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Pourquoi un film "anti-islam" a soulevé une partie de l'Egypte et de la Libye

Des manifestations ont éclaté mardi soir et dégénéré en Libye, causant la mort de l'ambassadeur américain et de trois fonctionnaires. Décryptage.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des Egyptiens protestent devant l'ambassade américaine au Caire (Egypte) en brûlant un drapeau des Etats-Unis, le 12 septembre 2012. (KHALED DESOUKI / AFP)

LIBYE - Il est intitulé L'innocence des musulmans (Innocence of Muslims), pourtant son message est loin d'être ingénu. Dans ce film aux décors artificiels, le réalisateur israélo-américain Sam Bacile adopte un parti pris fort : il tourne en dérision le prophète Mahomet et présente les musulmans comme immoraux et gratuitement violents. 

Le long métrage, dont des extraits ont été postés sur internet et diffusés sur des chaînes de télévision privées, n'a pas laissé indifférents certains Egyptiens et Libyens. L'ambassade américaine au Caire et le consulat des Etats-Unis à Benghazi ont été pris d'assaut, mardi 11 septembre dans la soirée. Pourquoi ces manifestations violentes ont-elles éclaté ? Eléments de réponse :

Parce que le sentiment anti-occidental grandit

A Benghazi, dans l'est de la Libye, des hommes armés ont tiré des roquettes sur le consulat américain mardi soir. A la suite de cette attaque, l'ambassadeur américain, ainsi que trois fonctionnaires du consulat des Etats-Unis, sont morts. "Cette attaque s'inscrit dans un phénomène de fond. Il s'organise depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi [en octobre 2011]. Les salafistes et les jihadistes libyens s'attaquent à tout ce qui symbolise l'Occident", explique Patrick Haimzadeh, chercheur spécialiste de la Libye, contacté par FTVi. Ainsi, pour lui, le film de l'Israélo-Américain Sam Bacile n'est qu'un "prétexte", "un élément déclencheur" pour les salafistes, qui "cherchent seulement des symboles occidentaux à bannir".

Au moment où le consulat américain était attaqué à Benghazi, environ 5 000 personnes étaient rassemblées devant l'ambassade des Etats-Unis au Caire, la capitale égyptienne. Les manifestants ont remplacé le drapeau américain par un étendard islamique. "C'est l'illustration d'un nationalisme égyptien exacerbé", estime Stéphane Lacroix, chercheur à Sciences Po et spécialiste de l'islamisme, joint par FTVi.

Surtout, Stéphane Lacroix insiste pour dire que la manifestation de mardi soir n'a pas réuni autant de Cairotes que pendant la révolution égyptienne. Mais aussi que c'est une certaine frange de la population qui s'est rassemblée. "Ce sont les membres de groupuscules salafistes arc-boutés sur les questions confessionnelles qui se trouvaient en tête de la manifestation, précise-t-il. Les Ultras [supporters de foot, en pointe dans la révolution égyptienne] toujours prêts à réagir en cas de bagarre, ont ensuite rejoint le cortège."

Parce que ce film ravive des tensions religieuses

Surtout, L'innocence des musulmans a réveillé des rivalités confessionnelles qui existent en Egypte entre les chrétiens coptes et les musulmans, ces derniers étant largement majoritaires dans le pays. Les organisations coptes ont critiqué le film pour bien s'en démarquer, et ont même appelé à manifester contre le long métrage mercredi soir. Les Frères musulmans, première force politique d'Egypte, ont donné le même rendez-vous, mais pour vendredi, jour de la traditionnelle prière hebdomadaire des musulmans.

Dans ce contexte, "ce film, perçu par les Egyptiens comme insultant envers l'islam et soutenu par les coptes de l'étranger", a été très mal accueilli. "D'autant plus que c'est Morris Sadek, un chrétien copte déchu de sa nationalité égyptienne par Hosni Moubarak qui vit aujourd'hui aux Etats-Unis, qui a fait la promotion du film sur les chaînes télévisées égyptiennes", explique Stéphane Lacroix. "Outre-Atlantique, Morris Sadek est connu pour être un agitateur anti-islam. Il est sur la même ligne que Terry Jones [pasteur très controversé qui s'est attiré de nombreuses critiques, notamment pour avoir brûlé un exemplaire du Coran]", ajoute le chercheur. Selon lui, les manifestants réunis devant l'ambassade américaine mardi soir ont scandé des slogans contre Morris Sadek.

Parce que l'islamophobie a un public aux Etats-Unis

Morris Sadek a aussi fait la promotion du long métrage de Sam Bacile aux Etats-Unis, selon le Wall Street Journal (lien en anglais). Le quotidien l'a d'ailleurs interrogé par téléphone sur les violences anti-américaines survenues mardi soir en Egypte. "La violence causée en Egypte montre de quoi sont capables la religion et la population alors que dans ce film, tout est factuel", a estimé Morris Sadek. 

Ce type de discours pourrait sembler extrémiste, mais "il trouve un écho dans une proportion grandissante de l'opinion publique américaine", comme l'analyse Marion Solletty pour FTVi sur son blog Grand Old America. "Ce sentiment anti-islam est attisé par de puissants réseaux : un rapport publié en août 2011 par [un] think-tank (...) pointe du doigt cinq intellectuels qui contribuent à propager des messages relevant de la 'désinformation' sur l'islam, notamment dans la presse conservatrice", complète-t-elle. 

Et cette islamophobie croissante nourrit à son tour un sentiment anti-américain qui ne demande qu'à se développer dans certaines régions du nord de l'Afrique. Et ce, malgré les propos du président des Etats-Unis Barack Obama, qui a réagi à la mort de l'ambassadeur américain mercredi après-midi. "Nous rejetons toutes les tentatives de dénigrer la foi religieuse des autres. Mais il n'y a absolument aucune justification pour ce genre de violence insensée. Aucune", a-t-il martelé, pour tenter de calmer les esprits tant bien que mal.

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