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Korèdugaw, les derniers bouffons sacrés du Mali

Article rédigé par Laurent Filippi
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 1min

Dans la société malienne, les bouffons rituels remettent en question le pouvoir, les comportements sociaux, la sexualité et le rapport à la mort.

Depuis une quinzaine d’années, Dany Leriche et Jean-Michel Fickinger, un couple de photographes, travaillent sur les minorités spirituelles et les cultures qui résistent à l’uniformisation occidentale. Leur dernier livre s’intéresse à la société des Korèdugaw du Mali, des "bouffons" qui ont un rôle essentiel de régulation sociale.

"Nous les montrons sur un fond blanc, pour les extraire de leur contexte, et instaurer une relation personnelle avec eux. Il s’agit pour nous de restituer tout leur poids spirituel et social par-delà l’exotisme des apparences. Le choix de les représenter est à la fois philosophique et artistique", expliquent les photographes à Jean-Christian Fleury, professeur de lettres et critique d’art spécialisé dans la photographie.

Mais mondialisation, attirance des jeunes pour les modes de vie urbains, prosélytisme des religions et "très grande contrainte" liée aux obligations qu’entraîne la responsabilité d’être Korèdugaw menacent la survie des bouffons. "C’est un engagement total, dont nous n’avons plus idée en Occident et qui effraie aujourd’hui les éventuels successeurs", précisent les photographes.

Depuis 2011, la société des Korèdugaw est inscrite sur la Liste du patrimoine immatériel de l’Unesco.

Ce travail est présenté à l'Espace 19-Paul Fort à Paris.

Les 18 photos de ce diaporama sont extraites du livre Korèdugaw-Les derniers bouffons sacrés du Mali, paru aux Editions Trans Photographic Press.

