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Tunisie : une exposition pour illustrer une révolution à l'heure des réseaux sociaux

Une exposition, organisée au musée du Bardo à Tunis, retrace le renversement du régime de Zine el-Abidine Ben Ali, le 14 janvier 2011, grâce à des centaines de vidéos amateurs, pages de blogs, caricatures et autres documents numériques fragiles sauvegardés par un collectif d'institutions et ONG.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Une exposition, organisée au musée du Bardo à Tunis, retrace l'histoire du renversement de la dictature Ben Ali en ayant recours à des documents mis en ligne sur internet et les réseaux sociaux. (FETHI BELAID / AFP)

Dans le célèbre musée du Bardo résonnent les cris qui ont eu raison de la dictature, il y a déjà plus de huit ans : "Travail, liberté et dignité !" Les vidéos des manifestants criant leur colère sous des tirs massifs de gaz lacrymogènes sont tremblotantes : ce sont les premières images du soulèvement et de la répression, souvent prises à la va-vite avec un téléphone portable.

Un enregistrement sonore restitue la folle ambiance, s'achevant par un hurlement :"Ben Ali a fui !"

Certains documents sont historiques, comme l'interview intégrale de la mère du marchand ambulant Mohamed Bouazizi. Elle y explique le calvaire du jeune homme, dont l'immolation par le feu, le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, fut le déclencheur de la révolte. A l'époque, la diffusion par des chaînes étrangères de l'entretien avait participé à l'embrasement.

"Dégage !" 

L'exposition Before the 14th ("Avant le 14"), Instant tunisien, jusqu'au 30 mars 2019 à Tunis, puis jusqu'au 30 septembre à Marseille, en France, rassemble des témoignages directs qui retracent les 29 jours jusqu'à la chute du dictateur. Elle décrit les précédentes mobilisations, dès 2008, puis les premières régions à se soulever mi-décembre 2010, Sidi Bouzid et Kasserine, jusqu'à la marée humaine scandant "Ben Ali dégage !" au cœur de la capitale.

La diffusion d'images des événements sur les réseaux sociaux a transformé le désespoir d'un marchand ambulant en une révolution contagieuse qui, en s'étendant au Proche-Orient, a bouleversé le sort de la région. "Pour la première fois dans l’Histoire, l’effondrement d’un régime autoritaire était intrinsèquement lié aux usages du numérique", écrit le sociologue français Jean-Marc Salmon dans son livre Vingt-neuf jours de révolution, histoire du soulèvement tunisien 17 décembre 2010-14 janvier 2011 (Les petits matins, 2016), cité par Le Monde.

Manifestation à Tunis le 14 janvier 2011, jour de la fuite du dictateur Zine el-Abidine Ben Ali pour l'Arabie saoudite. (FETHI BELAID / AFP)

Mais nombre de ces images n'étaient conservées que dans l'historique de ces réseaux sociaux ou sur des téléphones portables. Des citoyens et chercheurs ont ainsi tiré la sonnette d'alarme, signalant qu'un grand nombre de documents publiés sur internet aux moments des faits étaient en train de disparaître.

Un collectif d'associations s'est alors constitué. Il a alors collaboré avec des institutions comme la Bibliothèque nationale pour recenser et recueillir photos, vidéos, mais aussi blogs, slogans, poèmes, communiqués, statuts Facebook, auprès de citoyens à travers le pays. Et ce avec des formulaires identifiant lieux, dates et auteurs.

Des dizaines de photos exposées dans la première mouture de l'exposition se sont avérées être des photos de presse, prises par des professionnels. Mais elles ont depuis été remplacées par d'autres, issues du fonds des archives de la révolution. Ce fonds contient près de 2000 photos et vidéos majoritairement prises par des acteurs et témoins des événements, dont les prémisses furent compliqués à couvrir.

Défi technique

Après quatre ans de travail, ce fonds est désormais conservé pour la postérité aux Archives nationales. "Il y a un défi technique, scientifique et méthodologique dans la recherche et la vérification du contenu numérique publié par son auteur qui avait bravé à l'époque la censure", explique l'historienne et membre de la commission organisatrice de cette exposition, Kmar Ben Dana. "Notre approche doit être fiable" pour permettre, "dans l'avenir, d'écrire l'Histoire en se basant sur ces archives. C'est un traitement sans précédent, car il s'agit de matière numérique", poursuit-elle. Pour cette historienne, le but "n'est pas d'écrire une version officielle de l'histoire (...), c'est une tentative pour une réconciliation entre la mémoire et l'Histoire".

Au-delà des archives, il s'agit de sauvegarder le processus même de la révolution qui a fait naître d'immenses espoirs inassouvis. Au point de faire regretter le dictateur déchu chez certains Tunisiens. "Nous espérons que cela va contribuer à montrer que la révolution a été un événement extrêmement positif, extrêmement libérateur. (...) Même si nous sommes, aujourd'hui, dans des difficultés politiques et économiques qui peuvent faire oublier cette grande explosion politique", conclut Kmar Ben Dana.

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