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Les juifs d'Algérie, une communauté «modeste, voire pauvre»

Comme l’a rapporté Géopolis Afrique, l’Allemagne doit indemniser les juifs d’Algérie victimes de mesures antisémites prises par Vichy entre 1940 et 1942. Que représentait alors cette communauté? Et quelles persécutions a-t-elle subies? Les réponses de l’historien Jean Laloum, chercheur au CNRS, qui va publier en 2018 chez Belin un ouvrage consacré à l’«aryanisation des biens juifs en Algérie».
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min

Quelle était la situation des juifs en Algérie en 1940?
A l’origine, les premiers représentants de la communauté étaient présents avant la conquête arabe. Puis elle s’est formée avec l’apport de différentes vagues d’immigration.
 
En 1940, elle était forte de quelque 130.000 personnes, devenues françaises grâce au décret Crémieux de 1870. Globalement, c’était une population économiquement modeste, regroupant notamment des artisans et des commerçants. Nombre de juifs exerçaient aussi au sein de la petite fonction publique: ils étaient chefs de gare, gardiens de la paix, agents hospitaliers…

A la différence des colons, ils maîtrisaient toutes les subtilités de la langue arabe. Et ils entretenaient avec les musulmans des liens de proximité importants, de complicité d’individu à individu, notamment dans les relations commerciales. Même s’il n’y avait pas de mariages, ils représentaient ainsi une interface, une passerelle avec la population arabo-berbère.


Comment s’est appliquée la politique antisémite du régime de Vichy en Algérie?
Elle a été élaborée en métropole avec des décrets d’application spécifiques à l’Algérie, notamment pour les mesures appliquées aux établissements scolaires. Le gouverneur général était chargé de la mettre en œuvre pour régler la «question juive».
 
Globalement, il n’y a pas eu de déportation. Le port de l’étoile jaune a bien été envisagé et des projets ont été élaborés en ce sens. L’une des premières mesures antisémites a été l’abrogation du décret Crémieux qui a créé un énorme traumatisme, une grande désillusion au sein de la communauté. Car très tôt et très majoritairement, les juifs avaient choisi la France. Comme le prouvent, par exemple pendant la Première guerre mondiale, ces lettres de pères à leurs fils leur écrivant que ces derniers avaient l’honneur de porter l’uniforme français.
 
Outre l’abrogation du décret Crémieux, quelles ont été les mesures antisémites appliquées par l’Etat français?
On a notamment instauré un numerus clausus dans les écoles: à la rentrée 1941, seuls 14% d’élèves juifs ont été autorisés dans les écoles, pour passer à 7% l’année suivante. Les professions libérales ont été soumises au même système: avocats, médecins... Concernant les métiers de santé, certains professionnels musulmans ont alors fait valoir que la mesure était «contraire à l’intérêt général, et à celui des musulmans en particulier». En raison, notamment, de la répugnance des médecins coloniaux à soigner les «indigènes», traduisant les préjugés de leur clientèle européenne habituelle. Au printemps 1942, à cause de la persistance d’une épidémie de typhus, les mêmes milieux musulmans ont envisagé de lancer des pétitions pour demander au gouvernement de laisser les médecins juifs continuer à exercer jusqu’à l’extinction de la maladie. 

A côté de ces mesures, il y a aussi eu la mise en œuvre de la politique d’«aryanisation» des biens juifs, c’est-à-dire la confiscation de ces biens. Une politique interrompue par le débarquement allié en Afrique du Nord en 1942.
 

On possède sur cette période d’aryanisation économique très peu d’archives, qui sont extrêmement fragmentaires. Au cours de mes recherches, j’ai pu décompter, à partir des informations figurant dans les Journaux officiels de l’Algérie, la mise sous séquestre de 2857 entreprises, biens et valeurs appartenant à environ 1200 personnes de confession juive. Des mises sous séquestre gérées par 494 administrateurs provisoires nommés par le gouverneur général.
 
En quoi consistaient ces confiscations?
Il s’agissait principalement de biens immobiliers souvent détenus en indivision. Il y avait également des propriétés agricoles: exploitations, minoteries… Ainsi que des entreprises dans le secteur du cinéma: distribution…
 
Pour autant, ces éléments ne tiennent pas compte de ce que l’on appelle les «cessions de convenance». Autrement dit, certains ont préféré anticiper les confiscations et ont cédé leurs biens dans l’urgence. Mais on ne dispose là-dessus d’aucune donnée puisque pour ces affaires, il n’y a pas eu de dossiers de mise sous séquestre ni d’administrateurs provisoires.

A ce niveau, je voudrais insister sur le fait que la grande majorité de la population juive était modeste, voire pauvre.
 
Que s’est-il passé après le débarquement?
Tout s’est figé et l’on a commencé à mettre en place des mesures de rétrocession. Mais les choses n’ont avancé que cahin-caha. Le problème, c’était que ceux qui avaient œuvré pour les dépossessions se retrouvaient aux commandes pour les rétrocessions.
 

Comment, aujourd’hui, peut-on envisager un dédommagement?
L’éligibilité au dédommagement très récemment annoncé me semble être un grand mystère! Il faudra être en capacité de prouver sa judéité, au regard des papiers de caractère cultuel comme le certificat de mariage religieux, la ketouba, ou encore l’attestation de fréquentation d’un lieu de culte délivrée par un rabbin.
 
Dans le même temps, on estime que 25.000 à 30.000 personnes sont susceptibles de bénéficier d’une indemnité. Je m’interroge sur quelle base on se fonde pour avancer ces estimations.

Jean Laloum est historien, chercheur au GSRL (EPHE-CNRS).

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