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Charles Taylor, itinéraire d'un criminel de guerre

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L’ancien président du Libéria, Charles Taylor, a été reconnu coupable de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre en Sierra Leone entre 1996 et 2002 par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL).

Charles Taylor est le premier ex-chef d'Etat condamné par la justice internationale depuis le procès de Nuremberg (1945-1946). Il a été reconnu coupable d'avoir «aidé et encouragé» une campagne de terreur visant à obtenir le contrôle de la Sierra Leone. Avec l’objectif d'exploiter ses diamants, lors d'une guerre civile qui a fait plusieurs dizaines de milliers de morts entre 1991 et 2001. Ayant déclenché un mouvement de rébellion dans son propre pays, il aurait «exporté» sa guerre pour la financer.


Refuge aux Etats-Unis
La vie de Charles Taylor est digne d’un roman. L’homme est né en 1948 dans une banlieue aisée de Monrovia, capitale du Libéria. Son père est un Américain noir venu s’installer dans un pays fondé en 1821 par d’anciens esclaves affranchis, sa mère une Gio, de l’éthnie majoritaire au Libéria. Le jeune Charles est envoyé aux Etats-Unis pour y poursuivre ses études. Puis il rentre dans son pays, où il est placé en 1979 à la tête de l’agence chargée des achats du gouvernement. Un an plus tard, le gouvernement libérien est renversé par le sergent Samuel K. Doe, qui va mettre le pays en coupe réglée. En 1983, accusé d’un détournement de 900.000 dollars, Charles Taylor se réfugie aux USA. A la suite d’un mandat d’arrêt émis par le régime Doe, il est arrêté et incarcéré dans le Massachussets.

Il s’évade en 1985, vraisemblablement aidé par les autorités américaines qui songent, selon certains, à renverser le régime libérien. Il séjourne alors notamment en Libye, où il aurait reçu un entraînement militaire. Il prépare en effet sa revanche contre Samuel Doe. En décembre 1989, il attaque un poste frontière libérien avec une centaine d’hommes depuis la Côte d’Ivoire. Débute alors une guerre civile qui va durer 14 ans et faire 250.000 morts dans un pays de 3,3 millions d’habitants. 

«Au début, Charles Taylor était considéré par les Libériens comme un libérateur. Le régime de Samuel Doe terrorisait la population. et ses soldats commettaient des crimes de masses», explique le reporter photographe Patrick Robert qui a couvert la guerre civile du Libéria et de la Sierra Leone (voir diaporama en début d'article).


Les crimes de Charles Taylor
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Euronews, 26 avril 2012

Président du Libéria
Le Front national patriotique du Libéria (NPFL) de Taylor est le premier groupe à avoir pris les armes. D’autres se sont ensuite formés pour le combattre. Au cours du conflit, «toutes les parties (…)  se sont rendues coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité (y compris de meurtres à caractère ethniques)», constate Amnesty International. La Communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest (CDEAO) envoie une force d’interposition, chargée de l’organisation d’élections. En 1997, Charles Taylor est porté à la présidence du Libéria, avec 75 % des voix au cours d’une campagne qui s’est déroulée «dans une relative accalmie», selon des ONG présentes sur place.

Son mandat est chaotique. Son régime est isolé sur le plan diplomatique, les Etats-Unis le soupçonnant d’entretenir des relations avec Al Qaïda. Dans le même temps, il est combattu par le LURD (Libériens unis pour la reconstruction et le développement), rébellion armée par Washington. En 2003, assiégé dans Montovia, il accepte de quitter le pouvoir et de partir en exil à Calabar (sud du Nigéria). En 2006, les autorités nigérianes le livrent au TSSL.

Charles Taylor n’a comparu que pour des faits commis au Sierra Leone. Pour nombre d’observateurs, un procès sur la guerre au Libéria pourrait réveiller la guerre civile dans ce pays fragile et menacer les responsables actuels. A commencer par l’actuelle présidente Ellen Sirleaf Johnson, ancienne alliée de… Taylor.


