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Tunisie: «l'affaire du bisou» relance la bataille pour la liberté des mœurs

Printemps tunisien pas mort? Des citoyens continuent en tout cas de se mobiliser pour dénoncer toute atteinte aux libertés, notamment en matière de mœurs. Dernier acte en date, la campagne de baisers amoureux lancée en protestation à la condamnation à la prison ferme d’un couple en train de s’embrasser en public. L’ambassadeur de France à Tunis s’est dit très préoccupé par un tel verdict.
Article rédigé par Alain Chémali
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
L'ambassadeur de france en Tunise, Olivier Poivre d'Arvor (à droite), recevant Leila Haouala, la mère du Franco-Algérien condamné, Nessim Ouadi, et son avocat, Ghazi Mrabet, le 8 octobre 2017 à Tunis. (Capture d'écran du site de la chaîne tunisienne généraliste Nessmatev)

L«affaire du bisou», comme l’ont baptisée les Tunisiens, aurait pu n’être qu’un fait divers sordide et rester discret. Mais c’était compter sans la vigilance des citoyens défendant pied à pied leur espace de liberté sans cesse menacé, surtout en matière d’affaires de mœurs.
 
Décriminaliser le baiser, même dans un lieu public
La condamnation à plusieurs mois de prison ferme pour «atteinte à la pudeur» d’un couple qui s’embrassait dans une voiture stationnée en pleine nuit sur le bas-côté de la route, a soulevé une vague de protestation sur les réseaux sociaux. Elle a même pris une dimension diplomatique avec l’intervention de l’ambassadeur de France à Tunis.
 
De nombreux citoyens, dont l’ancien ministre des Technologies de l’information et de la communication dans le gouvernement Essid, et le député de Nidaa Tounes, Raouf el-May, ont posté des photos échangeant des baisers amoureux avec leur partenaire.
 
Objectif de la campagne, selon le site tunisien Kapitalis, «mettre la pression sur les autorités judiciaires et politiques pour les appeler à changer des lois du pays pour ne plus considérer un baiser, même dans un lieu public, comme une atteinte à la pudeur».

Des personnalités tunisiennes telles le député Raouf el-May, le défunt président Habib Bourguiba ou Hamma Hamami embrassant leurs épouses ou compagnes, publiées en solidarité avec le couple condamné pour «atteinte aux mœurs». (Capture d'écran du site tunisien Kapitalis.)
 
Pour Ghazi Mrabet, l’avocat de Nessim Ouadi, le jeune Franco-Algérien condamné dans cette affaire avec sa partenaire, le problème est plus profond qu’une question morale. «Ce cas renforce un système où la police est confortée dans sa toute-puissance.»

L'«affaire du bisou» prend une dimension diplomatique 
Cette vigilance citoyenne sur les atteintes aux libertés publiques, qu’elles soient du fait des politiques ou de la pression des islamistes, a trouvé écho auprès d’Olivier Poivre d’Arvor, l’ambassadeur de France en Tunisie.
 
Ce dernier a reçu le 8 octobre 2017, au siège de l’ambassade dans le centre-ville de Tunis, Leila Haouala, la mère de Nessim, venue de France s'encquérir de la situation de son fils, ainsi que son avocat. A l’issue de cette rencontre, le diplomate français s’est exprimé sur la question.

 
Dans un post sur Facebook, il s’est dit «très préoccupé par la condamnation de mon compatriote Nessim et de son amie tunisienne. J’ai également reçu leur avocat, maître Ghazi Mrabet qui, comme moi, fait confiance à la justice tunisienne pour trouver une issue heureuse à l’occasion de leur procès en appel.»
 

Auparavant, Ouassila Ouadi, la sœur de Nessim, avait lancé une pétition pour appeler l’ambassadeur de France à intervenir dans l’affaire de son frère, «détenu pour avoir embrassé son amie tunbisienne, dans leur voiture, arrêté sur un parking de Gammarth au nord de Tunis», rapporte le site Kapitalis.

La société civile engrange des acquis 
Ce nouveau scandale où se mêlent inextricablement intérêts politiques, pratiques policières et décisions judiciaires, vient une nouvelle fois illustrer la résistance de la société civile. Il intervient après plusieurs victoires enregistrées ces derniers mois sur la question des libertés de mœurs.

Le 27 juillet 2017, le Parlement a voté à une très large majorité une loi contre la violence faite aux femmes. Désormais, le harcèlement sexuel dans les lieux publics, l’emploi d’enfants pour des tâches domestiques et l’inégalité des salaires homme-femme (les Tunisiennes gagnent 85% du salaire des hommes) sont pénalisés.
 
Le 14 septembre 2017, la Tunisie abolissait l’interdiction du mariage des femmes avec des non-musulmans. Suite à une plainte déposée par des organisations de la société civile et appuyée par le président Béji Caïd Essebsi, «tous les textes liés à l’interdiction du mariage de la Tunisienne avec un étranger, à savoir la circulaire de 1973, et tous les textes semblables, ont été annulés», s’était félicité sur son site Saïda Garrach, avocate et militante féministe surnommée L’amazone de Carthage.
 
Dix jours plus tard, le 24 septembre, Tunis s’engageait, sans toutefois avancer de date, à ne plus imposer le test anal aux personnes poursuivies pour homosexualité. Un engagement pris suite à des recommandations du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies pour l’amélioration de ces droits.

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