: Cartes Guerre au Soudan : reprise des combats, attaques meurtrières contre les civils, famine... Visualisez l'ampleur du conflit depuis avril 2023
C'est une guerre aux multiples facettes qui continue de ravager le Soudan. Depuis avril 2023, deux camps s'affrontent violemment : les Forces armées soudanaises (SAF), menées par le général Al-Bourhane, et les Forces de soutien rapide (RSF), milice dirigée par le général Daglo, surnommé "Hemetti". De Port-Soudan, sur la mer Rouge, au Darfour à l'ouest, en passant par la capitale Khartoum, les combats ont jeté des millions de Soudanais sur les routes et ont plongé ce pays de 48 millions d'habitants dans l'une des plus graves crises humanitaires au monde.
Le conflit, où s'enchevêtrent luttes pour le pouvoir, crimes ethniques et violences sexuelles, ne semble pas près de s'arrêter. Le 18 novembre dernier, le Conseil de sécurité des Nations unies n'est pas parvenu à voter une résolution sur un cessez-le-feu, après un veto de la Russie. Les deux forces armées refusent les négociations et se sont lancées dans une guerre civile totale, s'alliant avec d'autres milices locales et profitant du soutien de puissances étrangères. Pour comprendre les enjeux de cette guerre passant parfois sous les radars de l'actualité internationale, franceinfo a compilé les données de différentes ONG, agences internationales ou spécialistes.
Un pays morcelé entre les deux armées
En 2019, la destitution de l'autoritaire Omar el-Béchir nourrit les espoirs pour le Soudan. Mais le 15 avril 2023, au terme d'une escalade entre les deux généraux alors au pouvoir, Al-Bourhane et Hemetti, les premiers coups de feu éclatent à Khartoum. Les membres des RSF prennent rapidement la capitale et contrôlent une bonne partie du Darfour ; de son côté, l'armée régulière (SAF) se maintient dans le Nord-Est, conservant stratégiquement Port-Soudan, devenue depuis capitale de substitution.
Au début du conflit, les SAF bénéficient d'équipements aériens et terrestres avancés, mais les sanctions internationales sur le pays l'empêchent de les renouveler : elles perdent alors un atout face aux RSF, plus mobiles. En février dernier, les SAF reprennent le contrôle d'Omdourman, à la périphérie de Khartoum. En face, les forces du général Hemetti semblent néanmoins conserver l'avantage. L'enjeu pour chaque camp est de contrôler les points stratégiques tels que les aéroports, les mines d'or, les sources d'eau ou les grands axes routiers.
A la mi-novembre, les RSF contrôlent une bonne partie du Darfour, de Khartoum et de ses alentours, ainsi que de l'Etat d'Al-Jazira. C'est ce que montre la carte ci-dessous, réalisée grâce au travail du journaliste néerlandais Thomas van Linge, à partir des médias soudanais et de publications sur les réseaux sociaux.
Des affrontements plus violents depuis septembre
Cet été, la saison des pluies a ralenti les combats. Les bataillons ont pu se renforcer et ainsi "accentuer leurs opérations militaires, (…) recruter de nouveaux combattants et (…) intensifier leurs attaques", décrypte Rosemary DiCarlo, secrétaire générale adjointe de l'ONU aux affaires politiques. Dans l'Ouest, les RSF ont mené de nombreuses attaques sur Al-Fasher, assiégeant et pilonnant la ville. Cette capitale de l'Etat du Darfour du Nord, abritant plus de 2 millions d'habitants et tenant lieu de dernier refuge à des populations fuyant les crimes ethniques des RSF, pourrait désormais tomber à tout moment, selon les experts.
Avec le siège d'Al-Fasher, mais aussi des massacres dans l'Etat d'Al-Jazira, au sud de la capitale, l'automne 2024 a été marqué par de nouveaux embrasements, comme le montre le recensement réalisé par l'Acled (Armed Conflict Location and Event Data), une ONG internationale qui documente les conflits dans le monde. En agrégeant les différents événements violents (affrontements armés, bombardements, violences contre des civils...), on constate que plus de 1 000 attaques ont été dénombrées sur septembre et octobre, contre un peu plus de 300 par mois au printemps.
Des crimes de guerre et des villages incendiés
Les deux camps sont accusés de crimes de guerre, qu'il s'agisse de s'en prendre aux civils ou de bloquer l'aide humanitaire. Dès l'été 2023, Amnesty International alertait sur "des attaques aveugles et délibérées contre la population civile". Bombardements indiscriminés dans des quartiers densément peuplés, destructions de marchés, d'écoles, d'hôpitaux, des réseaux d'eau, d'électricité ou de communications... La longue liste des exactions comprend également des violences sexuelles généralisées contre les femmes. "Les deux camps ont commis un nombre effroyable de violations des droits humains et de crimes internationaux, dont beaucoup pourraient constituer des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité", a conclu en septembre une mission d'enquête indépendante des Nations unies au Soudan.
