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Le Soudan du Sud au bord du gouffre, cinq ans après son indépendance

Sur le papier, la paix est de retour. Mais la guerre civile, qui a commencé en 2013, a laissé de graves séquelles. A court d'argent, le Soudan du Sud a dû renoncer à célébrer le cinquième anniversaire de son indépendance en grande pompe. Le pays peine à trouver la voie de la stabilité politique et économique.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8min
9 juillet 2011. «Nous jurons de protéger notre pays indépendant», indique cette pancarte, brandie lors d'une cérémonie célébrant l'indépendance du pays à Juba, capitale du Soudan du Sud.

La joie qui illuminait les visages le 9 juillet 2011, jour de la déclaration d'indépendance du Soudan du Sud, est bien loin. En cinq ans, la jeune nation aura passé la moitié de son existence en guerre et les perspectives économiques s'assombrissent d'année en année. 

Les Sud-Soudanais sont prévenus depuis le 24 juin 2016: il n'y aura pas de célébration officielle de l'indépendance. La raison: les caisses de l'Etat sont vides. C'est la première fois que le plus jeune Etat indépendant du monde est obligé de renoncer à cette cérémonie. 

Michael Makuei Lueth, le ministre sud-soudanais de l'Information et porte-parole du gouvernement, a fait savoir que son pays ne pouvait pas se permettre de dépenser des millions de livres sud-soudanaises pour marquer l'événement. Il a confié à l'agence de presse chinoise Xinhua que l'argent serait plutôt utilisé pour payer les fonctionnaires, notamment les enseignants et les juges. 

Wuor Luk, jeune Sud-Soudanais de 28 ans, a peint sur sa tête les couleurs de son pays (9 juillet 2011).   (AFP PHOTO/Roberto SCHMIDT )

 
Moins d'or noir
L'économie sud-soudanaise est exsangue après deux ans et demi d'une guerre civile qui a fait des dizaines de milliers de morts et plus de 2,3 millions de déplacés. 

Le conflit a démarré mi-décembre 2013 après que le président Salva Kiir a accusé son actuel vice-président Riek Machar de fomenter un coup d'Etat. Il s'est officiellement achevé par la signature d'un accord de paix en  août 2015 et la formation d'un gouvernement d'union nationale en avril 2016. Cependant, le pays n'est toujours pas pacifié. 

La guerre a eu une incidence directe sur les revenus pétroliers dont dépend à 98% le budget national. Avant les combats, indique Sudan Tribune, le Soudan du Sud produisait 240.000 barils de pétrole par jour. La production est tombée à 160.000 dès le début du conflit. 

28 février 2015. Site pétrolier de Thar Jath à l'abandon dans l'Etat d'Unité, au Soudan du Sud. (Tony Karumba/AFP)


Selon John Dor Majok, vice-gouverneur de la banque centrale, l'amélioration de la situation économique passe inévitablement par le pétrole. «La seule chose qui peut nous sauver, c'est d'avoir plus de dollars, de faire en sorte que la production retrouve les niveaux d'avant la crise», a-t-il déclaré, cité par Sudan Tribune. Mais rien n'est moins sûr. 

Les champs pétroliers exploités par le Soudan du Sud sont localisés dans les Etats d'Unité et du Haut-Nil mais seuls ceux du Haut-Nil sont actuellement mis à contribution pour cause d'insécurité.

Cependant, selon Radio Tamasuj qui couvre l'actualité sud-soudanaise, même si la production redémarrait en 2016 dans l'Etat d'Unité, elle ne pourrait pas dépasser le pic de 175.000 barils par jour, soit moins de la moitié de la production de 2009 qui atteignait 360.000 barils. A cela s'ajoute, le bas niveau du cours du pétrole qui stagne depuis des mois sous le seuil des 50 dollars le baril. Pour l'heure, «le déficit budgétaire devrait atteindre 1,1 milliard de dollars (en 2016), soit 25% du PIB», indique l'AFP.

Une économie à genoux
Selon le journal soudanais Sudan Tribune, la banque centrale ne disposait à la fin juin que d'un mois de réserves de change. «Celles que nous avons ne peuvent couvrir que cinq semaines d'importations», affirmait le 23 juin 2016 sur les ondes de la Radio Miraya John Dor Majok. «Après cela, il n'y aura plus de produits sur le marché», du moins pas à la portée de toutes les bourses à cause de l'inflation, précise Sudan Tribune.

