"Les femmes victimes de violences sexuelles dans les conflits méritent plus d’attention", plaide la Rwandaise Godelieve Mukasarasi
En 2019, le Rwanda a commémoré le 25e anniversaire du génocide. C'est aussi l'âge de l'ONG Sevota que Godelieve Mukasarasi a lancée dans son pays en 1994 pour accompagner, parmi d'autres, les femmes victimes de viols et les enfants nés de ces violences.
L’ONG rwandaise Sevota (Solidarité pour l'épanouissement des veuves et des orphelins visant le travail et l'autopromotion) a été lancée dès 1994 pour prendre en charge les femmes victimes de violences pendant le génocide, notamment celles qui ont été violées. La structure s’occupe également des enfants nés de ces viols, de jeunes filles et des femmes vivant dans des situations précaires. Depuis sa création, l’organisation est venue en aide à plus de 72 000 personnes dont la moitié sont des femmes. Parmi elles, environ 2 000 ont été victimes de viols. Entretien avec Godelieve Mukasarasi dont l'action a été distinguée par de nombreux prix, dont l'International Women of Courage Awards. Il lui a été décerné en 2018 par le Département d'Etat américain.
Franceinfo Afrique : votre ONG a 25 ans, tout comme le génocide. Qu’est-ce qui vous a poussée à créer, en 1994, dans la foulée de ce drame une ONG pour venir en aide aux femmes, notamment celles qui avaient été violées ?
Godelieve Mukasarasi : Je suis assistante sociale de formation. Je suis une militante et je me bats pour les droits des femmes et des enfants depuis très longtemps. J’ai été très touchée par ce que les femmes avaient enduré pendant le génocide au Rwanda. J’ai donc vite agi afin d’apporter de l’aide à toutes ces femmes en détresse. Les femmes victimes des violences sexuelles dans les conflits méritent davantage d’attention de la part de la communauté internationale, qui les abandonne à leur sort, alors que ses représentants ont l’obligation de les aider et de les sauver.
Le parcours dans lequel notre association s'engage avec ces femmes leur permet de vivre avec ces violences sexuelles tout en ayant la possibilité de s’épanouir, notamment améliorer leurs relations avec leurs enfants issus de viols. Compte tenu de leurs traumatismes et de leurs responsabilités, ces femmes n’ont souvent pas pu faire d’études. Aujourd’hui, la communauté doit pouvoir les aider à s’éduquer et à se former afin qu’elles puissent subvenir à leurs besoins. En outre, aider ces femmes, c’est aussi aider leurs enfants en le soutenant dans leurs études. Certains sont en âge d'aller à l’université ou poursuivent déjà des études supérieures.
Vous avez développé une méthode singulière pour leur venir en aide à ces femmmes. Comment fonctionne-t-elle ?
Contrairement à d’autres, c’est une méthode avec laquelle nous obtenons des résultats. Elle consiste à emmener les femmes souffrantes à dialoguer entre elles. En tant qu'accompagnatrice, je conduis des séances individuelles avec chaque femme. Je connais donc les difficultés de chacune. Je demande ainsi, lors des séances en groupe aux femmes ayant subi les mêmes souffrances d’entamer un dialogue à deux, la dyade. Par exemple, deux femmes ayant le même âge et survivantes de viols peuvent facilement échanger sur ce qu’elles ont subi et comment le surmonter. Les femmes échangent dans des espaces d’entraide et de solidarité. Elles partagent leurs différentes stratégies pour s’adapter à la situation actuelle et gérer leurs émotions. Des stratégies individuelles et celles des différents groupes auxquels elles prennent part sont mutualisées. Ces dialogues sont associés à la danse et à des exercices d’auto-guérison des traumas. L’ONG les suit en faisant des visites à domicile ou par le biais d’entretiens téléphoniques.
Le Rwanda et la République démocratique du Congo du Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix pour son engagement contre les violences faites aux femmes dans les conflits, sont des pays voisins. Y a-t-il des échanges à l’échelle du continent africain entre vous, experts, qui travaillez sur cette problématique récurrente sur le continent ?
Non, il n’y pas de coordination particulière. Chacun travaille de son côté. Dans le cadre régional et africain, il n’y a pas de concertation entre les personnes qui luttent contre les violences faites aux femmes. Cependant, nous avons un cadre de concertation pour les programmes qui reçoivent l’appui de Medica Mondiale, une organisation allemande. Au Rwanda, Sevota compte parmi les 57 organisations qui sont membres d’un collectif de promotion des droits des femmes et de la paix.
Durant toutes ces années, vous avez rencontré de nombreuses femmes en souffrance. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué chez elles ?
Leur volonté de contribuer à la défense des droits des femmes, des jeunes et des enfants parce qu’elles connaissent la souffrance et qu’elles se battent pour se faire justice. Elles sont très courageuses. Leur courage me va droit au cœur et je les en remercie.
Quels sont les projets de Sevota ?
Nous voulons créer un institut de paix, d’unité et de réconciliation afin de renforcer les activités que nous avons déjà initiées. Nous souhaitons mettre en place un musée axé sur les femmes et accueillir des stagiaires des universités qui enseignent la sociologie et l’anthropologie. La solidarité est une valeur cardinale pour moi, celle entre toutes les femmes pourra nous aider à y parvenir.
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