"Ils font disparaître les corps" : la peur des crimes rituels reste vivace au Gabon
Plusieurs centaines de morts ont été enregistrées au cours des quinze dernières années. L'élite politique gabonaise est pointée du doigt par une association de victimes.
C’est un père de famille marqué à jamais par la perte d’un être cher. Jean Elvis Ebang Ondo a perdu son fils de 12 ans dans des conditions particulièrement tragiques. C’était en 2005 au Gabon.
Mon enfant a été enlevé, séquestré. Son corps démembré a été retrouvé sur une plage au bord de la mer à Libreville. Les enquêtes n'aboutissent jamais
Jean Elvis Ebang Ondo, Association de lutte contre les crimes rituelsà franceinfo Afrique
Depuis ce drame, Jean Elvis Ebang s’est mobilisé avec d’autres parents de victimes contre "le marché du crime rituel". C’est ainsi qu’est née l’Association de lutte contre les crimes rituels au Gabon dont il est président. Il explique à franceinfo Afrique que malgré les démentis répétés des autorités, les phénomènes d’infanticide, de cannibalisme et de fétichisme n’ont jamais disparu du Gabon. Il en veut pour preuve la psychose qui s’est emparée de ses compatriotes au début de l’année, alors que les réseaux sociaux bruissaient de rumeurs d’enlèvements d’enfants à Libreville et dans d’autres villes du pays.
"Ils changent de mode opératoire"
Les autorités ont reconnu un seul cas d’enlèvement avéré d’un jeune garçon de trois ans dans le nord du pays. Libreville a apporté un démenti formel "aux rumeurs sur une vague d’enlèvements" propagées sur les réseaux sociaux. Cela n’a pas empêché les parents de mettre leurs enfants à l’abri pendant plusieurs jours. Les écoles de Libreville, sécurisées par les forces de sécurité, n’ont rouvert leurs portes que le 3 février 2020.
"Quand on parle d’enlèvements, tous les Gabonais pensent directement aux crimes rituels. Depuis 15 ans, nous travaillons sur la question. Plus on les dénonce, plus ils changent de mode opératoire. Avant, les tueurs jetaient les corps de leurs victimes dans la nature. Aujourd’hui, ils les font disparaître", dénonce Jean Elvis Ebang.
Le président de l’Association de lutte contre les crimes rituels au Gabon décrit des pratiques occultes particulièrement sauvages, dont le seul but est de "maintenir au pouvoir leurs commanditaires et leur procurer des richesses matérielles". Il parle d’une véritable "mafia du crime" qui dispose de réseaux bien organisés. Avec un calendrier et des périodes bien définies pour commettre leurs crimes rituels. "Ces forces du mal" profiteraient des événements politiques notamment pour cibler des personnes. Les victimes meurent souvent après avoir subi des souffrances atroces, témoigne Jean Elvis Ebang.
Ils peuvent couper le sexe ou le nez de leurs victimes, ou retirer leur sang qui est bu dans les temples démoniaques. Ils récupèrent ces organes pendant que la personne est encore vivante
Jean Elvis Ebang Ondo, Association de lutte contre les crimes rituelsà franceinfo Afrique
En 2012, la chaîne de télévision française Canal + avait diffusé un reportage intitulé Les organes du pouvoir sur le phénomène des crimes rituels au Gabon. Dans ce document glaçant, un féticheur expliquait que la souffrance de la victime était un élément indispensable pour garantir l’efficacité du fétiche.
"Lorsqu’on vous coupe le clitoris vivant, qu’on vous coupe la langue vivant, vous criez. Et plus vous avez mal, plus vous vous dédoublez et plus vous serez utile", témoignait le féticheur tout en précisant que les organes humains sont très recommandés pour accéder au pouvoir. On y apprenait aussi que les organes humains "les plus prisés" pour le pouvoir étaient le cœur, pour "rassembler les foules", la langue pour "s’exprimer facilement", et les organes génitaux "qui apportent la vitalité".
"Le règne de l'impunité"
La diffusion de ce reportage avait provoqué un électrochoc au Gabon. Mais les assassinats n’avaient pas cessé pour autant. En 2013, l’Association de lutte contre les crimes rituels s’était émue de la découverte de corps de jeunes filles démembrées sur les plages gabonaises. Jean Elvis Ebang dénonce un manque de volonté politique pour éradiquer ce fléau.
"Il y a eu des condamnations de certains bourreaux, mais les commanditaires n’ont jamais été inquiétés et l’impunité persiste. Ce sont de hautes personnalités qui paralysent la machine à cause de leurs croyances. Ils veulent se maintenir au pouvoir et accéder à la richesse à tout prix", accuse-t-il.
En 2013, l’Association de lutte contre les crimes rituels avait organisé une marche de protestation. Elle avait remis au président Ali Bongo un mémorandum sur la question. Malheureusement, sept ans après, le comité de suivi promis par le pouvoir n’a toujours pas été mis en place, déplore le président de l’Association. "Normalement, il faut travailler pour gagner sa vie. Ici, on ne met pas l’accent sur le mérite. On s’en remet à des sectes diaboliques pour satisfaire de folles ambitions", se désole Jean Elvis Ebang. Il plaide en faveur d’une justice indépendante dans son pays, capable de traquer et de sanctionner les commanditaires de ces crimes qui se poursuivent en toute impunité.
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