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Qu'appelle-t-on les «intérêts» français en Afrique ?

«Nous protégerons aussi nos intérêts», a affirmé le président François Hollande après les attentats du 23 mai au Niger, attentats qui visaient notamment la mine d'uranium d'Arlit du groupe français Areva. Mais que sont ces «intérêts» français en Afrique ? Tentative de réponse.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
Le groupe Total en Afrique (ici, au Sénégal). (Philippe Lissac/Godong / Photononstop)

Total, Areva, Bolloré... voilà comment on imagine les «intérêts français» en Afrique. Un mélange d'exploitation de matières premières et de restes d'économie coloniale liée à des régimes corrompus. L'image date. En fait, la présence économique française en Afrique est beaucoup plus large et beaucoup plus soumise à la concurrence internationale.

Plus de 50 ans après les mouvements d'indépendance des pays africains, la France a-t-elle toujours un rôle particulier dans ce continent, dans l'Afrique francophone au moins ? On pourrait le croire en voyant l'intervention militaire française au Mali ou, moins récemment, en Côte d'Ivoire.

En fait, la situation est plus complexe et le pré-carré français est un peu étroit pour les multinationales françaises qui investissent en Afrique même si, parfois, les liens entre certains régimes africains et certains intérêts français ne relèvent pas toujours de la rationalité économique...

Intérêts économiques
La France est traditionnellement présente en Afrique du fait de l'histoire coloniale. Quelques grandes sociétés sont présentes depuis longtemps en Afrique francophone, mais aujourd'hui le «new scramble for Africa (la nouvelle ruée vers l'Afrique) s’impose avec ses nombreux acteurs, et les pays africains qui voudront bien accorder un léger avantage aux entreprises françaises, n’iront pas jusqu’à brader leurs ressources», explique Artur Banga de l'Université de Côte d'Ivoire.

Résultat: les entreprises françaises se retrouvent quasi à armes égales avec celles des autres pays.

Et elles sont nombreuses les entreprises françaises à tenter leur chance en Afrique. Le Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) estime la présence française à  «1.000 établissements et 80.000 collaborateurs sur place» pour un chiffre d’affaires de  «40 milliards d’euros». Des chiffres qu'il faut majorer puisque les sociétés adhérentes au CIAN représenteraient environ 75% de la présence économique française sur place.

Ces intérêts ne sont pas négligeables puisqu’ils représentent 17% de nos exportations (28 milliards d’euros en 2011 et 26 milliards pour les importations). Les principaux clients de la France se trouvent, sans surprise, dans les pays du Maghreb, mais aussi dans des pays non-francophones comme le Nigeria.

En 2011, la France a investi plus de 4 milliards d’euros en Afrique, soit 7% des investissements français à l’étranger.

La composition du Conseil d'administration du CIAN donne un bonne image de ce que sont les grandes entreprises qui possèdent des intérêts en Afrique. On y trouve logiquement des sociétés comme EDF, la CFAO, des banques (BNP, Société Générale), Bolloré, Total, Lafarge ou la Compagnie fruitière.

Un panneau de la société Areva à Arlit, au Niger. (ISSOUF SANOGO / AFP)

Parmi les grandes sociétés françaises installées en Afrique, la société Areva, qui n'est pas dans ce Conseil d'administration du CIAN. Visée le 23 mai par un attentat, elle est présente au Niger pour l'exploitation de minerai d'uranium (70% des exportations du pays). Le groupe nucléaire français développe aussi des activités dans d'autres pays du continent.

Autre exemple. Total tire 31% de sa production du continent africain. Le groupe pétrolier exploite des gisements en Algérie, Angola, Gabon, Nigeria (pas seulement donc dans l'ex «pré-carré» français. Total mène des recherches dans d'autres pays du continent. «Total a économiquement besoin de l’Afrique. Nous sommes non-seulement la première entreprise de France, mais aussi, et surtout, le premier investisseur français en Afrique. Et Total a beaucoup plus d’intérêts en Afrique qu’en France», résumait son PDG, Christophe de Margerie, dans Jeune Afrique.

Autre société française particulièrement liée à l'Afrique, le groupe Bolloré. Sa filiale, Bolloré Africa Logistics, est le leader du transport et de la logistique en Afrique, «où elle dispose d'un réseau de 250 filiales et près de 25.000 collaborateurs dans 55 pays dont 45 en Afrique». Il est opérateur des terminaux conteneurs d'Abidjan, en Côte d'Ivoire, de Douala, au Cameroun, de Tema, au Ghana, de Lagos-Tincan au Nigeria, de Libreville-Owendo, au Gabon, de Pointe-Noire au Congo, et de Cotonou au Bénin. Poursuivant sa stratégie de développement dans les ports africains, Bolloré Africa Logistics a obtenu en 2010 la concession de plusieurs terminaux à conteneurs, notamment ceux de Freetown, en Sierra Leone, de Lomé, au Togo, et de Misrata, en libye. En 2011, il a remporté les concessions des terminaux à conteneurs de Conakry, en Guinée, et de Moroni, aux Comores.

