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Egypte: les policiers ont-ils le droit de porter la barbe?
Depuis des décennies, une querelle juridique oppose les autorités égyptiennes aux policiers pour savoir si ceux-ci ont le droit de porter la barbe, assimilée par certains à un attribut islamiste. La Cour administrative suprême vient de donner raison à un groupe de policiers barbus licenciés et qui contestaient leur renvoi. Une affaire révélatrice des contradictions de la société égyptienne.
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Historiquement et juridiquement, l’affaire est un vrai serpent de mer. Elle a en fait commencé en 1954 après la prise du pouvoir par Gamal Abdel Nasser, observe le quotidien britannique The Guardian. A cette époque, les attributs pileux qui couvrent le visage, et en général tout signe visible de penchants islamistes, sont interdits.
Le débat a rebondi après la chute du président Hosni Moubarak en 2011. Alors que l’étau répressif s’est desserré, certains policiers se mettent à revendiquer le droit de porter la barbe et n’hésitent pas à se montrer dans les médias. Sur Facebook s’affiche un compte intitulé «Je suis un policier barbu». Mais le ministère de l’Intérieur ne l’entend pas de cette oreille et continue à interdire ces attributs pileux. Des agents sont même suspendus, dont un colonel.
La barbe : un élément personnel ou politique?
«Nous voulons que l’Egypte soit fondée sur les valeurs de la révolution (de 2011, NDLR): il ne faut pas qu’on émette d’exclusions fondées sur le genre ou la religion», expliquait en 2013 l’un d’eux, Hany al-Shakery, à CNN, cité sur le site d’Alrabiya. Ces licenciements relèvent «de la discrimination. Cela n’a rien à voir avec la mode. Nous entendons suivre les instructions du prophète Mohammad et de la charia (la loi islamique, NDLR). Depuis le début, nous entendons prouver que notre revendication n’est pas politique mais personnelle», a déclaré au Guardian un autre agent qui tient à conserver l’anonymat. En clair, la religion l’imposerait. «La charia islamique me demande de porter une barbe et je respecte ma religion», poursuit Hany al-Shakery.
Pour autant, tous les clercs musulmans ne partagent pas forcément ce point de vue. Ainsi, en 2013, le grand mufti d’Egypte Ali Gomaa publie une décision selon laquelle le port de la barbe n’aurait pas de signification religieuse, rapporte le site («pro-Hamas», selon la BBC) middleeastmonitor. Ali Gomaa, présenté par le site middleeasteye comme «le plus fidèle érudit islamique» de l’actuel président Abdel Fatah al-Sissi. Et l’un de ceux qui «ont joué un rôle non négligeable dans le soutien aux régimes militaires égyptiens».
Menace ou pas menace ?
Face à la réaction des autorités, certains agents portent l’affaire devant la justice. Résultat: en février 2013, un tribunal annule l’interdiction, arguant qu’un policier barbu ne représente pas une menace. Des agents organisent un sit-in au Caire devant le ministère de l’Intérieur pour soutenir leurs revendications poilues. Et plusieurs centaines de personnes manifestent pour exiger la réintégration des exclus.
Mais les autorités n’en restent pas là, expliquant qu’aucune décision finale n’a été prise. Le ministère de l’Intérieur fait appel de la décision du tribunal. La présence d’éléments barbus dans la police est «une menace pour la société égyptienne et l’unité nationale, la paix et l’harmonie sociale» (cité par le Guardian). Le ministère entend isoler ces derniers du reste de leurs collègues pour, selon lui, préserver la sécurité et la stabilité de l’Etat.
La Haute cour administrative vient donc de confirmer le jugement du tribunal.
La répression du régime Sissi
Le régime du président Abdel Fatah al-Sissi, arrivé au pouvoir en 2014 et qui mène une guerre sans merci contre l’islam politique et le djihadisme, a accentué la répression contre le port de la barbe dans la police. De la même manière, il entend «expurger tous les formes d’expressions islamistes dans le pays», relève le Guardian. Ce qui implique d’exclure les policiers proches de l’organisation interdite des Frères musulmans, à laquelle appartenait le président Mohamed Morsi renversé par l’armée en juillet 2013. Dans ce contexte, le «mépris flagrant» d’Abdel Fatah al-Sissi «pour les droits de l’Homme a mené le pays dans sa pire crise politique et humanitaire depuis des décennies», conclut l’ONG Human Rights Watch.
Pour autant, l’affaire des barbes n’est pas terminée sur le plan judiciaire: le Tribunal des affaires urgentes doit se prononcer le 4 septembre sur le recours déposé par le gouvernement contre la décision de la Haute cour administrative. Une étape de plus dans un dossier ouvert il y a... 64 ans.
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