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Foot : la Coupe d'Afrique au Gabon va-t-elle se finir en queue de poisson ?

La compétition va se dérouler dans un pays fragilisé économiquement et politiquement.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Un soldat de la fanfare militaire gabonaise répÚte avant la cérémonie du tirage au sort de la CAN, le 19 octobre 2016 à Libreville (Gabon). (MARCO LONGARI / AFP)

L'hĂŽte de la Coupe d'Afrique des nations 2017, prĂ©vue du 14 janvier au 5 fĂ©vrier, n'est autre que le Gabon. Le pays, qui avait dĂ©jĂ  co-organisĂ© la compĂ©tition en 2012, sort pourtant d'une grave crise politique avec la rĂ©Ă©lection contestĂ©e d'Ali Bongo d'une poignĂ©e de voix (officiellement) face Ă  l'opposant Jean Ping. Alors que les plaies sont loin d'ĂȘtre pansĂ©es, est-ce bien raisonnable d'organiser un Ă©vĂšnement planĂ©taire ? Pas sĂ»r...

La CAN d'Ali Bongo (et un peu du Gabon)

Les polémiques ont commencé dÚs l'attribution de cette CAN. Favorite, l'Algérie n'a pas compris pourquoi elle avait été recalée "avec le meilleur dossier". Le responsable ghanéen Randy Abbey affirme avoir eu vent de la victoire de l'outsider gabonais "deux jours avant le scrutin". Deux ans plus tard, on ne connaßt toujours pas la répartition des votes. "On nous a amenés dans la salle de conférence et Issa Hayatou [le président de la Confédération africaine de football] est arrivé avec son papier indiquant que le Gabon avait gagné", fulmine Abbey.

Va pour le Gabon. Au moins est-on sĂ»r de l'engouement au sommet de l'Etat : le prĂ©sident Bongo est fan de ballon rond au point de faire le dĂ©placement... pour des finales de Ligue des champions, comme Chelsea-Bayern en mai 2012, oĂč il figure en bonne place au milieu de la tribune officielle. "Il fait venir l'Ă©quipe du BrĂ©sil, le Portugal de Cristiano Ronaldo, et a mĂȘme organisĂ© un carnaval avec des danseuses brĂ©siliennes, sans que ça corresponde Ă  une tradition gabonaise, le tout aux frais du contribuable", rappelle l'Ă©conomiste gabonais Mays Mouissi, interrogĂ© par franceinfo.

Pelé et Ali Bongo au stade de l'Amitié de Libreville (Gabon), le 9 février 2012. (ISSOUF SANOGO / AFP)

Mobiliser la population s'avÚre une autre paire de manches. Malgré une communication intense, des affiches placardées partout dans les quatre villes hÎtes et des prix attractifs (premier prix à 80 centimes d'euros), la mayonnaise tarde à prendre. Lors de l'ouverture officielle de la billetterie, la mascotte Samba était bien seule... "A cette allure, nul doute que les gradins seront occupés par les
forces de l’ordre en civil ainsi que leur famille comme lors des meetings d’Ali Bongo. C’est le modus operandi du pouvoir ici", soupire un habitant de Libreville, interrogĂ© par le site Afrik Foot.

800 milliards de francs CFA pour le foot

Les Gabonais ont-ils encore le cƓur Ă  la fĂȘte ? La situation a bien changĂ© depuis 2012. A cause de la baisse du prix du pĂ©trole, les recettes de l'Etat sont en forte baisse. Le budget annuel a ainsi Ă©tĂ© baissĂ© de 5% pour cette annĂ©e, la dette publique a triplĂ© depuis l'arrivĂ©e d'Ali Bongo au pouvoir et l'austĂ©ritĂ© a Ă©tĂ© officiellement instaurĂ©e aprĂšs une rĂ©union avec le FMI.

Dans ces conditions, organiser une CAN dont le budget est quasiment le double du PIB de la Centrafrique fait désordre. D'autant plus que l'exécutif a repoussé les élections législatives... faute d'argent. Et que le vent de fronde des lycéens étudiant en classe assis sur des troncs d'arbre faute de bancs a beaucoup tourné sur Facebook.

