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Trois éléments qui prouvent que la torture pratiquée par la CIA ne fonctionne pas

Un rapport du Sénat américain, dévoilé mardi, accable la CIA, qui a pratiqué des interrogatoires "bien pires" que ce qu'elle avait reconnu. Et ces techniques se sont révélées peu efficaces pour lutter contre le terrorisme. Francetv info vous explique pourquoi.

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un détenu de la prison militaire américaine de Guantanamo, sur l'île de Cuba, escorté par des militaires vers sa cellule, en janvier 2002. (SHANE T. MCCOY / AP / SIPA)

Les opposants à la torture reprennent espoir. Le Sénat américain a dévoilé, mardi 9 décembre, un rapport (PDF en anglais) dénonçant les techniques de la CIA en matière d'interrogatoires depuis le 11-Septembre. Le document détaille la façon dont les services américains ont torturé des détenus accusés de terrorisme pour obtenir des renseignements. Il démontre, surtout, que ces informations se sont révélées très peu utiles à la politique étrangère des Etats-Unis, contrairement à ce qu'affirme la CIA depuis des années.

Sur la base de ces révélations, francetv info revient sur les raisons qui font, qu'au-delà de l'aspect moral, la torture est une méthode inefficace pour obtenir des renseignements.

Peu de renseignements ont été obtenus...

Si les autorités américaines ont déjà reconnu à plusieurs reprises que les services secrets avaient eu recours à la torture, le rapport du Sénat montre, pour la première fois, que la CIA n'a rien pu tirer de concret de l'emploi de ces méthodes interdites, contrairement à ce qu'elle prétend depuis des années.

Comme l'explique The Guardian (en anglais), la CIA assure avoir obtenu des renseignements qui ont sauvé des vies en torturant l'un des leaders d'Al-Qaïda, Khalid Sheikh Mohammed. Celui qui est considéré comme le cerveau des attaques du 11-Septembre a notamment subi, en un mois, 183 séances de simulation de noyade et a été soumis à des séances d'hydratation rectale, détaille le National Journal (en anglais).

Selon la CIA, les informations récupérées lors de ces interrogatoires auraient conduit à l'identification d'un messager, qui a permis la localisation et la mort d'Oussama Ben Laden en mai 2011. Problème : Khalid Sheikh Mohammed a été arrêté et torturé en 2003, explique Slate. Et, le rapport du Sénat affirme que la CIA connaissait l'identité du fameux messager depuis 2002. Le document insiste, par ailleurs, sur le fait que Khalid Sheikh Mohammed a bien donné des renseignements sur ce messager, mais avant les séances de torture.

Le rapport revient sur un autre cas édifiant. Abd al-Rahim al-Nashiri a été capturé à la fin 2002 pour son implication dans l'attentat visant l'USS Cole en 2000. Dès son arrestation, ce Saoudien, jugé "coopératif", livre des renseignements lors d'interrogatoires classiques. Une appréciation positive qui ne plaît pas à la direction de la CIA, qui demande des interrogatoires musclés.

Au programme pour Abd Al-Rahim Al-Nashiri : des coups, des humiliations, des simulations de noyade, des menaces de mort et de viols sur sa mère, et une perceuse activée près de son visage. Résultat ? Il n'a plus jamais donné aucune information.

... et ils n'étaient pas fiables

Comme le relaie 20 Minutes, 40% des Américains pensent que la torture peut se justifier. "C'est parce qu'ils n'ont jamais été torturés, estime Jean-Marie Fardeau, porte-parole de Human Rights Watch, contacté par francetv info. Il est évident que sous la torture, on raconte n'importe quoi. Ce ne sont pas des informations fiables."

