Tunisie : après les législatives, la présidentielle
Les jeux sont-ils faits ? Oui, du moins si l’on en croit les enquêtes d’opinion. Ainsi, selon un sondage du site Tunis Tribune, mis en ligne le 15 novembre, Béji Caïd Essebsi, 88 ans, alias «BCE» et ancien ministre de Bourguiba, l’emporterait dès le premier tour avec 66 % des voix face au sortant Moncef Marzouki. Le parti de BCE, Nidda Tounes, opposé aux islamistes d’Ennahda, avait gagné les législatives.
En vertu de la Constitution, le président tunisien a des pouvoirs restreints. Mais la fonction n’en continue pas moins à revêtir «une forte charge symbolique dans la conscience collective tunisienne», constate l’universitaire Béligh Nabli dans L’Economiste Maghrébin. Il ajoute : «Il est vrai que les deux personnages qui l’ont incarnée – Habib Bourguiba et Zine el-Abidine Ben Ali (dictateur renversé en Janvier 2011, NDLR) – ont exercé une ‘‘ présidence absolue’’ ou une ‘‘hyperprésidence’’, par laquelle un homme seul concentrait de fait tous les pouvoirs». N’oublions pas que Habib Bourguiba, qui a mené à bien l’indépendance de la Tunisie, est encore considéré aujourd’hui par ses partisans, les destouriens (terme dérivé d’un mot arabe signifiant «constitution»), comme le «père de la nation». Presque au sens psychanalytique du terme.
«Réincarnation de Bourguiba»
BCE ou «la réincarnation de Bourguiba», constate le site huffpostmaghreb. «Caïd Essebsi s'est (…) montré fier de son image ‘‘destourienne’’. C’est à Monastir (centre-est, NDLR) et devant le mausolée de Bourguiba que sa campagne a démarré», poursuit la même source. Et d’ajouter : «La campagne de l'ancien Premier ministre de 88 ans (…) s'attache particulièrement à la symbolique de l'héritage du premier président de la République tunisienne après l'indépendance».
Avocat de formation, Béji Caïd Essebsi a servi tous les régimes depuis 1956. Il fut ainsi ministre de l'Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères sous Bourguiba. Puis président du Parlement en 1990-1991 sous Ben Ali. Après le renversement de ce dernier en janvier 2011, il a été nommé chef du gouvernement provisoire. Ce qui lui a permis de revenir sur le devant de la scène : il a alors su s'imposer comme le poids lourd de la Tunisie post-révolutionnaire face aux islamistes. Ce communicant, difficile à intimider, a promis, s’il l’emporte, de restaurer le «prestige» de l'Etat. Un message porteur pour de nombreux Tunisiens dans un pays déstabilisé par moult crises depuis la révolution. Mais ses adversaires le critiquent pour son âge avancé. Et estiment qu'il n'est pas représentatif du mouvement, conduit par la jeunesse, qui a fait chuter le régime de Ben Ali.
En clair, si ce candidat est élu, on assisterait à une amplification de la victoire du camp de la gauche «laïque» (terme qui ne plaît pas aux Tunisiens) face aux islamistes d’Ennahda. Peut-être aussi serait-ce la victoire d’une certaine nostalgie dans un pays en mutation profonde. La victoire d’une époque ressentie comme un «âge d’or» précisément incarné par Bourguiba.
Le président sortant en difficulté
Aux dires des sondages, le candidat le plus dangereux pour Essebsi serait donc le président sortant Moncef Marzouki, ancien médecin et militant des droits de l’homme. Ce dernier mène une campagne dynamique, sinon agressive, pour rattraper le terrain perdu. Le site tunisienumérique va jusqu’à la qualifier d’«hystérique». «Tous les moyens sont bons pour la direction de communication de la campagne électorale de Moncef Marzouki, afin de booster la popularité de leur leader», constate le journal algérien El Watan. «Pour contourner son fiasco populaire, (il) opte pour des meetings au milieu de la rue, afin de noyer les présents au milieu de la foule des citoyens», affirme le quotidien.
Désormais, le camp islamiste, battu aux législatives, ne jure plus que par le«consensus» : un futur président doit réunir «autour de lui une sorte de consensus le plus large possible. Il ne suffit pas d’avoir 51%, (cela) divisera les Tunisiens en deux blocs», a ainsi expliqué le patron d’Ennahda, Rached Ghannouchi, dans une interview.
Un ancien ministre de Ben Ali
Parmi les 25 autres candidats, les observateurs ont notamment remarqué la présence d’un ancien ministre de Ben Ali, Mondher Zenaidi. Lequel, lors d’une émission télévisée a assuré qu’«il y a des gens comme moi, intègres, compétents, patriotiques, qui ont aimé et servi ce pays». Problème : d’une manière générale, l’intégrité n’était pas la principalecaractéristique de l’ère Ben Ali, c'est un euphémisme... Dans ce contexte, Mondher Zenaïdi a forcément une «image à redorer».
Parmi les compétiteurs, on ne compte qu’une seule femme, Kalthoum Kannou, une magistrate opposante de Ben Ali. Laquelle a reçu les soutiens de personnalités de la société civile, comme la journaliste Olfa Riahi. Mais pour l’instant, les déclarations de celle qui entend incarner «la troisième voie», n’ont apparemment pas convaincu.
Une chose reste sûre: si aucun candidat n'est élu au premier tour, un second tour aura lieu le 28 décembre.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.