L'inflation avoisine les 300% depuis la dévaluation de la livre sud-soudanaise mi-décembre 2015. ​La banque centrale avait renoncé au maintien de la parité fixe avec le dollar après deux ans de guerre civile. Depuis, la livre sud-soudanaise s'est dépréciée de 90%. Selon Sudan Tribune, 50 livres sud-soudanaises valent environ un dollar. 

Pour faire face à la sévère crise économique que traverse le pays, le gouvernement s'est déjà mis à la diète. Les nouveaux ministres de la transition n'ont pas eu droit à de nouveaux véhicules et ceux qui ont été débarqués du précédent gouvernement ont été priés de quitter leur maison de fonction, rapporte Sudan Tribune. Cependant la crise est profonde. 


Le président Salva Kiir montre les nouveaux billets de la monnaie sud-soudanaise le 18 juillet 2011, à Juba quelques jours après l'indépendance du pays.  (AFP PHOTO/STR)

Violences et crise alimentaire 
Les agences des Nations Unies tiraient la sonnette d'alarme fin juin 2016: «Près de 4,8 millions de personnes, soit plus du tiers de la population, seront confrontées à de graves pénuries alimentaires au cours des prochains mois alors que le risque de catastrophe alimentaire continue de menacer certaines parties du pays.»

«Nous sommes très inquiets de constater que l'insécurité alimentaire se propage au-delà des zones de conflit, déclarait Serge Tissot, le représentant de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) au Soudan du Sud. «La flambée des prix, les routes impraticables et le dysfonctionnement des marchés empêchant de nombreuses familles, même celles des villes, d'accéder à la nourriture». 

A l'indépendance du Soudan du Sud, la Banque mondiale avait souligné que le pays ne serait pas économiquement viable avant plusieurs décennies. Les troubles politiques laissent pessimistes.

Le Fonds monétaire international (FMI) a déjà prévenu Juba que d'importantes réformes devaient être conduites pour éviter une plus grande détérioration de la situation économique. Le retour de la stabilité politique étant un prérequis.

11 mai 2016. Déplacés internes s'enregistrant dans la ville de Wau, au Soudan du Sud, auprès du Programme alimentaire mondial (PAM) et de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).  (ALBERT GONZALEZ FARRAN / AFP)



Le Conseil de sécurité des Nations Unies s'est dit préoccupé, début juillet 2016, «face à la poursuite des violences dans tout le pays» et «exigé» que les parties signataires de l'accord de paix «accélèrent (sa) mise en œuvre afin de rétablir la paix (sur l'ensemble du territoire sud-soudanais)». 

La déclaration faisait suite aux affrontements qui ont éclaté le 24 juin 2016 dans la ville de Wau, devenue la deuxième ville la plus peuplée du Soudan du Sud du fait des personnes qui y ont trouvé refuge pour fuir les zones de conflit. Les combats avaient fait 70.000 déplacés, selon les Nations Unies.

De même, à la veille de la fête de l'indépendance, le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon s'est dit «profondément alarmé par la poursuite des combats à Juba (la capitale sud-soudanaise) entre les soldats de l'Armée populaire de libération du Soudan (APLS) et l'APLS dans l'opposition (belligérants de la guerre civile)» dans un communiqué publié le 8 juillet 2016

Dans la soirée, à Juba, des tirs avaient été entendus aux alentours du palais présidentiel ou le président Salva Kiir et son vice-président Riek Machar étaient réunis pour une conférence de presse où ils évoquaient la situation sécuritaire dans le pays. La veille, le 7 juillet 2016, un accochage entre des éléments de l'armée régulière et de l'ex-rébellion avait causé la mort de cinq soldats loyalistes à Juba. Une enquête a été ouverte et les responsables politiques sud-soudanais ont multiplié les appels au calme.

Ban Ki-moon a, quant à lui, «(prié) instamment le Président Kiir et le Premier Vice-Président Riek Machar de mettre immédiatement un terme à la poursuite des combats, de discipliner les chefs militaires responsables de la violence et, enfin, de travailler ensemble en tant que partenaires pour mettre en œuvre l'Accord sur la résolution du conflit au Soudan du Sud»

Pour les Sud-Soudanais, le cinquième anniversaire de cette indépendance, conquise dans le sang, a un goût amer et ils devront se contenter d'un discours du président Salva Kiir leur «rappelant» que le 9 juillet est bien un jour de célébration pour la nation.

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