Tunisie : les herboristeries profitent de la crise du coronavirus
Le pays apprend, lui aussi, à vivre au rythme de la pandémie. Et à la combattre. Certains s'y essayent avec les plantes médicinales...
S'il n'y a eu que 18 cas de coronavirus officiellement répertoriés depuis le 2 mars 2020, et aucun décès à ce jour, les autorités tunisiennes ont pris des mesures fortes contre la pandémie de Covid-19. Des mesures notamment pour le commerce. Un secteur échappe cependant à cette ambiance maussade : celui des herboristes et des plantes médicinales.
Tous les vols internationaux ont ainsi été suspendus, a annoncé le Premier ministre, Elyes Fakhfakh. "Un conseil ministériel restreint s'est réuni et a décidé de fermer les frontières aériennes et terrestres (...) sauf les marchandises et les voyages de rapatriement", a-t-il indiqué. Plusieurs milliers de touristes étrangers se sont retrouvés bloqués, notamment sur l'île de Djerba (sud). Selon l'ambassade de France, "30 vols spéciaux sont prévus" pour ramener les Français.
Le commerce affecté
A partir du 18 mars, les rassemblement seront également interdits dans les hammams, les fêtes et dans les marchés. Tandis que le travail devra s'organiser en deux services de cinq heures chacun pour limiter la fréquentation dans les transports. Les heures de service sont notamment réduites dans la Fonction publique.
Toutes les manifestations et compétitions sportives sont annulées. Les prières collectives l'avaient déjà été. Les écoles, qui avaient été fermées cette semaine à quelques jours du début des vacances tunisiennes, ne rouvriront pas avant le 28 mars.
Résultat : à Tunis, la capitale, les chalands sont moins nombreux à se presser dans les ruelles dallées de la médina, observe l'AFP. Mais les Tunisiens continuent à venir au souk el-Blat, le quartier des herboristes en plein cœur de la vieille ville. Les plantes médicinales locales et importées sont d'ordinaire prisées pour se prémunir notamment de la grippe hivernale.
La ruée vers l'ail
Ces dernières semaines, on avait déjà constaté une ruée vers l'ail, aux propriétés qu'on dit antimicrobiennes et antioxydantes. Dans ce contexte, les prix ont flambé, atteignant parfois 25 dinars (8 euros)... "Les gens mangent plus d’ail maintenant pour éviter la maladie du corona", a ainsi expliqué à RFI une grand-mère qui fait la cuisine tous les jours à ses deux enfants et à ses trois petits-enfants. "Les réseaux sociaux et une croyance populaire attribuent (aux gousses) des vertus thérapeutiques exagérées", rapporte RFI.
A tel point que l'OMS a dû expliquer sur son site qu'il fallait "en finir avec les idées reçues". En précisant : "L’ail est un aliment sain qui peut avoir certaines propriétés antimicrobiennes. Cependant, rien ne prouve, dans le cadre de l’épidémie actuelle, que la consommation d’ail protège les gens contre le nouveau coronavirus..."
"Ni médicaments ni plantes miraculeux" contre le virus
Quoi qu'il en soit, la plupart des clients cherchent des plantes et mixtures "efficaces" mais aussi "pas chères". "Je peux comprendre que la population revienne à la tradition", confie le pharmacologue Hédi Oueslati, directeur général de la Santé en Tunisie. Il rappelle cependant : "Actuellement, il y a ni médicaments ni plantes miraculeux contre le nouveau coronavirus."
"Quand il s'agit de petites recettes de grand-mère pas dangereuses qui ne posent pas de problèmes, d'accord !", estime le responsable. Mais "il faut faire attention et ne pas tomber dans le charlatanisme." Certains profitent ainsi de l'anxiété généralisée "pour vendre des prétendues mixtures dont on ne connaît même pas la composition", prévient-il.
"Recettes ancestrales"
"Qu'est-ce que je prends pour ce corona ?", lance une cliente à un marchand du souk el-Blat. "Le but est de nous protéger, ni plus ni moins, surtout qu'il n'y a pas de médicaments contre ce virus", assure-t-elle à l'AFP.
Pour l'herboriste Fethi Ben Moussa, 61 ans, "les Tunisiens aiment tout ce qui est traditionnel et naturel : ils font confiance, surtout en ces moments de panique, aux recettes de nos ancêtres !" Et de poursuivre : "Les gens demandent des choses à préparer à la maison comme le thym, le gingembre, le moringa qui sont très bien pour l'immunité et pour combattre les virus", affirme-t-il.
L'herboriste conseille aussi à ses clients de parfumer leurs maisons avec les graines du peganum Harmala, plante vivace qui aurait des vertus désinfectantes, à l'en croire, même contre le nouveau coronavirus. Bien qu'au niveau scientifique, ce ne soit en aucune façon prouvé... Dans sa boutique, Haj Mohamed, lui, dit proposer des mixtures "100% efficaces contre les virus", à base de gingembre, de miel de jujubier et de curcuma. Pour cet herboriste de père en fils, ce sont "des ingrédients magiques combattant toute sorte de grippe", promet-t-il, fier de sa production.
Mais "tout ce qui est naturel n'est pas anodin !", avertit le docteur Chokri Hamouda, directeur général des Soins de santé en Tunisie. Il souligne "un problème de respect des principe de l'hygiène dans les souks traditionnels, et dans le pays en général". "Nous ne prétendons pas remplacer les médecins ni guérir les gens, mais nous sommes de bons connaisseurs des secrets des plantes", rétorque pour sa part Fethi Ben Moussa. "Nous aidons nos clients à apprendre le bon usage des merveilles de la nature", ajoute-t-il, lyrique.
Un "mal pour un bien"
C'est là "du mal pour un bien", commente le site Tunisie-Tribune.
Si aucun vaccin ni aucun médicament ne semble vouloir venir à bout de ce virus, il est tout à fait normal que l’on revienne aux bonnes et vieilles recettes de grand-mère. D’où ce retour et cet engouement vers les herboristes.
Le site Tunisie-Tribune
Et que représente cette activité traditionnelle en Tunisie ? En 2013 (difficile de trouver des données plus récentes), selon une étude citée par le site Babnet, le secteur des plantes aromatiques et médicinales (PAM) contribuait "en moyenne, à hauteur de 0,8% à la formation de la valeur de la production agricole, de 1% à l'effort d'exportation". Deux ans plus tôt, la superficie totale des PAM cultivées en Tunisie était estimée à 4 550 hectares, dont 1 396 hectares pour les seules plantes médicinales. On compte plus de 2 000 espèces de plantes, ce qui fait du pays "un véritable réservoir phytogénétique", eu égard à sa nature tant méditerranéenne que saharienne. Selon une autre étude, 225 espèces sont utilisées en médecine traditionnelle, dont 38 pour les huiles essentielles.
Parmi les plantes récoltées : la menthe la coriandre, le cumin, le fenouil, la camomille, le jasmin, la marjolaine... Mais aussi le romarin, la fleur d'oranger, le myrte et la rose (les trois derniers transformés en huiles essentielles), appréciés à l'exportation, notamment vers l'Europe.
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