Cet article date de plus de cinq ans.

Quand le "boom des minerais" favorise la violence en Afrique

Dans certains pays dont l'Etat est faible, comme en République démocratique du Congo, des groupes rebelles "taxent" la production minière pour financer leurs activités. Et la hausse des cours mondiaux les enrichit d'autant.

Article rédigé par The Conversation - Nicolas Berman, Aix-Marseille Université (AMU)
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Temps de lecture : 10min
Soldat des forces armées de la RDC stationné dans le Nord-Kivu, province orientale de la République démocratique du Congo (RDC), le 11 décembre 2018. (Reuters - GORAN TOMASEVIC / X90012)

La hausse du prix des minerais peut avoir de sanglantes conséquences en Afrique. C’est ce qu’ont observé Nicolas Berman, Mathieu Couttenier, Dominic Rohner, et Mathias Thoenig dans une étude récente parue dans The American Economic Review et portant sur l’ensemble de l’Afrique de 1997 à 2010. Le boom des prix de ces minerais en 2000 pourrait expliquer jusqu’à un quart des conflits en Afrique. La violence se déploie même au-delà des zones minières. Avec l’argent gagné, les rebelles déploient leurs combats en étendant leurs zones d’influence.

« Diamants de sang », « or des conflits », « coltan sanglant » les appellations sont nombreuses pour rappeler la guerre à laquelle se livrent les plus cupides. N’y a-t-il jamais de minerais sans violence ? Ce sujet a été largement discuté, mais peu d’études ont montré la relation causale entre hausse du prix des minerais et conflits. C’est le propos de cette analyse, parue dans American Economic Review et portant sur l’ensemble de l’Afrique de 1997 à 2010.

Le « boom » des minerais

Entre 2000 et 2009, le prix des minerais a plus que doublé en moyenne. Ce « boom des minerais » a été largement impulsé par le rôle de nouvelles puissances, comme la Chine ou l’Inde par exemple, qui ont considérablement augmenté leur demande. En 1997 une once d’or valait 338 dollars et en 2010, elle atteignait 1 084 dollars !

Les conséquences sur le terrain sont tout autant explosives… Sur la période étudiée, un quart des conflits observés sur le continent africain peut être expliqué par la hausse de ces cours mondiaux !

Près de deux tonnes d’or échapperaient aux autorités locales de l’Ituri, dans le nord-est de la RDC. United Nations/Flickr, CC BY-ND

En quadrillant l’Afrique par zones de 55 sur 55 km, l’étude se penche sur l’impact de l’augmentation du prix de 14 minerais. Ces résultats sont mis en relation avec une base de données géolocalisée des événements violents (des émeutes aux conflits civils en passant par les batailles entre groupes armés) sur tout le territoire africain.

Ce quadrillage à échelle locale va au-delà du cadre frontalier et réduit le poids des caractéristiques étatiques. Les conflits liés aux élections, les guerres inter-ethniques ou religieuses n’interfèrent pas avec les résultats. Chaque zone peut être comparée à sa voisine, qui lui est en tout point semblable, la présence de minerais mise à part. L’analyse permet donc d’affirmer que la hausse du prix a pour conséquence directe l’augmentation de la violence. Comment se répercute concrètement le cours des minerais sur le terrain ?

Financer l’avancée des milices

Rackets, extorsions ou encore profits : les groupes rebelles s’alimentent à travers la rente de ces mines. Lorsque l’État est faible, les mines sont convoitées par les groupes armés qui en font leur base arrière. En République Démocratique du Congo (RDC), secouée depuis plus de 20 ans par la guerre, plus de 40 milices quadrillent le territoire. Leur appétit est à la hauteur des richesses de la région : 70 % des réserves mondiales de coltan, des réserves en or, en diamant, en étain… D’autant que l’absence de l’État est patente. Entre mai 2012 et novembre 2013, un groupe appelé le M23 s’est établi sur le territoire congolais en développant une véritable administration et en créant des postes de ministres de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de l’Agriculture.

Conquérir une mine permet aux rebelles de générer des revenus en taxant la production ou la population locale, ou de bénéficier du support logistique des compagnies minières. Ce système repose souvent sur la promesse de protection pour les communautés sur place. Avec la manne d’argent recueillie, les milices peuvent financer leurs activités. Lorsque le prix des minerais augmente, leur capacité de combat s’accroît et ils peuvent alors étendre leurs zones d’influence.