«Nous souhaitons devenir l'opérateur logistique de référence sur les flux Sud-Sud. L'Afrique est de plus en plus connectée au reste du monde et s'approvisionne désormais en majorité au sud», explique Dominique Laffont, le «Monsieur Afrique» du groupe.

Jean-Yves Le Drian avec des militaires français à Niamey au Niger (avril 2013). (MARTIN BUREAU / AFP)

Intérêts stratégiques
La présence française en Afrique a souvent un visage: celui de l’armée. Symbole d’une certaine «Françafrique», l'armée française a été souvent active sur le terrain. Derniers exemples en date, l’opération au Mali et, lors du précédent quinquennat, en Côte d’Ivoire et au Tchad, sans parler de la Libye.

En 30 ans, la France a mené quelque 50 opérations militaires en Afrique.

Hors des forces déployées au Mali de façon exceptionnelle, la France entretient un certain nombre de bases dans plusieurs pays. Quelque 5.000 hommes sont déployés en Afrique (un effectif qui a fondu par rapport aux années 1980 où ils étaient 15.000). Les nouveaux accords qui fixent le cadre de la présence française excluent théoriquement l’intervention dans les affaires intérieures des pays.

La présence militaire française est effective en :
-Côte d'ivoire - Opération Licorne, 450 militaires
-Tchad - Opération Epervier, 950 militaires
-Djibouti - La plus importante base militaire française en Afrique, avec environ 1.900 militaires, dont 1.400 permanents. 
-Gabon - Une des quatre bases permanentes en Afrique (avec Dakar, Djibouti et La Réunion) Environ 900 militaires, dont 450 permanents.
-Sénégal (et Cap Vert) - Force prépositionnée permanente de 350 militaires (dont 260 permanents).

«En 2008, lors de la publication du précédent Livre blanc (de la Défense), la directive était celle de fermer les bases françaises pour ne garder que deux implantations majeures, à savoir celles de Libreville et Djibouti. Néanmoins, avant la guerre au Mali, déclenchée le 11 janvier avec l’opération Serval, il y avait encore près de 5.000 soldats français répartis sur sept pays africains», écrit RFI qui résume le changement de stratégie vis-à-vis de l'Afrique: «Aujourd'hui, le Livre blanc 2013 démontre les liens entre sécurité en Europe et développement sur le continent africain. Compte tenu des menaces, la zone sahélo-saharienne, la Corne de l'Afrique ou encore le golfe de Guinée constituent des '"zones d'intérêts prioritaires"».

«En Afrique, nos implantations militaires doivent devenir autant d’instruments de coopération mais aussi le point d’appui au service des vrais besoins de sécurité du continent », résume le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian.

L'Institut français Leopold Sedar Senghor au Sénégal. (Nicolas Thibaut / Photononstop)


Forte présence française
Plus de 200.000 Français étaient inscrits au registre mondial des Français établis en Afrique au 31 décembre 2012.

Selon les données du ministère français des Affaires étrangères, quelque 98.090 Français sont installés en Afrique du Nord, 117.378 en Afrique francophone et 18.796 en Afrique non-francophone.

La présence française se traduit aussi à travers sa langue. L'histoire a fait qu'une partie du continent africain utilise aujourd'hui encore largement la langue française, ce qui créé des liens forcement privilégiés entre les pays de même culture. Pour cette raison, la présence diplomatique, éducative et culturelle française est toujours forte.

«A long terme, la France a tout à gagner à adopter une démarche active pour étendre son aire d’influence au‐delà des pays francophones et éviter de se trouver poussée dans ses retranchements par ses compétiteurs occidentaux ou émergents. A court-­moyen terme, l’urgence commande de stabiliser les régions placées sous son aire d’influence traditionnelle, et où se concentrent une grande partie de ses intérêts en Afrique», affirme Raphaël Rossignol sur le site de l'IRSEM (Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole Militaire).

«Les instruments à disposition de la France ne se réduisent naturellement pas à la force militaire, toujours subordonnée au politique. La coopération politique bi­ et multilatérale, l’aide au développement, et les grandes entreprises françaises sont les instruments d’une grande diplomatie française sur le continent africain», ajoute-t-il. Une façon de définir les intérêts français.

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