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L'Argentine a aussi ses hooligans

Les «barras bravas», hooligans argentins, sèment la terreur dans les stades de football depuis une décennie. Des hooligans redoutés par les autorités, qui leur attribuent la mort de plus de 70 personnes. Des groupuscules qui auraient aussi des accointances avec les partis politiques.
Article rédigé par Valerie Kowal
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Les «barras bravas» lors de la rencontre entre Boca et River Plata, à Buenos Aires, le 15 mai 2011. (AFP/Juan Mabromata)

26 juin 2011. River Plate, le club le plus titré d'Argentine est condamné à la relégation. Un peu comme si Barcelone ou le Real Madrid descendaient en 2e division. Or River, l'un des plus grands clubs du pays, compte parmi ses supporters des groupes particulièrement violents, les barras bravas, véritable plaie du football local. Les hooligans de River sont les plus organisés et les plus dangereux du pays. Ce soir de juin 2011, ils brûlent des voitures et saccagent les magasins situés aux abords du stade a relaté rfi.fr/amériques. Comparés aux hooligans européens, les barras bravas sont beaucoup plus dangereux. Ils s'appuient sur la violence, le trafic de drogue, le nationalisme et l'honneur du maillot.

Leur structure est aussi plus codifiée que celle des «ultras». Leurs membres sont recrutés très jeunes dans les stades, où une tribune entière est réservée aux barras. Leur mission : mettre l'ambiance pendant les matches grâce aux chants et aux fumigènes. Et leur mode de recrutement est très simple et très efficace aussi. Ils enrôlent les jeunes, trop pauvres pour se rendre au stade, en les faisant entrer gratuitement dans «leur» tribune. A charge bien sûr à ces jeunes d'être redevables de quelques services. 


Heurts entre supporters de la Boca et la police à Buenos Aires. 12 décembre 2013. (AFP/Juan Mabromata)


Un fonctionnement de gang
Les barras bravas possèdent aussi une organisation clanique et inébranlable. Chaque barra élit un chef et tout est organisé comme un gang autour de ses lieutenants. Des lieutenants qui lui obéissent et assurent l'obéissance de tous les membres du groupe. Chaque barra a ses propres modes de fonctionnement et ses propres règles. Ainsi, chez la Doce (la plus violente) du club de la Boca, si un chef meurt ou est envoyé en prison, son successeur a l'obligation d'aider financièrement sa famille.

En septembre 2013, la Fédération argentine de football a décidé d'empêcher ces hooligans de rentrer dans les stades. «Nous ne voulons plus de hooligans. Nous voulons que les familles reviennent», indique le porte-parole de la Fédération. Avec une idée: installer un système de contrôle biométrique à l'entrée à l'occasion des journées de championnat. Les autorités semblent vouloir se débarrasser une fois pour toutes de cette violence. Les supporters devront dorénavant s'enregistrer auprès de leur club. Ils se verront alors attribuer une carte magnétique contenant leurs informations personnelles dont leurs empreintes digitales.

Du racket dissimulé
Une tâche difficile et sans doute un vœu pieu, la barra brava étant trop étroitement liée au football et aux clubs. Elle entretient aussi des liens très étroits avec les joueurs eux-mêmes. Une situation problématique dans un pays (et un continent) où le football est presque élevé au rang de religion. Ces liens peuvent aller du simple don de maillot pour que les barras puissent le revendre et s'enrichir, mais peuvent aller beaucoup plus loin. Ainsi, certaines barras bravas réclament jusqu'à 10.000 pesos par joueur pour financer des voyages et suivre les sportifs dans leur déplacement. Même si l'omerta est la règle dans le monde du football, certains joueurs osent publiquement parler de racket dissimulé.

Ces groupuscules ont toutefois une relation très mitigée avec les dirigeants de club. Certains les aident et leur sont gré de l'ambiance dans les stades et de la protection que les barras leur apportent. Revers de la médaille, ce sont les barras qui décident du sort des joueurs. Par exemple, un footballeur est en perte de vitesse. Il joue mal. Pour éviter de lui payer des indemnités de licenciement trop conséquentes, certains dirigeants font appel aux barras bravas pour lui mettre la pression. Lui faire peur pour qu'il parte. Cela donne lieu à des scènes surréalistes : «Ou tu pars, ou on te tranche la gorge la prochaine fois qu'on te croise!» ou encore «si tu n'as pas envie de voir ta femme et tes gosses morts, tu ferais mieux de quitter le club très vite». Des menaces qui ne sont pas à prendre à la légère!


Une situation à double tranchant. Si la barras n'est plus contente du président de son club, elle peut également le pousser à démissionner. Rares sont les présidents qui osent le dire à haute voix. Le président Javier Cantero en a fait les frais. Alors qu'il ne supportait plus que la barra d'Independiente salisse le nom de ce club de légende, les représailles ont été immédiates. Lors d'une assemblée, les barras se sont jetés sur lui avec l'intention de la «massacrer».

Les mesures pour éradiquer ces groupes sont vaines pour beaucoup d'Argentins. Certains ont témoigné sur euronews.com: «Les hooligans continueront à rentrer dans les stades, c'est certain, ce problème dure depuis des années.» «Les dirigeants connaissent les supporters violents et pourtant ils les laisseront toujours rentrer. Ils n'arriveront jamais à résoudre ce problème.»

Les politiques s'en servent
Selon le Nouvel Observateur, personne n'aurait intérêt à incriminer les barras bravas. Ils seraient devenus les hommes de main des partis politiques. Ainsi l'un d'entre eux aurait lancé lors d'une conversation téléphonique : «Tant qu'elle reste au pouvoir, on n'aura pas de problème». Ce hooligan afficherait pendant les matchs de football des banderoles «Fuerza Cristina» («Courage Cristine») dans les stades. Une référence à la présidente argentine Cristina Kirchner

Tout a commencé avec Néstor Kirchner. Il crée lors de son premier mandat de président une structure regroupant tous les barras bravas et les dote de droits et de pouvoir. Une façon pour le gouvernement de s'assurer un soutien immense dans le pays. Les banderoles déployées dans les stades permettent une propagande énorme et les rencontres de football assurent une caisse de résonnance incroyable. Les barras n'hésitent pas non plus à critiquer ouvertement les journaux antigouvernementaux ou à se faire les porte-parole du pouvoir à la télévision. Football, violence et politique mêlés. L'influence des barras ne semble pas près de s'éteindre.

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