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Dix ans après sa publication, le rapport sur les crimes de guerre en RDC reste lettre morte

En 2010, le rapport du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme avait suscité beaucoup d'espoir en République démocratique du Congo. Mais devant la complexité de juger les criminels, aucune sanction n'a encore été prise.

Article rédigé par Jacques Deveaux
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Le 27 septembre 2002, l'armée rwandaise commence à se retirer de la région du Kivu, en République démocratique du Congo. (MARCO LONGARI / AFP)

Il y a dix ans, le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme publiait un rapport sur les exactions commises en RDC entre 1993 et 2003. Cette période couvre les deux guerres du Congo qui avaient impliqué jusqu’à neuf armées étrangères. Le rapport avait mobilisé une vingtaine d'enquêteurs pendant près d'un an. Il devait mettre fin à une longue période d'impunité, espéraient ses rédacteurs. Or, dix ans après sa publication, il est resté lettre morte.

Les espoirs qu'il a fondés sont à la hauteur de l'effort réalisé. "Suivi d'une action nationale et internationale ferme, ce rapport pourrait constituer une contribution majeure à la fin de l'impunité et rompre le cycle de violence au Congo et plus largement dans la région des Grands Lacs", commente Human Rights Watch.

Dix ans sont passés depuis la publication de ce rapport et aucun des protagonistes des quelque 617 évènements meurtriers relevés n'a été poursuivi. On parle pourtant de crimes de guerre, de crime contre l'humanité, voir de possibles génocides. Pourtant, "plus de 1 500 documents relatifs aux violations des droits de l'Homme commises durant cette période ont été rassemblés et analysés", précise le Haut-commissariat.

Pourquoi ce rapport "dort dans un tiroir"

Etablir les faits est une chose, juger les responsables en est une autre. Et dans ce cas, le rapport se heurte à deux problématiques. D'une part, il y a le refus des Etats impliqués dans ces deux guerres d'apparaître comme des soutiens aux criminels de guerre. Ainsi, le Rwanda mène une obstruction systématique. Car, selon le rapport, certains de ces crimes ont été réalisés par l'armée rwandaise et ses alliés congolais en 1996 et 1997.

A l'époque, le Front patriotique rwandais dominé par les Tutsis et dirigé par Paul Kagame venait de prendre le pouvoir à Kigali. Par peur des représailles, un million de Hutus se sont réfugiés à l'est du Congo et parmi eux des génocidaires.

Opposition du Rwanda

En 1996, le Rwanda soutenu par l'Ouganda envahit la région afin de détruire ces camps. Or, explique le rapport, les attaques commises "révèlent plusieurs éléments accablants qui, s'ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide." Ce qui est mis en cause est notamment le ciblage systématique d'individus sur la base de leur appartenance ethnique, qu'ils soient rwandais ou congolais.

Inacceptable aux yeux du président Paul Kagame qui a rejeté en bloc le texte et a encouragé d'autres Etats africains à en faire de même, ce qui a été le cas de l'Ouganda, lui aussi partie prenante du conflit.

Les limites de la justice

Le rapport se heurte également au fonctionnement même de la justice. Du fait de l'importance du dossier, le Haut-commissariat écarte d'emblée la justice congolaise. "Le nombre de violations atteignant le seuil des crimes internationaux est tellement élevé qu’un système judiciaire fonctionnant au mieux de ses capacités n’aurait pas la capacité de traiter un aussi grand nombre de cas. Les auteurs de ces crimes se comptent par milliers, voire dizaines de milliers, et leurs victimes par centaines de milliers", explique le rapport.

Quant à la justice internationale, elle a aussi montré ses limites. Ainsi, le recours du gouvernement congolais contre le Rwanda devant la Cour internationale de justice a été rejeté. En effet le Rwanda ne reconnaît pas cette juridiction et la Cour ne peut accepter une affaire qu'avec le consentement des deux parties. Ce que le Rwanda a refusé. Restait la Cour pénale internationale (CPI), mais elle ne peut juger que des crimes survenus depuis sa création en juillet 2002.

Une cour mixte

Le rapport préconise donc la création d'une cour "ad-hoc". "Un mécanisme de poursuites mixte (composé de personnel international et national) est nécessaire pour rendre justice aux victimes", mais le préalable est que le gouvernement congolais joue le jeu. Non seulement sur le fait d'accepter de "confronter le passé", mais aussi "d'installer une justice indépendante neutre, crédible, impartiale et professionnelle ; de favoriser le recrutement des animateurs et d'un personnel moralement intègres ; de doter la commission d’une loi claire et réaliste, des moyens matériels et budgétaires suffisants".

Autant d'éléments qui ne sont pas encore réunis et qui expliquent le statu quo dix ans après la publication du rapport.

Pourtant, comme le répète le prix Nobel de la paix 2018, le docteur Denis Mukwege : "Sans vérité et justice, il n'y aura pas de paix durable en RDC, et ni les victimes ni les bourreaux ne pourront reconstruire un avenir apaisé pour les générations futures."

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