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Sierra Leone : les filles enceintes pourront retourner en classe une fois les écoles rouvertes

Le gouvernement a décidé de lever l'interdiction de scolarité pour les jeunes filles attendant un bébé.

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Enfants sierra-léonaises posant pour le photographe à Koidu (est de la Sierra Leone), le 21 avril 2012. (REUTERS - FINBARR O'REILLY / X90055)

Les jeunes filles enceintes en Sierra Leone vont pouvoir revenir à l'école. Le gouvernement a décidé, le 30 mars 2020, de lever cette interdiction dans un pays au bilan négatif en matière de discrimination contre les femmes.

En février 2019, un tribunal régional avait jugé "discriminatoire" et contraire aux droits humains cette mesure (instituée par une directive de 2015) empêchant la scolarisation de dizaines de milliers de jeunes Sierra-Léonaises. Et en décembre de la même année, "la cour de justice de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) (avait) ordonné (...) à la Sierra Leone de 'lever immédiatement l’interdiction faite aux jeunes filles enceintes d’aller à l’école'", comme le rappelait alors franceinfo Afrique.

La levée de l'interdiction prend effet "immédiatement", a indiqué le ministère de l'Education dans un communiqué. Le ministère dit lever l'interdiction et accomplir "un premier pas sur la voie d'une Sierra Leone résolument inclusive, où tous les enfants (...) pourront vivre et apprendre en toute sécurité et en toute dignité". Problème : les filles enceintes devront encore attendre avant de se rendre en classe car, depuis le 31 mars, toutes les écoles sont fermées jusqu'à nouvel ordre pour contenir le Covid-19.

Un premier cas de coronavirus

Jusqu'alors officiellement épargné, le pays a déclaré le même jour son premier cas de la maladie. Un test a révélé la contamination d'un homme de 37 ans arrivé de France le 16 mars, a dit le président Julius Maada Bio lors d'une conférence de presse retransmise à la télévision. 

La nouvelle position des autorités "ne change pas la culture de violence exercée contre les filles, mais c'est un grand pas dans la bonne direction", a expliqué Chernor Bah, responsable d'une organisation locale de défense des droits des femmes qui avait lancé des poursuites judiciaires contre la directive de 2015. Cependant, l'effet de l'interdiction se fera sentir pendant "encore des années", a-t-il prédit.

De nombreuses orphelines à l'époque d'Ebola

La Sierra Leone, l'un des pays les plus pauvres du monde, peuplé de 7,4 millions d'habitants, avait officiellement interdit aux filles enceintes d'aller à l'école en 2015, à la suite de l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest (2013-2016). Quelque 4 000 personnes étaient décédées dans le pays. L'épidémie avait "fragilisé la situation de milliers de jeunes filles qui avaient alors été obligées de se débrouiller par elles-mêmes", rapporte le Guardian. Nombre d'entre elles, devenues orphelines, s'étaient ainsi tournées vers la prostitution tandis qu'on constatait aussi une hausse des agressions sexuelles. Cette situation avait entraîné une augmentation du nombre de grossesses : 14 000 filles étaient tombées enceintes pendant cette période, selon l'ONU. 

Jeune mère de famille avec ses deux enfants dans le sud de la Sierra Leone (8 avril 2008) (Reuters - KATRINA MANSON / X02109)

De la morale avant toute chose

La Sierra Leone est "une société qui prétend qu'il n'y aucune relation sexuelle en son sein", commente Chernor Bah (cité par le Guardian)... Un pays où plus de 30% des filles de 18 ans tombent enceintes et 40% d'entre elles sont mariées, précise le quotidien britannique.

En 2015, les responsables sierra-léonais avaient justifié l'interdiction de la directive par la nécessité de protéger des "filles innocentes" de mauvaises influences. Ils estimaient aussi que les jeunes filles enceintes ne seraient pas en mesure de suivre une scolarité. Et qu'elles auraient une influence néfaste sur les autres élèves en les incitant à être sexuellement actives, ce qui entraînerait de nouvelles grossesses. Une position "morale", observe Chernor Bah. Lequel estime que cette position est aussi un héritage de l'époque coloniale, quand l'éducation était considérée comme un privilège plutôt qu'un droit.

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