"Pendant qu'on dĂ©pensait 800 milliards de francs CFA pour le football, autant que les budgets de l'Education, du Logement et de la SantĂ© cumulĂ©s, on n'a pas construit une Ă©cole dans le pays, dĂ©nonce Mays Mouissi. On en a mĂȘme installĂ© une dans une aile d'un stade de Libreville situĂ© dans une banlieue rĂ©sidentielle." Un sens des prioritĂ©s dĂ©noncĂ© par l'ex-ambassadeur des Etats-Unis dans le pays, citĂ© par Foreign Policy : "Ali Bongo a gaspillĂ© de l'argent en organisant la CAN, en bateaux de course ou quand il s'est offert un Boeing 777." Et ce alors mĂȘme que la compagnie nationale a fait faillite.

Le scandale du stade Omar-Bongo

Forcément, ces difficultés économiques se ressentent sur l'avancée des travaux pour accueillir la compétition. Le match amical destiné à tester les infrastructures du stade d'Oyem a été repoussé de quinze jours. La presse gabonaise s'était émue de la qualité déplorable de la pelouse, et de l'absence d'électricité et d'eau potable dans l'enceinte. On trouve aussi dans le budget prévisionnel de la compétition la somme d'1,5 million de francs CFA pour relier le stade de Libreville au réseau d'eau et d'électricité. Les projecteurs fonctionnaient pourtant parfaitement lors de la CAN 2012... 

Le stade de Franceville, qui a servi Ă  plus de mariages que de matchs depuis sa construction en 2011, a dĂ» ĂȘtre rĂ©novĂ©, moyennant un milliard de francs CFA. Quand au stade Omar-Bongo de Libreville, qui devait accueillir la finale, il a Ă©tĂ© purement et simplement recalĂ© par la CAF devant le retard abyssal pris par les travaux. "C'est un vĂ©ritable scandale, quand on sait que sa rĂ©novation a commencĂ© en 2006... et qu'il avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© retoquĂ© pour la CAN 2012", fustige Mays Mouissi, qui a calculĂ© qu'il s'agissait du stade le plus cher d'Afrique dans sa catĂ©gorie. 

MĂȘme la mascotte fait de la politique

Le climat politique dans le pays ne va guĂšre mieux. Le Gabon reste coupĂ© en deux, entre les rĂ©gions cĂŽtiĂšres massivement acquises Ă  Jean Ping, et l'intĂ©rieur des terres qui a massivement soutenu Ali Bongo. "On ne doit pas confondre le football et la politique, la Coupe d’Afrique des Nations doit ĂȘtre un moment de communion au-delĂ  des rivalitĂ©s", tente d'apaiser la FĂ©dĂ©ration gabonaise de football sur le site Afrik.com.

Lors de ses vƓux pour 2017, le prĂ©sident Ali Bongo a souhaitĂ© que la compĂ©tition permette "des occasions de joie, de cohĂ©sion et de bonheur partagĂ©s". Des vƓu pieux. Prenez la mascotte Samba, une panthĂšre. Jusqu'au scrutin prĂ©sidentiel qui a mis le feu aux poudres, elle arborait un tee-shirt jaune, couleur traditionnelle de l'Ă©quipe nationale. Et du jour au lendemain, le vĂȘtement est devenu blanc. Comme pour se dĂ©marquer du camp Ping, dont le jaune est la couleur fĂ©tiche, relĂšve le site Info241. Les dĂ©nĂ©gations officielles n'ont pas apaisĂ© les doutes sur les rĂ©seaux sociaux. 

DĂ©but dĂ©cembre, deux activistes ont appelĂ© Ă  un boycott de la compĂ©titon. Une pĂ©tition circule pour demander de renoncer Ă  cette folie financiĂšre (dont les dĂ©penses sont quand mĂȘme trĂšs largement engagĂ©es), de mĂȘme que des appels au sabotage. Ces derniers Ă©manent d’"activistes dĂ©jĂ  identifiĂ©s venant transposer leur frustration politique rĂ©sultant de leurs Ă©checs Ă©lectoraux sur le sport en gĂ©nĂ©ral et le football en particulier", dĂ©nonce la ministre des Sports, menaçante.

Samedi 14 janvier, la compĂ©tition dĂ©butera sous tension. "On va jouer en faisant le meilleur des rĂ©sultats possible pour que la haine et la rancƓur s’effacent, confie Ă  Gabon Eco le gardien remplaçant Anthony Mfa, porte-parole de joueurs qui craignent d'ĂȘtre instrumentalisĂ©s. Rien ne va changer ce qui s’est passĂ©, ça c’est sĂ»r et certain."

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