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Tunisie : ce que l'on sait sur l'arrestation retentissante du chef d'Ennhadha, principal opposant au président

Le placement en garde à vue de Rached Ghannouchi intervient alors que les dérives autoritaires inquiètent de plus en plus la communauté internationale. Voici le déroulé des faits et le contexte politique tunisien.
Article rédigé par Bertrand Gallicher
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Rached Ghannouchi, le leader d'Ennhadha, en septembre 2022. (FETHI BELAID / AFP)

Le chef du mouvement islamiste et conservateur a été interpellé au nord de Tunis, lundi 17 avril, à son domicile au moment de l'iftar, le repas de rupture du jeûne, quelques heures avant la célébration par les musulmans de la nuit sacrée du destin, l'une des nuits de la fin du ramadan. Selon le parti Ennahda, Rached Ghannouchi a été emmené pour un interrogatoire dans une caserne de la garde nationale. 

Le lieu et le motif de l'arrestation ne sont pas connus

Son entourage assure que les forces de l’ordre n’ont présenté aucun document pour justifier cette arrestation. Les autorités, pour l'instant, n'ont pas communiqué sur le lieu de cette garde à vue qui peut durer 48 heures sans la présence d'un avocat, puis être prolongée jusqu'à deux semaines. Cette absence d'informations fait dire au parti islamiste que Rached Ghannouchi a été enlevé. Le motif de cette arrestation n'est pas non plus annoncé officiellement. L'interpellation du dirigeant d'Ennahdha serait liée à ses déclarations sur "une guerre civile qui menacerait la Tunisie" au cas où l'islam politique serait éliminé de la vie publique.

Une série d'arrestation qui touche aussi les médias

Ce n'est pas la première fois que Rached Ghannouchi a maille à partir avec le pouvoir du président Kaïs Saïed. L'an dernier, il avait été entendu à deux reprises pour une affaire liée à l'envoi présumé de jihadistes en Syrie et en Irak et pour des soupçons de corruption. Son arrestation retentissante lundi s'inscrit dans la lignée de l'offensive judiciaire menée ces derniers mois contre des opposants, anciens ministres et hommes d'affaires, et qui avait également conduit à l'incarcération du patron de la première radio privée du pays, Mosaïque FM.

Enhadha décrié par une partie de la population

Cette arrestation montre un renforcement du caractère autoritaire du régime en visant un politicien emblématique, même s'il ne fait pas l'unanimité. Rached Ghannouchi, qui a passé 20 ans en exil à Londres, avait été accueilli triomphalement à son retour en Tunisie en 2011, après la chute de Ben Ali. Mais ses détracteurs l'accusent d'opportunisme politique et de convictions à géométrie variable. D'abord proche des Frères musulmans, le leader d'Enhadha s'est ensuite réclamé du modèle islamo conservateur turc, celui de Recep Tayyip Erdogan. Le parti se présente désormais comme un mouvement démocrate musulman.

"Je pense qu'on ne peut pas actuellement incriminer directement le chef de l'État pour cette arrestation, même si tout laisse à penser qu'il en est évidemment l'instigateur, estime Jérôme Heurtaux, enseignant chercheur en sciences politiques et spécialiste de la Tunisie. Rached Ghannouchi incarne, presque paradoxalement, ce qu'une partie de la population tunisienne et que le président appellent 'les dérives de la transition politique tunisienne'". 

Une opposition tunisienne affaiblie

Le chercheur rappelle qu'après les élections du 23 octobre 2011 marquée par une participation massive, Ennhadha était le principal acteur politique de la Troïka au pouvoir. "Le parti islamiste a aussi participé à des formules de gouvernement, à des coalitions après 2014, poursuit Jérôme Heurtaux. Et donc, d'une certaine manière, il représente, en tant que l'un des acteurs principaux, cette période que Kaïs Saïed ne cesse de décrier, de disqualifier comme étant la source de tous les maux dont souffrirait la Tunisie aujourd'hui". 

Ce discours trouve un écho chez une partie de la population, ajoute ce spécialiste de la Tunisie : "Kaïs Saïed a réussi à agréger autour de lui un certain nombre d'acteurs, de citoyens qui jusque-là étaient en désaccord complet". Des Tunisiens qui estiment que le président autoritaire a mis fin à l'islamisme politique ou qu'il lutte contre la corruption. "Il faut reconnaître que même si les opposants manifestent - il y a un Front du salut national qui s'est constitué - mais ils sont extrêmement affaiblis dans la situation actuelle", pointe Jérôme Heurtaux.

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