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Maroc: 20 ans de prison ferme, un verdict «très lourd» pour 4 meneurs du Hirak
20 ans de prison ferme pour quatre meneurs du Hirak, dont le populaire Zefzafi, et entre 2 et 15 ans pour une cinquantaine d’autres manifestants du soulèvement d’octobre 2016 dans le Rif. Leurs défenseurs dénoncent un verdict «des années de plomb» tandis que l’avocat de la partie civile évoque des «peines légères» au regard de la peine de mort prévue pour «atteinte à la sûreté de l’Etat».
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Une femme sort en pleurs du tribunal en s’en remettant à Dieu, d’autres, le visage blême, arborent un triste V de la victoire, d’autres enfin s’aventurent à scander «En un mot, l’Etat est corrompu!»
«Des verdicts disproportionnés au regard des éléments du dossier»
C’est ainsi que les proches des 53 prévenus, jugés pour leur participation à la contestation du «Hirak» (la mouvance) qui a agité la région marocaine du Rif en octobre 2016, ont accueilli les verdicts prononcés dans la nuit du 26 au 27 juin 2018 par la chambre criminelle de la cour d’appel de Casablanca.
Au terme d’un procès de neuf mois, quatre meneurs du mouvement, le charismatique Nasser Zefzafi, ainsi que Nabil Ahmjiq, Ouassim Boustati et Samir Ighid ont été condamnés à 20 ans de prison ferme pour «complot visant à porter atteinte à la sécurité de l'Etat».
Trois autres personnes, Mohamed Haki, Zakaria Adehchour et Mahmoud Bouhenoud, ont été condamnées à 15 ans, 7 et 10 ans, d’autres encore à des peines allant de 2 à 5 ans de prison assorties d’amendes allant de de 90 à 450 euros.
Tout aussi choqués que les familles et amis, les avocats de la défense ont aussitôt dénoncé des «verdicts disproportionnés au regard des éléments du dossiers».
«Ce sont des peines très lourdes qui mettent à l’épreuve le degré d’engagement de l’Etat à respecter les droits de l’Homme et les libertés essentielles», s’est indignée l’avocate Souad Brahma devant les journalistes marocains.
Le Maroc est resté à un stade précolonial, selon une avocate de la défense
C’est une preuve que «tout ce qui a été dit sur l’indépendance de la justice, sur les réformes de la justice, sur le Maroc du XXIe siècle et sur le respect des droits de l’Homme, que tout ça n’a aucune existence réelle», a-t-elle ajouté.
«Ce qui vient de se produire est une preuve pour nous toutes et tous, que nous sommes restés à une situation du Maroc précolonial» a-t-elle lancé au site Ya Biladi.
Sous le titre Coup de massue pour les leaders du Hirak, Ya Biladi rapporte également l’indignation de Naïma el-Gallaf, autre avocate de la défense, qui a réagi sur son profil Facebook.
Parlant d’un retour «aux années de plomb», elle écrit: «Il n’y a pas de place pour les gens libres, dans un pays rongé par la corruption», et dénonce «l’impunité» réservée aux «corrompus».
Des peines «légères» au regard de la loi pour l'avocat de la partie civile
Les avocats de la défense ont refusé de plaider par solidarité avec les prévenus, qui ont boycotté les dernières audiences pour dénoncer la «partialité de la justice». Révoltés par les verdicts, ils ont toutefois décidé de faire appel.
En revanche, celui des parties civiles que sont l’Etat et ses agents s’est montré plutôt serein. «Les peines sont très légères par rapport à ce que prévoit la loi et à la façon dont ils se sont comportés devant le juge», a fait valoir Mohamed Karout.
Une manière de rappeler que le délit de «complot contre la sécurité de l’Etat» est passible de la peine de mort et de dire que les contestataires du Rif s’en tirent finalement à bon compte.
Pour les internautes «un retour aux années de plomb» du roi Hassan II
Au niveau de la société civile, les verdicts ont soulevé une vague de mécontentement. Un «simulacre de justice», a tweeté l'Association marocaine des droits de l'Homme (AMDH), tandis que quelques médias s’avançaient à souligner la «sévérité» des peines.
«Les décisions désastreuses de l'Etat menacent la stabilité et la cohésion du pays», a déclaré Nabila Mounib, figure de la gauche au Maroc à la tête du PSU (Parti socialiste unifié), lors d'une conférence sur la contestation sociale et les détentions politiques, le 27 mai à Casablanca.
Dans la nuit, des rassemblements ont eu lieu à Al-Hoceïma (nord), épicentre du Hirak, et dans la ville voisine d'Imzouren, autre haut lieu de la contestation, ont rapporté des médias locaux.
Des internautes ont pointé eux aussi un «retour en arrière» vers «les années de plomb», en allusion aux exactions commises sous le règne de l'ancien roi Hassan II entre les années 1960 et 1990.
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