Présidentielle en Tunisie : la joie de la foule à Tunis contraste avec le visage impassible du nouveau président
Après la victoire de l'universitaire Kaïs Saïed, le 13 octobre 2019, à l'élection présidentielle en Tunisie, franceinfo Afrique a recueilli les premières réactions dans les rues de Tunis. Et a assisté à sa première déclaration...
C'est plus qu'une victoire. C'est un triomphe. Pour ne pas dire un plébiscite. Au vu des sondages de sortie des urnes, Kaïs Saïed l'emporterait avec 72,53% des suffrages, contre 27,47% à Nabil Karoui. Il est évidemment difficile d'analyser à chaud un résultat qui n'est pas encore officiel. D'autant plus que ce scrutin opposait deux personnalités très éloignées l'une de l'autre et souvent jugées, à tort ou à raison, comme "hors système". Une constante revient cependant souvent dans les analyses. Comme celle du quotidien francophone La Presse qui observe ainsi, dans son édition du 14 octobre, que "le scrutin présidentiel a marqué un grand retour des jeunes électeurs, qui semblent avoir boycotté les précédents rendez-vous électoraux". Une observation que franceinfo Afrique a pu faire avenue Bourguiba à Tunis après l'annonce des résultats.
Une marée humaine
Les jeunes, effectivement, étaient très nombreux dans les joyeuses marées humaines devant le beau théâtre municipal Art déco et au bout de l'avenue, vers la statue équestre de Bourguiba, le "père" de l'indépendance tunisienne (1956). Des jeunes se promenant, se congratulant, dansant, chantant, au milieu des familles avec des enfants... Beaucoup de femmes avaient la tête découverte. Mais beaucoup d'autres portaient un foulard. A un moment, on a pu apercevoir trois hommes barbus et en djellabah, dont l'un criant "Allou Akhbar". Faut-il y voir là un lien avec le soutien apporté à Kaïs Saïed, très rapidement après le premier tour, par la formation d'inspiration islamiste Ennahdha ? De son côté, l'éditorial du Monde, mis en ligne le 14 octobre, évoque "le conservatisme moral et religieux revendiqué" de Kaïs Saïed.
A Tunis, plusieurs interlocuteurs ont expliqué à franceinfo Afrique que ce scrutin pouvait se lire comme un "dépassement de la polarisation islamistes-anti-islamistes". Une célèbre et très respectée militante du droit des femmes, Bochra Belhaj Hmida, déclare ainsi qu'à son avis, "les droits et acquis des femmes ne sont plus menacés aujourd'hui, comme ils l'étaient au début de la révolution" de 2011. On assiste à une rupture "avec la désormais bataille classique islamistes / anti-islamistes qui prévaut" depuis ce mouvement populaire, écrit de son côté La Presse. Qui ajoute cependant : "Même si ces deux camps se dressent (...) derrière les deux candidats"...
"Je suis plein d'espoir"
Une foule, jeune et joyeuse, s'est donc répandue dans les rues dès l'annonce des résultats. Criant sa joie. Très respectueuse et tolérante. "Je suis plein d'espoir", expliquait devant le théâtre municipal un monsieur d'une quarantaine d'années.
La même joie a éclaté, à tout juste 20h, devant un grand écran de télévision, dans l'immense salle du restaurant Le Globe, avenue de France à Tunis, où se massaient beaucoup de journalistes tunisiens et étrangers, ainsi que de (presque aussi) nombreux partisans du président élu. Une magnifique et très haute salle Art déco avec des verrières rappelant Tiffany. "Ce vote, il est venu du pays profond", expliquait l'un de ces partisans, informaticien franco-tunisien de son état, pas franchement surpris par le résultat. "Cela fait plusieurs mois que je m'y attendais", ajoutait-il.
Allocution en arabe
Au milieu de cette atmosphère festive sont arrivés deux militaires, fusil au poing. Le service de sécurité a alors demandé aux militants de sortir. Ceux-ci ont obéi bon gré mal gré. Et soudain, tumulte à l'entrée de la salle où Kaïs Saïed est arrivé pour faire sa première déclaration à la presse de président élu. Celui qui ne l'a jamais vu en chair et en os est frappé par sa raideur, d'autant que l'homme est grand. Il semble un peu lointain, hors d'atteinte.
Le vainqueur de l'élection est évidemment très entouré et acclamé. Il se tient très droit. Tandis que les photographes le mitraillent, empêchant leurs consœurs et confrères d'approcher le nouvel élu. Dans un coin, près de l'entrée de la salle, une dame, intimidée, presqu'un peu apeurée, se tient en retrait, veillée par un soldat en sueur : la (apparemment) très discrète épouse de Kaïs Saïed, Ichraf Chebil...
Kaïs Saïed commence son allocution en arabe, qui va durer une dizaine de minutes. L'homme remercie. Il emploie avec force les mots et expressions "intégrité", "honnête", "nouvelle Tunisie", "le peuple", "ouatann" (pays, patrie...), qui reflètent les propos tenus pendant sa campagne. Il donne presque l'impression d'ânonner, son discours. Il le fait mécaniquement, sans émotion, le visage fixe, face à la caméra. Ce n'est sans doute pas pour rien qu'on l'a parfois surnommé... Robocop. Même s'il est aussi décrit par ses étudiants comme "attentionné". Etrange personnage, en tout cas, pour celui qui ne le connaît pas...
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.