Mourad Benchellali a, lui, subi les interrogatoires de la CIA. Emprisonné pendant deux ans et demi à Guantanamo après avoir été arrêté à la frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan en 2001, ce Français, aujourd'hui âgé de 33 ans, se réjouit des révélations du rapport du Sénat. Contacté par francetv info, il revient sur ce qu'il a enduré lors de sa détention : "C'était des coups, nombreux, sans raisons, des privations de sommeil pendant des jours, dans des positions insoutenables, égraine-t-il. Il y avait aussi la musique à fond pendant des heures, ou encore de l'eau glacée jetée sur le corps, avec la clim' poussée au maximum. On m'a aussi injecté des produits sans me dire ce que c'était. Et les menaces de mort étaient permanentes : 'Tu vas passer sur la chaise électrique'. C'était ça le pire, la souffrance psychologique, l'impression qu'on n'en sortira jamais."

Face à ces séances de torture, Mourad Benchellali affirme avoir perdu la notion de vérité : "On est prêt à dire n'importe quoi pour que ça s'arrête, explique-t-il. On reconnaît des choses qu'on n'a pas faites, on dit 'oui' à tout. A quoi bon lutter ? Quand je disais le contraire de ce qu'ils demandaient, ils me traitaient de menteur, et ça recommençait."

Et il n'était pas le seul dans ce cas-là. "J'ai croisé des détenus qui se sont accusés des pires choses, assure Mourad Benchellali. Ils balançaient simplement ce que la CIA voulait entendre, en se disant : 'Comme ça, je suis tranquille'. La peur de 'vriller' était permanente. D'ailleurs, dans le camp, il y avait une section appelée 'Bloc Delta'. C'est là où étaient enfermés ceux qui étaient devenus fous."

Un risque de "retour de flamme" pour les Etats-Unis

Si la CIA a mis en place ce programme de détention et d'interrogatoire entre 2001 et 2008, c'est parce que l'Amérique "avait besoin d'aller vite, de faire des arrestations au lendemain du 11-Septembre", estime Jean-Marie Fardeau. Une vision à court terme dénoncée par le rapport du Sénat. Ce programme a, en effet, poussé la CIA à traiter, dans la plus grande discrétion, avec des pays alliés pour installer des prisons secrètes, sans leur expliquer vraiment ce que l'agence comptait en faire. Du coup, quand la presse a révélé les exactions qui se déroulaient dans ces "black sites", les Etats-Unis ont dû se confondre en excuses auprès des pays concernés.

"Ce programme a causé des dommages incommensurables à la position des Etats-Unis, ainsi qu'à son leadership mondial en matière de droits de l'Homme en général, et de la prévention de la torture en particulier", tance le rapport.

"Les Etats-Unis sont signataires de la Convention des Nations unies contre la torture, rappelle Jean-Marie Fardeau. Or, en utilisant ces techniques d'interrogatoire interdites, la CIA s'est exposée à un risque majeur : s'il est reconnu devant un tribunal qu'une preuve déterminante a été obtenue sous la torture, elle n'a plus lieu d'être, et le prévenu, même si c'est un terroriste convaincu, peut être libéré."

Tous les agents de la CIA n'ont cependant pas accepté sans ciller la pratique de la torture. Ali Soufan expliquait dans le New York Times (en anglais), en 2009, qu'il avait obtenu des informations capitales sur Al-Qaïda en interrogeant de façon traditionnelle le Saoudien Abu Zubaydah en 2002. Il démontrait également comment la décision de torturer ce suspect par la suite avait tari cette source d'informations. Selon lui, la torture avait aussi ralenti les procédures : le FBI refusait de coopérer avec la CIA, pour ne pas être mêlé ces techniques d'interrogatoire, affirme l'ancien agent des services secrets.

Il craignait, par ailleurs, un "retour de flamme" pour les Etats-Unis, qui pourraient souffrir, à terme, de la radicalisation des détenus qui ont enduré ces tortures. Une hypothèse validée par Mourad Benchellali. S'il a échappé à cette radicalisation "par miracle" à Guantanamo, ce n'a pas été le cas pour certains de ses codétenus : "Beaucoup m'ont dit : 'Moi, au départ, je n'avais rien contre les Américains, mais après ce qu'ils m'ont fait, j'ai envie de tous les tuer', affirme-t-il. Pour moi, la CIA a créé une fabrique à jihadistes."

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