Esclavage en Libye: un thème qui dégénère sur Twitter
Les images confirmant les mauvais traitements infligés aux migrants en Libye, et notamment celles de CNN du 15 novembre 2017 évoquant un marché aux esclaves, ont provoqué de nombreuses protestations. Lesquelles ont plus émané de la société civile que des Etats ou des institutions internationales.
Thousands of migrants and refugees cross Libya each year in search of a better life in Europe. But thanks to a recent crackdown, fewer boats are making it out to sea, leaving human smugglers with a backlog of passengers. So they auction them off as slaves.https://t.co/qCOgPS7UDq pic.twitter.com/4CvflUuT8D
— CNN (@CNN) November 14, 2017
En France, une manifestation a eu lieu à Paris samedi 18 novembre à l’appel d’une organisation inconnue issue de la société civile pour protester contre l’esclavage en Libye. Sur Twitter, la question a soulevé de nombreuses protestations, ce qui est logique, mais aussi des réactions plus politiques ou polémiques, que l’on peut classer en trois catégories.
Une dénonciation de la politique européenne
Sur Twitter, l'Europe s'est rapidement retrouvée attaquée pour sa politique en Libye. Une double attaque puisque l'Europe est mise en cause pour avoir déstabilisé la Libye en renversant Kadhafi et pour sa politique migratoire qui bloquerait les migrants en terre libyenne... sans se préoccuper du sort de ces malheureux coincés dans ce pays sans Etat.
Une intervention résume cette accusation.
Esclavage en Libye : "Il y a une responsabilité coupable de l'Europe (...) Elle savait ce qui allait se passer. Tout le monde sait ce qu'il se passe depuis longtemps" @Claudy_Siar #BourdinDirect pic.twitter.com/U1ePziLhdF
— RMC (@RMCinfo) November 20, 2017
La situation créée en Libye par l'intervention internationale – destinée officiellement à sauver des vies et qui s'est terminée par le renversement et l'assassinat de Kadhafi – est rappelée.
— Stephane Zeng (@la_stephio) 18 novembre 2017
Les manifestants crient « Sarkozy assassin ».#Libye pic.twitter.com/RKOPY5MW1u
Même le peu démocratique président du Burundi met sur le dos de l'Europe ce qui se passe en Libye.
Je condamne cette cruauté d'un autre âge en Libye. Ces méfaits de l'esclavage sont le résultat de l’intervention militaire unilatérale de certains pays occidentaux en Libye suite à l'abus des résolutions de l'ONU et au mépris des décisions de l’Union Africaine.
— Pierre Nkurunziza (@pnkurunziza) November 19, 2017
Outre la situation créée en Libye, c'est la politique migratoire de l'Europe qui est pointée du doigt. En effet, si les migrants subissent cette situation, c'est parce qu'ils tentent de gagner par tous les moyens l'Europe. Ce que note l'ancien Premier ministre français Jean-Marc Ayrault.
Le combat contre toutes les formes d’esclavage est dramatiquement encore d’actualité ; la situation des migrants en #Libye est indigne et nécessite une mobilisation urgente de l’Union Européenne
— Jean-Marc Ayrault (@jeanmarcayrault) November 19, 2017
Même type de réaction de l'ancien Premier ministre belge Elio Di Rupo, socialiste lui aussi.
Je condamne fermement l’esclavage des migrants en Libye, l’Europe doit évoluer vers une autre politique migratoire plus humaine.
— Elio Di Rupo (@eliodirupo) November 19, 2017
Réactions communautaires
Comme souvent sur Twitter, les débats prennent des connotations plus douteuses. Et très rapidement la question de l'esclavage a donné lieu à des rappels historiques plus ou moins maîtrisés et des oppositions entre diverses «communautés» – Arabes, Noirs, Blancs –, chacune étant accusée d'être plus responsable de l'esclavage que l'autre...
De nombreuses attaques ont visé les Arabes comme pouvant être porteurs d'un certain racisme et apparaître favorables à certaines formes d'esclavage. L'attitude de plusieurs pays arabes est mise en cause. Et pas seulement les monarchies pétrolières. Une twitteuse égyptienne va dans ce sens.
