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Le djihad en RD-Congo: un califat en gestation dans les Grands Lacs africains

La ville de Beni, dans l’est de la République Démocratique du Congo, a été secouée cette semaine par de nouveaux affrontements à l’arme lourde entre l’armée congolaise et des miliciens. La région a été ravagée par des massacres qui ont fait des milliers de morts. Le journaliste congolais Nicaise Kibel’bel y a mené une enquête. Pour lui, un califat est en gestation dans cette province.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le camp d'entrainement de Madina est le quartier général des djihadistes dans la province du Nord-Kivu. (Photo/Nicaise Kibel'Oka)

 
Il règne dans ces contrées une barbarie exercée au nom de la charia, explique Nicaise Kibel’bel à Géopolis Afrique. Le journaliste d’investigation congolais connaît bien le Nord-Kivu, où les islamistes ont élu domicile. Ils recrutent à tour de bras des jeunes au sein d’une population effrayée et abandonnée à elle-même face à une véritable entreprise criminelle, dénonce notre confrère.
 
«Cette entreprise a commencé par une campagne de séduction. Elle s’est d’abord installée dans la grande forêt du parc national des Virunga, dans la grande forêt du Mont Ruwenzori. Elle a pris contact avec les populations locales. Elle a épousé des Congolaises. Elle a organisé un petit commerce avec des jeunes gens. Elle a tissé des liens presque indéboulonnables avec la population avant qu’elle ne commence à poser ses actes.»

Nicaise Kibel est un journaliste d'enquête congolais et auteur du livre «l'avènement du jihad en RD-Congo, un terrorisme ADF mal connu», paru aux éditions Scribe à Bruxelles. (Photo/Nicaise Kibel' bel Oka)

Le Kivu, ventre mou de la région des Grands lacs
L’installation des islamistes a été facilitée par le chaos qui règne dans cette région de l’est de la RDC. C’est le ventre mou de la région des Grands lacs africains qui regroupe autour de la RDC, l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie et le Kenya, constate Nicaise Kibel’bel qui tire la sonnette d’alarme dans un livre publié aux éditions Scribes intitulé L’avènement du Djihad en RD-Congo, un terrorisme islamiste ADF mal connu.
 
«Moi je ne parle pas au conditionnel. Je parle au présent. Le terrorisme islamique fait déjà rage. Dans mon livre, nous donnons des témoignages des rescapés, des otages, des enfants, des femmes violées, des cranes fracassés.» 
 
Des horreurs commises par des fanatiques musulmans issus de la secte pakistanaise Tabliq qui s’est installée d’abord en Tanzanie dans les années 1920. Comme l’indique l’auteur du livre, ils ont ensuite frappé en Ouganda à partir des années 1990 avant de se réfugier dans les montages du Ruwenzori, à l’est de la RDC, à partir de 1995.
 
«Effectivement, le terrorisme islamiste s’est installé dans le Kivu, notamment à Béni au Nord-Kivu par trois entrées. Vous avez Uvira qui est au Sud-Kivu à la frontière avec la Tanzanie; Béni, à la frontière avec l’Ouganda et l’Ituri au nord-est de la RDC. Ils ont bénéficié de la porosité des frontières et ont trouvé un terrain où les paysages leur sont  favorables. Avec la forêt et ses ravins, avec ses falaises, ses grottes et tout ce que la nature peut donner dans la forêt impénétrable du Parc des Virunga. C’est là qu’ils ont installé leur base qu’ils appellent Medina.»
 
«Leurs prisons sont des armoires à clous»
Medina, en plein cœur du Parc national des Virunga, est donc devenu le quartier général de ces djihadistes qui se réclament du groupe Défense Musulmane Internationale/ADF. Ils y font régner la terreur au nom du religieux.
 
«Ils sont venus comme de bons musulmans, puis ils ont commencé à pratiquer le Djihad. C'est-à-dire que vous avez à la main gauche le coran, à la main droite la Kalachnikov. Il faut voir ce qu’ils font. Par exemple, la décapitation, les mains ou les oreilles des gens sont coupées. Des punitions sous forme de coups de fouet jusqu’à ce que mort s’en suive. Ils font des crucifixions. Leurs prisons sont des armoires à clous où vous entrez debout et pour vous tuer, on fait bouger l’armoire pour que les clous rouillés vous pénètrent. Vous attrapez le tétanos et vous mourrez.» 
 