Diamants bruts
Ce dernier clame son innocence pour les faits qui lui sont reprochés par le TSSL. Selon le jugement, il a notamment reçu une importante quantité de diamants bruts (les «diamants du sang») pour prix de son soutien (notamment des armes) aux rebelles sierra-léonais. L’argent était déposé dans des banques en Suisse et au Burkina Faso, rapporte l’ONG Global Witness. Parmi d’autres atrocités, l’ancien chef de guerre est également accusé d’avoir enrôlé des enfants soldats, technique que Taylor avait déjà inaugurée au Libéria, selon Le Figaro.


Cris de joie à Freetown, capitale de la Sierre Leone
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AFP, le 26-4-2012

Il est par ailleurs reproché à l'ancien président d’avoir dirigé les actions et les crimes du RUF et de son chef, Foday Sankoh. Peu probable, pense Patrick Robert : «Foday Sankoh était un psychopathe, un vrai criminel de guerre, incontrôlable et imprévisible, sans projet politique. Je n’imagine pas qu’il ait pu être manipulé à distance par un commanditaire. Ses fidèles ne résistaient pas à son charisme. C’était un mystique qui donnait l’illusion de la connaissance». Par contre, à ses yeux, Charles Taylor, qu’il a approché, était «un vrai politicien au discours structuré et cohérent qui souhaitait sortir son pays du sous-développement». Le photographe doute qu’il ait contribué à déstabiliser d'une façon délibérée la Sierra Leone, «pays laissé à l’abandon avant la guerre, et déjà ouvert à tous les trafics».

Pour le photographe, Charles Taylor aurait pu être «un chef d’ETAT ni pire ni meilleur que ceux de la région». Quoi qu’il en soit, le procès de La Haye met fin «à la carrière d'un tyran narcissique et sanguinaire», disent ses accusateurs. Charles Taylor terminera sa peine dans une prison britannique.

Charles Taylor le 9 juin 1990 près de Buchanan au Libéria (photo Patrick Robert /corbis/Sygma)
Charles Taylor devant le sigle de son mouvement rebelle, le NPFL, à Gborplay (Libéria) le 5 juin 1990 (photo Patrick Robert /corbis/Sygma)
La recherche de diamants en Sierra Leone dans une mine à ciel ouvert (1-1-1996). Les diamants diamants sont exploités par des grosses entreprises spécialisées sud-africaines, belges, israéliennes, libanaises. (photo Patrick Robert /corbis/Sygma)
La milice des West Side Boys à Massiaka (Sierra Leone) le 15 mai 2000 (photo Patrick Robert /corbis/Sygma)
En Sierra Leone, les rebelles du RUF, entre autres crimes, n'hésitaient pas à inscrire des slogans sur les corps de leurs victimes, comme ici: "Terror" pour "terreur" (26 février 1996). (photo Patrick Robert /corbis/Sygma)
Une recrue du NFPL, le groupe de guérilla de Taylor, tenant un os human dans un camp d'entraînement à Ghorplay (Libéria) (5-6-1990) (photo Patrick Robert /corbis/Sygma)
Réfugiés près de Paynesville (Libéria) le 12 juillet 1990. (photo Patrick Robert /corbis/Sygma)
Crâne humain fixé sur la voiture d'un commandant rebelle pour déjouer le mauvais sort (août 1990, Congo Town, Monrovia). L'utilisation d'ossements humains pour des raisons de superstition a toujours été observée dans cette région. (photo Patrick Robert /corbis/Sygma)
Atmosphère de guerre civile à Monrovia (Libéria) le 21 mai 1996 (photo Patrick Robert /corbis/Sygma)
A Monrovia, le 17 avril 1996 (photo Patrick Robert /corbis/Sygma)
Militaires nigérians, intervenant dans le cadre de la force d'interposition africaine, à Caldwell (Libéria) le 16 novembre 1992 (photo Patrick Robert /corbis/Sygma)

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