Un livre-enquête revient sur la mort du secrétaire général de l'ONU au Congo. Haletant
Ecrit par le journaliste Maurin Picard, l'ouvrage s'intitule "Ils ont tué Monsieur H" (Dag Hammarskjöld). Avec comme sous-titre "Congo, 1961. Le complot des mercenaires français contre l'ONU".
Complot ou accident ? Le 18 septembre 1961, l'avion du secrétaire général de l'ONU, Dag Hammarskjöld, s’écrase dans l'actuelle Zambie. Aujourd’hui, la thèse de l’attentat ne fait plus guère de doute. "On sait aujourd'hui qu'il s'agit d'un attentat", affirme le journaliste Maurin Picard, auteur d’un livre sur cette affaire mystérieuse, au sous-titre accusateur.
Dans cet ouvrage, intitulé Ils ont tué Monsieur H et consacré à la mort mystérieuse du secrétaire général de l'ONU en 1961, en pleine crise du Congo, tous les ingrédients du polar sont réunis : un décor (le continent africain en pleine décolonisation), le héros (le secrétaire général de l'ONU lancé dans la mêlée), de sombres intérêts (une riche société minière), un contexte (le Congo qui se déchire avec, en toile de fond, la guerre froide) et tout autour des méchants (des services secrets et des mercenaires)... Et, bien sûr, ce qui ressemble à un meurtre. Celui de Dag Hammarskjöld, secrétaire général de l'ONU depuis huit ans.
"Une colombe face à des rapaces"
"Ce diplomate créateur avait un nom imprononçable et un regard bleu acier aussi acéré que son intelligence (...). Il croyait éveiller les consciences et expédier les pratiques coloniales aux oubliettes de l'histoire. Une colombe face à des rapaces", écrit le journaliste Maurin Picard sur le héros de son enquête, dont la mort a créé un choc dans le monde entier, au point de voir la Maison Blanche à Washington mettre ses drapeaux en berne sur ordre du président Kennedy.
Ce secrétaire général, on l'appelait Monsieur H. Et c'est l'enquête sur sa mort plus que douteuse que tente de refaire Maurin Picard. La mort de ce secrétaire général de l’ONU est en effet un mystère depuis 58 ans.
Nous sommes en 1961. La guerre des sécessionnistes du Katanga contre les troupes de l’ONU bat son plein, dans le cadre de la difficile accession du Congo belge (RDC aujourd’hui) à l’indépendance. La sécession du Katanga s'appuie sur les insolentes richesses minières de la province, exploitées par la prospère société belge UMHK (Union Minière du Haut-Katanga).
L'indépendance du Congo (désormais ex-belge) a été proclamée le 30 juin 1960 et le jeune Premier ministre Patrice Lumumba n'hésite pas à approcher les Soviétiques pour rétablir l'ordre. De son côté, Monsieur H a réussi a monter une force de casques bleus pour éviter la partition du pays. En janvier 1961, la "menace" Lumumba a été levée, puisqu'il a été assassiné par les séparatistes katangais... avec, dit-on, la complicité de la CIA.
"Il est 0h12 à Ndola. L'Albertina vient de se volatiliser"
En ce mois de septembre 1961, Monsieur H espère bien arriver à régler le problème du Katanga, dont il ne veut pas entériner la sécession. Il pense avoir mis au pas les "affreux", surnom des mercenaires embauchés par le gouvernement sécessionniste et sans doute payés par l'UMHK. Mais l'affaire tourne mal sur le terrain et les troupes de l'ONU affrontent les forces de Moïse Tshombé, proclamé président de la province sécessionniste.
Pour tenter de ramener le calme, Monsieur H tente une dernière manoeuvre : il va essayer de rencontrer Moïse Tshombé qu'il pense pouvoir amener sur une position plus modérée. Pour cela, il va reprendre son DC-6 et se rendre au Katanga, ou plus précisément à la frontière du Katanga, côté Rhodésie.
Un vol simple en apparence, mais pouvant être risqué en raison de la présence dans les airs de "Lone Ranger" (cavalier solitaire)... un "Fouga Magister de construction française, arborant la cocarde rouge-blanc-vert katangaise, (qui) écume le ciel et attaque sans oppositions les colonnes blindées des Casques bleus", raconte Maurin Picard.