Les inquiétudes portent notamment sur le Darfour, où de nombreux crimes ethniques sont commis par des milices affiliées aux RSF, vingt ans après le génocide contre des communautés non arabes en 2003. De quoi nourrir les craintes concernant Al-Fasher, dernier refuge pour les Massalits, une ethnie particulièrement visée. "L'expérience amère du passé montre que si Al-Fasher tombe, il y a un risque élevé de violations et de violences ethniquement ciblées, y compris des exécutions sommaires et des violences sexuelles" de la part des RSF, s'inquiétait en octobre Volker Türk, haut-commissaire de l'ONU aux droits humains.
Le conflit engendre des destructions d'ampleur dues aux tirs d'artillerie, aux bombardements aériens, mais aussi aux incendies volontaires de nombreux villages qui permettent aux soldats d'en piller les ressources, dont le bétail. En mai, les équipes du projet Sudan Witness comptabilisaient déjà plus de 200 localités détruites ou endommagées. Ces chiffres, confirmés grâce à des images satellite et vidéos amateurs, ont été complétés depuis, sans que l'on connaisse le nouveau bilan. Nous avons reproduit, ci-dessous, leur recensement. Cette cartographie montre que le phénomène touche le sud-ouest du pays.
Un lourd bilan humain, impossible à estimer
Le nombre de victimes de la guerre au Soudan est difficile à établir avec certitude, en l'absence d'estimations précises. Les Nations unies ont longtemps cité le bilan de l'Acled, basé sur un suivi détaillé des attaques et des affrontements. Au 18 novembre, celui-ci s'élevait à plus de 27 000 morts.
Mais d'après les chercheurs de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, ce bilan est largement sous-évalué. Au travers d'une méthodologie déjà éprouvée dans d'autres pays, l'équipe estime qu'entre avril 2023 et juin 2024, 61 000 personnes ont trouvé la mort (toutes causes confondues) dans le seul Etat de Khartoum, dont environ 26 000 du fait des violences. En mai dernier, l'envoyé spécial américain pour le Soudan, Tom Perriello, estimait, lui, face au Sénat américain, que le bilan du conflit pouvait en réalité atteindre les 150 000 morts.
Localement, d'autres chercheurs, comme ceux du Laboratoire de recherche humanitaire de la Yale School of Public Health, tentent de documenter l'intensité des événements meurtriers à l'aide d'images satellite de cimetières. Concentrant leurs analyses sur la ville d'Al-Fasher, ils mettent en évidence un grand nombre de nouvelles tombes dans le périmètre de la base aérienne de la 6e division de l'armée régulière (SAF). Des images analysées par franceinfo montrent l'apparition d'environ 315 nouvelles tombes sur ce seul site, entre mai et novembre.
Plus de 11 millions de déplacés et une grave crise humanitaire
D'après les données de l'UNHCR, on dénombre 11,8 millions de personnes déplacées par le conflit depuis avril 2023, dont 3,1 millions vers les pays voisins. En interne, les régions les plus touchées sont les Etats du Sud-Ouest et les alentours de Khartoum. A l'étranger, les pays accueillant le plus de réfugiés sont le Tchad, le Soudan du Sud et surtout l'Egypte, qui comptabilise à elle seule 1,2 million d'exilés. "Cette crise commence à toucher toute la région de manière très dangereuse", alertait en octobre Filippo Grandi, haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés.
"Les conditions de vie sont apocalyptiques", a déploré Filippo Grandi. "Si les gens ne sont pas tués par balles, ils meurent de faim. S'ils survivent, ils font face aux maladies ou aux inondations ou aux menaces de violences sexuelles et d'autres abus horribles qui, s'ils se produisaient ailleurs, feraient la une des médias."
D'après l'UNHCR, la moitié de la population, soit près de 25 millions de personnes, a besoin d'une aide humanitaire face au manque de nourriture, d'eau, de médicaments et de carburant. Le ministère de la Santé a alerté à plusieurs reprises sur des épidémies de paludisme ou de choléra. L'activité agricole est malmenée, dans une région alternant entre sécheresse et inondations meurtrières, quand ce ne sont pas les belligérants qui détruisent ou s'approprient les terres, utilisant la faim comme arme de guerre. Ces derniers mois, le risque de famine a explosé, comme le montrent les données de Fews Net, un réseau d'alerte établi par l'Agence des Etats-Unis pour le développement international, mesurant le niveau d'insécurité alimentaire.
"Les familles mangent des coques de cacahuètes écrasées pour survivre" et des parents "pleurent la mort de leurs enfants décédés de malnutrition", décrit Leni Kinzli, porte-parole du Programme alimentaire mondial. Le 26 novembre, pour la première fois depuis des mois, des camions humanitaires ont pu livrer de la nourriture dans le camp de ZamZam, à proximité d'Al-Fasher.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.