«La circulation d’armes est fluide»
Comment se procurent-ils les armes? Où trouvent-t-il les financements? Le journaliste Nicaise Kibel’bel croit savoir que les financements viennent de Grande-Bretagne, de Turquie et d’Arabie Saoudite. Mais les djihadistes exploitent aussi les richesses locales dont regorge le Kivu.
 
«Depuis plusieurs années, les islamistes ont géré la forêt et les parcs. Ils ont la main sur le commerce du bois de première qualité, sur le commerce du cacao, du café. Ils se sont installés dans une région qui, au niveau du sol et du sous-sol, offre des opportunités incroyables pour le commerce. Les conditions naturelles de la région participent à cette guerre et offrent des possibilités à ce califat d’exister en raison de la faiblesse de l’Etat et des forces de sécurité, même si l’armée se bat corps et âme.»
 
Quant aux armes, elles viendraient du Soudan et de Somalie, mais aussi des nombreux trafiquants qui sillonnent la région en toute impunité.
 
«La région est hors contrôle, la circulation d’armes est fluide. Vous avez aussi des armées qui sont presque en déliquescence, des braconniers dans les parcs, des bandits de grand chemin, des déserteurs des armées. C’est tout ce conglomérat qui fournit les armes. Et vous avez une économie hors circuit bancaire qui fait circuler plus de trois milliards de dollars chaque mois dans la région.»
Parmi les recrues, de jeunes garçons enrôlés de force dans les rangs du groupe djihadiste MDI/AFF. (Photo/Nicaise Kibel'Oka)

«Ils ont infiltré l’armée et la mission de l’ONU en RDC»
Le journaliste Nicaise Kibel’bel raconte à Géopolis Afrique comment la force de l’ONU en RDC est devenue totalement inopérante face aux islamistes. Elle compte pourtant plus de 20.000 Casques bleus dans la région. Les djihadistes seraient même parvenus à infiltrer ses services d’information et de renseignement et à tisser des liens au sein des forces armées congolaises où ils disposent de nombreux agents doubles.
 
«La mission des Nations Unies a commis peut-être l’erreur fatale de n’engager que des musulmans venant d’Afrique de l’Ouest dans son département chargé de la démobilisation et de la réinsertion. Ces musulmans sont venus et ont recruté de bonne foi des pisteurs ou des informateurs dans des mosquées. On leur a présenté des islamistes/ADF qui ont progressivement infiltré la mission puis les forces armées congolaises.»
 
La RDC, une zone de recrutement et de formation
Nicaise Kibel’bel constate que les mosquées poussent comme des champignons dans des villages qui ne comptent que quelques musulmans. Rien que dans la petite ville de Béni où il réside, il y a huit mosquées contre quatre églises catholiques alors que la population est majoritairement chrétienne.
 
Pour lui, le drame de la RDC, c’est que le monde ne veut pas reconnaître qu’il y a un djihad qui a pris racine dans ses provinces de l’Est et dont l’objectif est bel et bien la création d’un califat dans la région des Grands lacs africains.
 
«C’est ça l’objectif. Vous savez, il y a 12% de musulmans chez notre voisin immédiat l’Ouganda. Dans les années 2000, ils étaient seulement 7%. Vous avez des pays comme la Tanzanie et le Kenya où la majorité de la population est musulmane. L’objectif effectivement est d’installer un califat. La RDC sert comme une zone de recrutement et de formation au djihad, pour que ces gens formés en RDC puissent occuper toute la région des Grands Lacs. Et ils y tiennent mordicus.»
 
Les islamistes venus d'Ouganda se seraient diversifiés ces dernières années. Selon le journaliste congolais, ils auraient été rejoints par des Tanzaniens, des Rwandais, des Burundais, des Somaliens, des Erythréens et des Soudanais du Nord et du Sud. A la fin de son enquête, Nicaise Kibel'bel se demande pourquoi le monde entier tarde à intervenir face à une évidence.

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