Abdoulaye Sene: «L'eau, pour que l'Afrique puisse se nourrir et se développer»
Vous allez accueillir en 2021 le Forum mondial de l'eau, qui réunit les acteurs du secteur tous les trois ans sous la houlette du Conseil mondial de l'eau. Quels sont les enjeux liés à l'eau aujourd'hui en Afrique?
Nous savons que l'eau est au cœur de tout. C'est peut être le produit le plus essentiel. Mais quand ailleurs on considère que c'est source de bien-être, voire de mieux-être, en Afrique, c'est la survie même qui est en cause. Sur le continent, la problématique de l'accès universel à l'eau est une urgence.
Pratiquement 40% de la population africaine n'a pas accès à l'eau potable, du moins d'une potabilité éprouvée. Car les gens peuvent s'abreuver à la mare, au marigot. Ce sont des sources qui ne sont pas contrôlées. En d'autres termes, près de la moitié de la population africaine souffre de ne pas pouvoir disposer d'un accès à l'eau potable de façon durable et en toute période de l'année. Près de 60% de la population en Afrique n'a pas accès à des services d'assainissement convenables. Nous voulons aujourd'hui inverser ces chiffres, renforcer l'accès à l'eau et, pourquoi pas, atteindre 80 à 90% d'accès à l'eau. C'est un droit humain: de l'eau pour tous, l'assainissement pour tous et l'eau pour que l'Afrique puisse se nourrir et se développer.
En outre, en dépit du fait que l'on parle beaucoup d'urbanisation, le continent reste très rural. Il s'agit souvent d'une organisation débridée, mal planifiée et mal contrôlée. C'est une urbanisation porteuse de gros problèmes dans le futur. L'idée, c'est de dire que ce phénomène doit être modéré par le biais d'un développement rural généreux, planifié et qui passe par l'amélioration de l'attractivité du monde rural. Il faut faire en sorte qu'il n'y ait pas un exode rural qui va dépeupler les campagnes et qui va enlever des bras à l'agriculture pourvoyeuse d'alimentation et d'une émigration que nous ne désirons pas sous cette forme-là.
Qu'est-ce qui a empêché les Etats africains, qui sont indépendants depuis près 60 ans, de parvenir à assurer cet accès universel à l'eau?
Les politiques de développement et d'aménagement du territoire qui n'ont pas pris la bonne trajectoire. Des cités côtières comme Dakar ou Abidjan qui sont des métropoles depuis la période coloniale ont continué, après la décolonisation, à être des zones de peuplement sauvage. Ce sont des zones où le coût marginal du mètre cube est extrêmement élevé aujourd'hui. S'il fallait 100 francs CFA pour produire un mètre cube d'eau, il y a dix ans, il en faut aujourd'hui le double. Tant que la population était relativement restreinte, on pouvait trouver de l'eau dans le sous-sol de Dakar. Aujourd'hui, il faut aller le chercher à 200 km, il faut désaliniser l'eau... Ce sont des technologies qui sont coûteuses et qui rendent de plus en plus difficle l'accès à l'eau.
Chaque fois qu'on développe une stratégie pour donner plus d'eau, il y a une attraction de la population rurale qui fait que les plans sont faussés et qu'on retombe dans une situation qui est pire. Dakar n'a pas d'avenir avec son taux de croissance, idem pour Abidjan. Il faut stabiliser les taux de croissance de ces villes, faire en sorte que les autres parties du territoire soient des pourvoyeuses d'emplois et de richesses afin que ces localités secondaires puissent retenir les populations. Il faut mieux étaler la répartition des populations et des activités. Nous pourrons alors avoir des politiques hydrauliques idoines.
La question de l'eau renvoie à beaucoup d'autres problématique. Par quel bout doit-on prendre ce serpent qui se mord la queue?
Il faut prendre en charge cette problématique par plusieurs bouts. Aujourd'hui, à Dakar, il faut d'abord déconcentrer. Il faut sortir certaines industries et infrastrutures – port et aéroport – afin que la répartition des besoins soit beaucoup plus en adéquation avec nos capacités de réponse aux demandes des populations. Ensuite, il faut renforcer les capacités. Enfin, il faut des politiques qui nous permettent de mettre de l'argent dans des infrastructures appropriées.
Pourquoi est-il plus ardu de mobiliser la finance pour les projets relatifs à l'eau, notamment en Afrique?
Dans une ville comme Dakar, hier ou avant-hier, vous pouviez produire de l'eau avec 40 FCFA. Aujourd'hui, cela vous coûte 100 francs et les populations qui sont censées la payer n'ont pas les moyens. Le secteur privé a besoin d'un modèle économique rentable. Tout le monde sait aujourd'hui que les fonds publics et l'aide au développement ne suffisent plus. Il faut donc faire appel au secteur privé qu'il faut rassurer sur la rentabilité des projets. Si on reste dans un schéma où le prix de l'eau continue à augmenter de façon exponentielle, au point que l'eau coûte plus cher à Dakar qu'à Paris, à New York ou ailleurs, nous serons dans une impasse.
Quelles solutions votre pays proposera à ses homologues africains dans le domaine de l'eau d'ici 2021?
C'est un forum mondial de l'eau mais nous allons, cette fois-ci, faire un focus sur les enjeux et les défis de l'eau en Afrique. Nous voulons, entre autres, lancer avec nos partenaires une «initiative Dakar 2021». Nous allons ainsi identifier des projets qui vont nous permettre de produire des réponses concrètes d'ici 2021: plus de points d'eau, de robinets, plus de systèmes d'assainissement et d'innovations afin que nous puissions lancer, à partir de Dakar, d'autres initiatives globales que l'Afrique va porter pour mieux prendre en charge l'ODD 6 et les thématiques qui y sont liées.
En quoi «Water for Africa», cette initiative promue par le Maroc afin de mobiliser du financement climatique pour les projets relatifs à l'eau en Afrique, peut faire évoluer la situation?
Le Maroc est constant dans sa volonté d'affirmer que l'eau doit être au cœur de nos politiques. Cette initiative, qui vient dialoguer avec les autres inititaives, suscite beaucoup d'espoir quant à la mobilisation de tous les acteurs.
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