques. Il écarte son ancien allié al-Tourabi, qu’il mettra en résidence surveillée et instaure la charia, la Constitution islamique, au niveau national.
Autoproclamé président en 1993, il se fait élire en 1996, puis réélire en 2010 et fait annoncer, en août 2018, par le Parti du congrès national (au pouvoir) sa candidature pour 2020, même si la Constitution de 2005 limite en principe à deux le nombre de mandats présidentiels. "Nous avons décidé d’engager les démarches nécessaires pour lui permettre de se présenter à la présidentielle", a expliqué à la presse le chef du Conseil consultatif du parti, Kabashor Koko, sans plus de précisions sur ces démarches, écrit Jeune Afrique.
Outre la guerre menée au nom du "djihad" (guerre sainte) pour l’islamisation des populations chrétiennes ou animistes du sud du pays et la répression des populations de l'est réclamant une meilleure distribution des richesses, il déclenche en 1995 une opération d'arabisation de la région du Darfour dans l’ouest. Peuplé de tribus non arabes telles les Zaghawa, les Massalit et surtout les Four qui donnent leur nom à la région (Dar Four, la maison des Four), ce territoire va subir une répression meurtrière pour avoir reproché au pouvoir de Khartoum de la maintenir à l’écart de tout développement.
Crimes de guerre et génocide au Darfour
El-Béchir donne carte blanche à la milice des Janjawids, souvent des repris de justice montés à cheval ou à dos de chameaux, et à son armée pour mater la contestation. Une guerre, "toujours en cours", selon une tribune publiée par trois spécialistes du Soudan dans Le Monde, qui a fait plus de 300 000 morts et près de trois millions de déplacés, et qui vaut au maître du pays deux mandats d’arrêt internationaux émis en 2009 et 2010 par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.
Des mandats qui n’ont eu jusque là aucune incidence sur les déplacements d’Omar el-Béchir. Il a pu visiter la Libye, le Qatar, l’Egypte, le Tchad, Djibouti, le Kenya, la Chine et l’Afrique du sud, sans être inquiété.
Le 17 décembre 2018, deux jours avant le déclenchement de la contestation à Khartoum et dans plusieurs autres villes, il a pu en toute impunité se rendre en Syrie où il a été reçu par le président Bachar al-Assad, lui-même engagé depuis 2011 dans un châtiment collectif de la population, pour s’être révoltée contre son régime.
Premier chef d’Etat étranger à se rendre à Damas depuis cette date, el-Béchir aurait, selon Libération, déclaré à al-Assad qu’il espérait que la Syrie allait retrouver son rôle important dans la région dès que possible. Il a également affirmé que le Soudan était prêt à fournir tout ce qui était en son pouvoir, pour soutenir l’intégrité territoriale de la Syrie. Une manière de préparer le terrain au retour de ce pays au sein de la Ligue arabe, après près de huit années de répression ininterrompue et d’isolement diplomatique.
La tentation du modèle de Bachar al-Assad
Des promesses que le président soudanais aurait été bien en mal de tenir alors que son pays, privé de la manne pétrolière depuis l’indépendance du Soudan du Sud est plongé dans une grave crise économique. C’est le triplement du prix du pain qui a mis le feu aux poudres. Les manifestations contre le coût de la vie se sont rapidement transformées en soulèvement contre le régime à l’appel de membres de la société civile et de corps de métiers, notamment par le biais des réseaux sociaux.
Face à une contestation inédite et insaisissable reprenant le slogan des printemps arabes de Tunis à Damas – "Le peuple veut la chute du régime" – et malgré le soutien fiancier des pétromonarchies du Golfe, la tentation d’Omar el-Béchir était grande de mettre en œuvre la politique de son homologue syrien. Mais le soulèvement de la population et la pression des militaires auront coupé la voie à ce choix.
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