Ce vol est le dernier pour le secrétaire général de l'ONU. L'avion n'est jamais arrivé. Il s'est écrasé à la frontière du Katanga. "Il est 0h12 à Ndola (aujoud'hui en Zambie, NDLR). L'Albertina vient de se volatiliser", rapporte l'auteur.
Dag Hammarskjöld, "plus général que secrétaire"
Le décor est planté. L'enquête qui suit se lit comme un roman d'espionnage. On baigne dans une histoire digne de John Le Carré ou SAS (en plus sage). Pour renforcer son récit, l'auteur plonge dans les détails, les conversations de l'époque, décrit les personnages du drame, façonne les décors, sculpte l'atmosphère du bouleversement que vit cette région du monde. Et ce n'est pas triste. L'auteur rend bien le climat colonial qui régnait dans cette partie du monde, celui de la Rhodésie blanche, celui des expatriés du Congo fêtant la mort du secrétaire général de l'ONU, perçu comme un défenseur d'un Congo indépendant, les manigances des grandes puissances...
Ajoutez à cela des personnages qui sortent de l'ordinaire. A commencer par Hammarskjöld lui-même. Le deuxième secrétaire général de l'histoire de l'ONU, qui n'hésite jamais à se rendre sur les zones de combat et qui affirme lors de sa mission au Congo: "Ils n'oseront pas s'en prendre au secrétaire général de l'ONU"... Ce patron de l'organisation internationale dont on dit qu'il est plus "général que secrétaire"... On semble bien loin de l'ONU paralysée d'aujourd'hui.
On croise aussi le très britannique Cuthbert Alport, responsable de la Rhodésie, symbole d'un colonialisme moribond, qui doit accueillir la rencontre Tshombé-Hammarskjöld, ou les "affreux" envoyés (ou couverts) par la France de de Gaulle.
"On sait aujourd'hui qu'il s'agit d'un attentat"
Si officiellement, l’enquête a conclu à une erreur de pilotage, "on sait aujourd'hui qu'il s'agit d'un attentat, puisqu'à l'époque, un certain nombre de témoins ont été négligés par l'enquête officielle organisée par les autorités coloniales britanniques. Ces témoins étaient noirs et ils n'étaient pas jugés dignes de confiance", explique Maurin Picard à la radio suisse (RTS).
Depuis la mort de Hammarskjöld, les thèses se sont multipliées. Périodiquement, des journaux reviennent sur cette affaire. Des pistes sont présentées, du détournement raté aux revendications saugrenues, impliquant soit la CIA, soit le KGB, soit de mystérieux mercenaires. Mais rien de concluant. Dernièrement, l’affaire était déjà revenue sur le devant de la scène à l’occasion de la sortie d’un documentaire, Cold Case Hammarskjöld, du journaliste danois Mads Brugger pour lequel c’est un mercenaire belge qui a assassiné le diplomate. Un article du New York Times fait, lui, le tour des thèses en présence pour les démonter et montrer que finalement on ne sait toujours pas grand chose... Personne ne voulant vraiment ouvrir ses archives.
Ce que confirme Maurin Picard, qui a parcouru la planète à la recherche des preuves et des documents, qui ont bien voulu se laisser découvrir. Il avance sa thèse sur l’assassinat et donne le nom potentiel de l'auteur (on ne le dévoile pas ici), mais reconnaît ne pas avoir de preuve flagrante.
L'ONU, qui a relancé sa propre enquête, devrait donner sa version en septembre 2019. Mais rien ne dit que ses investigations permettent de lever l'un des plus grands mystères politico-judiciaires du XXe siècle avec l'affaire Kennedy.
Outre l'aspect passionnant de l'enquête, le livre de Maurin Picard a l'énorme mérite de nous plonger dans un monde disparu, celui de la décolonisation de l'Afrique dans la seconde moitié du XXe siècle, avec ses mystères et ses secrets. Au-delà des péripéties de l'enquête, il met en lumière les intérêts des uns et des autres pour ce bout de terre africaine gorgé de cuivre et de cobalt.
Ils ont tué Monsieur H
De Maurin Picard
Editions du Seuil
470 pages - 23 euros
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.