À la suite de l’appropriation d’un territoire minier, l’étude montre que les groupes rebelles ont trois fois plus de chance de déployer leurs combats vers d’autres régions que des groupes qui conquièrent un territoire sans minerai. Cette escalade de violence est encore visible jusqu’à 1 000 kilomètres à la ronde. La détention d’une mine est donc bien un facteur déterminant. Au contraire, les groupes qui conquièrent un territoire sans minerai ne sont pas plus belliqueux. La détention d’une mine est donc bien un facteur déterminant. L’enjeu dépasse le simple contexte local. Pour soutenir le propos, l’étude identifie l’ethnie principale de chaque groupe armé et montre qu’une hausse du prix des minerais exploités dans leur territoire d’origine leur permet d’étendre leurs combats.

Une PlayStation pour Noël ?

C’est la consommation des pays développés qui fait varier le prix des minerais en grande partie. La demande de produits électroniques peut ébranler durablement les régions fournisseuses de minerais. À l’annonce de la sortie d’une nouvelle PlayStation par la firme Sony, au début 2000, une demande accrue en coltan, un de ses composants principaux, a engendré une augmentation de son prix de 90 dollars à 590 dollars par kilogramme.

L’engouement pour les produits électroniques en Occident a alimenté la hausse des prix. Twin Design/Shutterstock

La République Démocratique du Congo est apparue comme un terrain idéal pour les fournisseurs étrangers. Raul Sanchez de la Sierra a analysé les répercussions sur le terrain à travers une étude sur 380 zones minières. Selon cet économiste, suite à la hausse des prix, les milices se sont multipliées dans les sites de coltan et la violence s’est accrue. Malgré la baisse des prix, elles sont restées sur le territoire, entraînant des perturbations à long terme pour les villages alentours. À travers son effet sur les cours mondiaux, notre consommation peut donc créer une véritable onde de choc.

Dans la région des Grands Lacs, le chemin suivi par l’argent emprunte bien souvent des canaux inofficieux. Selon le quotidien Le Monde, près de deux tonnes d’or filent entre les doigts des autorités locales de l’Ituri (une région du nord-est de la RDC) chaque mois, alors qu’officiellement, seulement 33 kilos sont reportés par an ! Le même schéma se répète pour le coltan. Un rapport du Conseil de sécurité des Nations unies datant de 2014 a ainsi dénoncé l’évaporation des minerais congolais, en mettant en cause le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi. Les chiffres sont pour le moins suspects. Alors que la RDC détient 70 % des réserves mondiales, le Rwanda a été, entre 2013 et 2014, le premier exportateur mondial de coltan.

Qui en paye le prix ?

Les milices ne sont pas les seuls éléments perturbateurs de ces régions. Mais parmi ceux qui en payent le prix, les populations sont les premières touchées. Travail forcé, main d’œuvre peu chère, non-respect des droits individuels sont le lot quotidien des mineurs africains. Derrière cette force laborieuse quasi gratuite, le risque d’émeutes ou révoltes accroît aussi l’insécurité.

Les populations civiles sont les premières touchées par les violences. Julien Harneis/Flickr, CC BY-SA

Pour les deux chercheurs américains Samuel Bazzi et Christopher Blattman, les mines sont de véritables poudrières à ciel ouvert. L’augmentation du cours des minerais entraîne la cupidité et l’intérêt des voisins. Les nouvelles opportunités économiques minières et l’insécurité génèrent d’importants mouvements de population et changements sociodémographiques, déstabilisant davantage les régions. Et derrière l’exploitation à outrance des sites miniers, les enjeux environnementaux se transforment parfois en disputes territoriales.

Ressources minières et violence sont-elles intrinsèques ? L’étude en souligne bien le risque. Les entreprises multinationales et les États ne peuvent rester spectateurs – voire acteurs ! – de ces exactions. Pour contrer cette tendance, ils peuvent construire des bases solides en s’attaquant à la corruption et en privilégiant la transparence. L’impact des mesures en la matière fera d’ailleurs l’objet d’un prochain article.


Cet article a été rédigé par Claire Lapique en collaboration avec Nicolas Berman, et publié dans la revue « Dialogues économiques » de l’AMSE, l’école d’économie d’Aix-Marseille, en partenariat avec The Conversation France.The Conversation

Nicolas Berman, Chercheur en économie, CNRS, Aix-Marseille School of Economics (AMSE), Aix-Marseille Université (AMU)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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