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Ghana: après l’assassinat d’un de ses journalistes, le collectif Tiger Eye poursuit son combat anti-corruption

Le journaliste ghanéen Ahmad Hussein Suale a été assassiné, le 16 janvier 2019, de trois balles tirées à bout portant. Sa mort fait suite à la diffusion d’un documentaire dénonçant la corruption dans le milieu du football. Ahmad Hussein Suale faisait partie d’un collectif de journalistes d’investigation, Tiger Eye, très populaire dans le pays.

Article rédigé par Michel Lachkar
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Le journaliste ghanéen Anas Aremeyaw Anas participe, visage caché, aux funérailles de son collègue et ami Ahmad Hussein Suale, assassiné le 16 janvier 2019 à Accra après une enquête sur la corruption dans le milieu du football. (FRANCIS KOKOROKO / X03672)

Le journaliste ghanéen, assassiné dans les rues d'Accra par des assaillants à moto, venait de terminer «Number 12», un reportage tourné en caméra cachée, mettant en évidence la corruption dans le milieu du football.

L'enquête révèle qu'une centaine d'officiels du football africain ont reçu des pots-de-vin. Parmi eux, un arbitre kényan qui devait officier à la Coupe du monde

Suite aux révélations de ce scandale, plus de 50 arbitres ont été suspendus par la Confédération africaine de football (CAF). Mais Ahmad Hussein Suale l’a payé de sa vie: trois balles dans la poitrine, alors qu’il rentrait à son domicile à Accra.

L'appel à la haine contre Ahmed Hussein Suale

Quelques jours avant son assassinat, un député du parti au pouvoir, Kennedy Agyapong, avait diffusé la photo du journaliste Ahmed Hussein Suale à la télévision. Il avait même promis une récompense à quiconque le passerait à tabac.

Ahmed Hussein Suale n'a pas été tabassé, mais assassiné. Depuis, le député a été interrogé par le département d’enquête criminelle.

Cet assassinat a suscité l'indignation du président ghanéen Afuko-Addo et des Nations Unies.

Une affiche annonce la diffusion du documentaire "Numéro 12" qui a révélé la corruption sévissant au sein de la fédération ghanéenne de football. Photo prise à Accra, capitale du Ghana, le 10 juin 2018. (CRISTINA ALDEHUELA / AFP)

Rien n'échappe à Tiger Eye

Le journaliste, très populaire, faisait partie d’un collectif, connu sous le nom de Tiger Eye (L'Œil du tigre) et dirigé par l’enquêteur Anas Aremeyaw Anas (un pseudonyme). Celui-ci est entré dans la clandestinité.

Cela faisait des années qu'Ahmed Hussein Suale dénonçait avec courage la corruption au sein de la police et de la justice au Ghana. En 2015, il avait dévoilé les problèmes du système judiciaire dans "Ghana in the Eyes of God"  ("Le Ghana dans les yeux de Dieu"), révélant que des juges touchaient des pots-de-vin. Lesquels influençaient leurs décisions de justice. 

Dans un documentaire intitulé "Bad Cops" ("Mauvais flics") et tourné en 2016 en caméra cachée, le collectif révélait l’ampleur de la corruption à tous les niveaux de la police ghanéenne. Il dénonçait le racket systématique des automobilistes, après avoir réussi à se faire embaucher au sein d’une unité de police chargée de la sécurité routière.

Déjà dans l'une de ses premières enquêtes, filmée en 1999, «The Burger Story» ("Histoire de burger"), un journaliste de Tiger Eye se faisait passer pour un vendeur de rue racketté par des policiers.

En 2003, le collectif avait tourné, toujours en caméra cachée, un documentaire sur les conditions de vie des soutiers de la pêche industrielle dans le golfe de Guinée. Des hommes exploités à bord de «bateaux prisons», d’où ils ne pouvaient s’échapper.

Triste nouvelle, mais nous ne serons pas réduits au silence. Repose en paix, Ahmed

Anas Aremeyaw Anas

vidéo

En 2005, Tiger Eye avait attiré l'attention sur les exactions des rebelles ivoiriens. La vidéo "Bole Rebel Raid" ("Le raid des rebelles du Bole") montrait la souffrance de la population des villes frontalières (entre le Ghana et la Côte d’Ivoire), soumise à des abus et à la torture.

En 2006, dans «Eurofood Scandal» ("Le scandale d'Eurofood"), les journalistes d'investigation avaient enquêté sur une société utilisant de la farine périmée pour ses productions alimentaires. Un travail de longue haleine tourné dans plusieurs pays d'Afrique.

La même année, le collectif avait produit un documentaire appelé "Torture Chamber of Bangkok Prisons" ("Chambre de torture dans les prisons de Bangkok") où il faisait parler des détenus ghanéens, soumis à des traitements inhumains dans un centre de détention de la capitale thaïlandaise.

En 2007, il avait mené des investigations dans une maison de passe ghanéenne ("Soja Bar Prostitution") et dénoncé la traite des êtres humains. 

Tiger Eye compte à son actif plusieurs dizaines de documentaires.

Intimider les journalistes 

Au lendemain de l'assassinat de son ami et collègue, Anas Aremeyaw Anas  appelait à poursuivre le combat pour la justice et à ne pas céder à la barbarie : "Le phénomène (Tiger Eye) n'est pas un individu, c'est un mouvement, c'est un groupe de personnes engagées, donc si on tue (l'un de ses journalistes), comme cela vient de se passer, vous ne l’avez pas supprimé dans l'esprit des gens. J'encourage tout le monde à rester ferme et concentré, il y a beaucoup à faire pour rendre ce pays sûr, pour rendre l'Afrique meilleure. C’est notre tour et si nous ne le faisons pas, la postérité ne nous pardonnera pas.»

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