Riadh Bettaieb sur l’image de la Tunisie et le parti islamiste: exclusif
Où en sont les investissements étrangers en Tunisie ?
En 2011, l’année de la Révolution, nous avons perdu 26% d’investissements par rapport à 2010. Mais en 2012, nous pensons atteindre le même niveau qu’il y a deux ans, soit 2,4 milliards de dinars (1,2 milliard d’euros). Le secteur énergétique est le premier secteur d’investissement, les Français étant les premiers investisseurs étrangers. Je précise que les relations de la Tunisie avec ses partenaires européens sont sa première priorité : 75 % de nos échanges se font avec l’UE.
Avec les difficultés politiques et économiques que connaît votre pays, comment défendez-vous l’attractivité de la Tunisie ?
Il s’agit d’instaurer un climat de confiance avec des messages clairs et une communication sur l’actuelle transition politique. Dans le même temps, nous mettons en avant notre programme de réformes : code d’investissement, octroi d’avantages, simplification des procédures administratives… Nous insistons sur l’environnement très attractif de notre pays : position stratégique, qualité des ressources humaines, ouverture vers le marché africain.
Vous insistez sur la poursuite des relations avec vos partenaires actuels. Pourtant, à l’étranger, la formation d’un gouvernement à majorité islamiste suscite de nombreuses interrogations.
Nous sommes conscients que l’être humain est méfiant vis-à-vis de ce qu’il ne connaît pas ! Nous devons donc montrer que nous sommes en train d’instaurer un Etat de droit, avec la liberté, l’indépendance de la justice. Nous inscrivons aussi notre action dans la modération sociale, qui est ancrée dans la culture tunisienne.
De ce point de vue, le phénomène salafiste n’est pas un modèle de modération...
Vous savez, on trouve ici le même taux de salafistes qu’ailleurs dans le monde, ou même en France. On trouve partout des éléments extrémistes. Regardez chez vous le phénomène des casseurs à la fin des manifestations ou ce qui se passe dans les banlieues. En Tunisie, ces problèmes sont moins aigus.
Que faites-vous alors des quatre morts lors de la manifestation à l’ambassade américaine ?
Avec les gens qui prônent la violence, il faut être plus ferme. Nous n’avons pas le choix !
Cette affaire n’a-t-elle pas fait fuir les investisseurs étrangers ?
Il y a eu quelques annulations. C’est vrai, ces violences ont affecté l’image de notre pays. Mais j’insiste sur le fait qu’elles émanent d’une minorité. Dans ce contexte, la Tunisie n’a pas d’autre choix que d’évoluer !
Pour autant, cette évolution se traduit aussi par de nombreux mouvements sociaux qui contribuent aussi à créer un climat d’instabilité pour les investisseurs…
Les grèves dont vous parlez prouvent que la liberté règne ! Dans le même temps, cette explosion de revendications sociales est absolument normale. Les Tunisiens veulent que les problèmes soient résolus. Effectivement, les grèves perturbent l’environnement de travail. Pourtant, les chiffres d’investissement résistent, ce qui prouve que la Tunisie reste, malgré tour, un pays attractif. On peut d’ailleurs se demander quels auraient été les résultats si cet environnement avait été plus sain !
Au bout du compte, malgré tous les problèmes, je ne connais pas de révolution aussi pacifique que la révolution tunisienne. Notre société connaît une mutation profonde. Et malgré cela, le civisme de nos concitoyens est étonnant.
Je vois aussi que les investisseurs, qui veulent être rassurés sur la politique d’attractivité de notre pays, constatent ici un climat de stabilité. A la fin de leur séjour, ils me disent qu’ils sont étonnés du paradoxe et de la contradiction entre l’image fabriquée ailleurs et la réalité.
Que dites-vous à ceux qui craignent une islamisation de la société ?
Je leur explique que nous avons besoin d’un consensus national, que nous devons ramener le calme dans les esprits. Et que nous devons nous entendre entre nous sur les orientations de la nouvelle constitution.
Sur un plan personnel, que vous apporte la religion dans votre activité de ministre ?
Vous savez, Ennahda n’est pas un parti religieux. C’est une institution politique démocratique, d’inspiration musulmane, comme la démocratie-chrétienne en Europe. Nous revendiquons la démocratie au sein de notre mouvement depuis sa création en 1981. Nous nous réclamons des valeurs de liberté et de tolérance. Chez nous, il n’y a pas d’orientations sacrées, mais des orientations politiques.
Vous dites qu’à Ennahda, il n’y a pas d’ «orientations sacrées ». Pourtant, les pouvoirs publics tunisiens ont récemment parlé d’ «atteinte au sacré» à propos de certaines œuvres d’art, par ailleurs qualifiées de «provocation»…
Chacun doit respecter les valeurs et les croyances de l’autre. Il est important de trouver un terrain d’entente. Nous, nous demandons que l’on respecte notre religion, tout en sachant que nous avons un effort à faire un effort de notre côté.
Je respecte les traditions des autres. Mais je demande aussi que l’on me respecte. Aujourd’hui, on assiste parfois à certaines formes d’agression. Vous devez comprendre que la culture musulmane est très différente de la culture européenne. Pour elle, on ne doit pas porter atteinte à l’image du prophète.
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