ARABS ARE RACISTS. Racial slurs are thrown at ANY person who doesn’t have the same skin color, belief or looks different. In Cairo black people are harassed in the streets. Libyans selling black people. We ARE racist. Stop lying to yourself. https://t.co/x9fxqof2WU
— jannah (@tutankhara) November 19, 2017
D'autres, bien sûr, rejettent ces attaques, en s'appuyant, par exemple, sur un article de Jeune Afrique, qui évoque l'esclavage au sein des pays africains.
Pour la minorité identitaire noire qui instrumentalise la #Libye a des fins idéologiques (arabes vs noirs )..
— Nacéra (@NasNacera) November 19, 2017
Arrêtez de faire semblant de découvrir l’esclavage en Afrique pic.twitter.com/BVXUUKqFhG
Ce type de débat ne peut que dégénérer. Résultat: la guerre des mémoires fait rage et certains opposent l'esclavage européen (le commerce triangulaire) à celui des pays arabes ou africains.
L’hypocrisie de ces gens qui reprochent « aux blancs » une colonisation d’il y a cinq siècles en 2017 et qui restent silencieux face a l’esclavage et autres trafiques humains qui perdurent encore aujourd’hui comme en Lybie, Mauritanie et Arabie Saoudite entre autres...
— Roxane Léna. (@iamroxanepope) November 18, 2017
Et dans ce cas, l'extrême droite n'est jamais loin. Comme le montre le message du chantre du «grand remplacement».
Je sais que c’est un combat qui peut paraître désespéré, que l’adversaire est formidable et que depuis des siècles que cela dure nous n’obtiendrons sans doute pas de résultats tout de suite, mais je m’engage résolument pour l’abolition de l’esclavage arabo-musulman.
— Renaud Camus (@RenaudCamus) November 16, 2017
L'occasion donc de rappeler une page d'histoire tunisienne. La Tunisie a aboli en effet officiellement l'esclavage avant le France.
l’expérience tunisienne de 1841-1846 de l’abolition de l’esclavage inscrite sur « Mémoire du Monde » de l’UNESCO https://t.co/zRyfeQSEek
— Christian BERNARD (@christian300658) November 10, 2017
Esclavage: des exemples qui dépassent le cas libyen
Plus intéressant, beaucoup de twittos estiment que l'esclavage perdure dans de nombreux pays et que la Libye n'est pas le seul cas où il ferait son retour. Certains rappellent que des situations identiques existent ou ont pu exister récemment en Egypte, dans la péninsule du Sinaï, route empruntée par de nombreux migrants, érythréens notamment.
Il est temps, l'esclavage n'a pas commencé hier en Libye !https://t.co/Voq1xwBWrV
— Isabelles.s2 (@Isabelles_s2) November 19, 2017
Le Sinaï, terre de torture des migrants de la Corne de l'Afrique https://t.co/2g19qZwHf3 via @RFIAfrique
D'autres élargissent encore les zones où l'esclavage peut exister.
Depuis au moins 2011 des images de personnes noires en cage, réduites à l'esclavage, circulent. Parce que ce sont des noir-e-s, parce que le racisme à leur encontre est le + répandu et violent à travers le monde, c'est très peu couvert ou pas du tout https://t.co/Q8EVxpBt1k
— Warda Mohamed (@WardaMD) November 20, 2017
La très sérieuse Agence France Presse a d'ailleurs publié une carte qui recense les cas d'esclavage dans le monde. Même si tous les cas sont loin d'être comparables.
L'esclavage dans le monde en 2016 : estimations par pays de @WalkFreeFdn.#AFP pic.twitter.com/B7H2ZeLLlC
— Simon Malfatto (@simalfatto) November 19, 2017
Comme le dit Christine Taubira, «Mentalité archaïque, appât du gain, sexisme, racisme font le cocktail de l'esclavage et de toutes les traites des personnes.»
#EncheresLybie, illustration triste mais implacable: l'époque n'a rien à voir. Mentalité archaïque, appât du gain, sexisme, racisme font le cocktail de l'esclavage et de toutes les traites des personnes. Bricolage minable ou système organisé, la lutte doit être implacable
— Christiane Taubira (@ChTaubira) November 19, 2017
ChT
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