La société des Korèdugaw, les derniers bouffons du Mali, est une institution traditionnelle très répandue. Si la culture du pays "favorise par-dessus tout la retenue, la dignité et la décence, le Korèdugaw, lui, est autorisé à transgresser ces valeurs sociales dans les domaines les plus sensibles : la gloutonnerie, l’hygiène, la sexualité et l’infantilisme", explique Salia Malé, Directeur adjoint du Musée national du Mali. Qu’il soit agriculteur, commerçant, forgeron ou griot ; animiste, chrétien ou musulman, il est avant tout un homme libre. "Etre Korèduga est un état d’esprit, un état d’âme, inculqué par une culture initiatique particulière."    (DANY LERICHE ET JEAN-MICHEL FICKINGER/TRANS PHOTOGRAPHIC PRESS)
"Cette initiation commence à partir de sept ans pour se terminer à soixante-trois ans. Quand vous arrivez et que vous atteignez les soixante-trois ans, ça veut dire que vous entrez dans un autre univers, un autre monde, qui est le monde de la sagesse. Or, celui qui est déjà sage, devient patient, pardonne, ne fait pas la guerre, il ne peut pas sombrer dans certaines bêtises, dans une certaine laideur sociale, comme la calomnie, la médisance, la méchanceté, la brutalité, ça veut dire que vous devenez un homme plus que les autres", précise André Tiémoko Sanogo, secrétaire administratif dans le cercle des Korèdugaw de Sikasso.    (DANY LERICHE ET JEAN-MICHEL FICKINGER/TRANS PHOTOGRAPHIC PRESS)
La devise des Korèdugaw est "entre la nostalgie et la réjouissance, il y a l’amusement et le rire". André Tiémoko Sanogo déclare qu’ils sont par définition "les maîtres du rire, les maîtres de l’humour, parce que chaque fois qu’un homme est laissé à lui-même, obligatoirement il sombre dans une certaine psychose, une certaine angoisse. Alors, il faut obligatoirement des gens pour le distraire ou le soustraire à cette angoisse, le tirer vers l’humour, la distraction. C’est pourquoi ce mouvement est né, mais à mesure que l’on avance dans l’histoire, dans l’évolution sociale, alors on a donné un peu plus de poids, plus de statut, plus de formation à cette confrérie."    (DANY LERICHE ET JEAN-MICHEL FICKINGER/TRANS PHOTOGRAPHIC PRESS)
Aujourd’hui, "les Korèdugaw interviennent sur demande soit du chef de village, soit d’un particulier à l’occasion d’un événement : baptême, mariage, inauguration politique, festival, funérailles… Ils ne vont pas au hasard de village en village, ce ne sont pas des errants", expliquent les photographes Dany Leriche et Jean-Michel Fickinger. Si l’on peut croire à première vue que le but essentiel est uniquement de distraire les foules au regard de la joie qu’ils déclenchent, il n’en est rien. "Les événements auxquels ils sont invités sont des prétextes pour les faire venir afin qu’ils enseignent une sagesse, une véritable philosophie de la vie", ajoutent-ils.    (DANY LERICHE ET JEAN-MICHEL FICKINGER/TRANS PHOTOGRAPHIC PRESS)
Grâce à son rôle de bouffon, le Korèdugaw peut à travers l’humour être un pédagogue et un médiateur social en abordant les problèmes et les tares des communautés qu’il rencontre.   Quand une crise éclate au sein d’un couple, d’une famille ou d’un village, il est appelé pour la résoudre et la désamorcer. A l’égal d’un sage, il doit toujours être exemplaire, une référence. Humble et détaché du monde matériel, il est le miroir des personnes fragilisées et marginalisées. Obligatoirement non violent, il doit "créer la joie dans les cœurs", déclare Yaouaga Félix Koné, dit Kulariyi, directeur de Recherche à l’Institut des Sciences Humaines du Mali.    (DANY LERICHE ET JEAN-MICHEL FICKINGER/TRANS PHOTOGRAPHIC PRESS)
Le comportement du Korèdugaw est une "subversion contrôlée". Car à travers la moquerie, la bouffonnerie, en endossant le rôle du fou ou de l’idiot du village, il devient le sage qui permet de dire la vérité, de juger "le comportement des autres et (d’)éprouver la solidité des coutumes, des conventions sociales. (…) Il parodie et ridiculise absolument tout ce qui lui vient à l’esprit. Il fonctionne dans une logique d’opposition à la société et à sa culture, une logique d’inversion de l’ordre. Si pour tout le monde la vie est une succession de bonheur et de malheur, le Korèdugaw estime que les moments de malheur ne valent pas la peine d’être vécus comme tels. Pour lui, le malheur est le bonheur, il ne veut pas de malheur. Il ne veut même pas nommer la mort, ou en entendre parler", explique Salia Malé.    (DANY LERICHE ET JEAN-MICHEL FICKINGER/TRANS PHOTOGRAPHIC PRESS)
Equipés de tambours, de xylophones, de harpes, de clochettes, de castagnettes ou de hochets, les Korèdugaw accompagnent souvent leurs prestations de musique, de chants et de danses de gestes à caractère obscène. Une obscénité rituelle. Ils y ajoutent des tenues vestimentaires extravagantes et des accessoires qui font partie intégrante de leur personnage. "Leurs parures sont confectionnées à partir de vieux habits usés et troués auxquels s’ajoute une multitude de fragments collectés dans leur environnement", raconte l’anthropologue Laure Carbonnel. Vieilles perruques, lunettes cassées, bouteilles en plastique, ceintures de capsules, bouts de filets de pêche, cartouches, coquillages… Tous les accessoires du quotidien permettent de créer leur propre identité. "La parure montre non seulement l’engagement de l’individu dans la bouffonnerie, mais aussi le degré d’engagement de la bouffonnerie dans l’événement dans lequel il s’insère" ajoute-t-elle.    (DANY LERICHE ET JEAN-MICHEL FICKINGER/TRANS PHOTOGRAPHIC PRESS)
Gourmandise et gloutonnerie est le propre du Korèdugaw. Il est un "charognard, une hyène", car il mange n’importe quoi. La tradition rapporte que les Korèdugaw étaient sollicités à cause de leur gourmandise rituelle par de gros producteurs pour consommer le stock alimentaire vieux de trois à sept ans qui risquait de se gâter. Aujourd’hui, ces ponctions gloutonnes sont considérées comme étant positives, car elles annoncent ou facilitent la prospérité agricole. A l’instar du vautour (duga), leur animal référentiel, et de la hyène (suruku), symbole de voracité, les Korèdugaw consomment toutes sortes d’aliments, parfois répugnants pour un esprit normal. Pendant leur rituel, c’est l’occasion de se mettre de la nourriture partout comme un idiot en mal de trouver sa bouche en mangeant, sur son visage, sur celui de l’autre et des spectateurs, sans que cela n’offusque personne", précise Salia Malé    (DANY LERICHE ET JEAN-MICHEL FICKINGER/TRANS PHOTOGRAPHIC PRESS)
Pour sauvegarder cette culture et continuer à la faire exister, certains se reconvertissent en artistes modernes ou dans le champ musical. Mais, loin des scènes mondialisées, les Korèdugaw des villages continuent à défier tout le monde. "Maliennes, Maliens, quels que soient votre condition et votre statut social – riche, pauvre, président, maire, député, chef de famille ou de village, urbain, rural…– vous n’échapperez pas aux taquineries, à la provocation sexuelle des hommes et femmes Korèdugaw", déclare Salia Malé.    (DANY LERICHE ET JEAN-MICHEL FICKINGER/TRANS PHOTOGRAPHIC PRESS)

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