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Birmanie, nouvel eldorado asiatique ?

En mars 2011, la junte birmane au pouvoir depuis 50 ans s'est auto-dissoute. L'ex-général Thein Sein devenu chef de l'Etat a initié des réformes structurelles, alors que l'ancienne opposante Aung San Suu Kyi a vu son rôle d'interlocutrice encouragé. Si les bases de la démocratie ne sont pas encore installées, les richesses du sous-sol attirent nombre d'investisseurs.
Article rédigé par Jean-Claude Rongeras
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Aung San Suu Kyi, à la fin des travaux sur la nouvelle Constitution, à Rangoon, le 10 mai 2013. (AFP/YE AUNG THU)

C’est lors des élections prévues en 2015 que l’on pourra juger de la sincérité du régime. Aung San Suu Kyi pourrait alors être plébiscitée par les électeurs et devenir la présidente du pays. De con côté, les militaires pourraient ainsi céder pacifiquement le pouvoir. Pour l’heure, la situation reste encore confuse.
 
Washington, protecteur de Rangoon
Lors de son entretien le 20 mai à Washington avec Barack Obama, le président birman Thein Sein s’est vu reprocher les violences commises contre la communauté musulmane (800.000 personnes accusées d’être des immigrants illégaux venus du Bangladesh). En réponse, le premier président birman à venir à la Maison Blanche depuis 47 ans a prôné une large «réconciliation nationale», sans toutefois faire d'allusion directe à cette minorité. A l'actif du premier gouvernement civil, Il faut toutefois noter l'accord de paix signé avec la rébellion karen en janvier 2012.
 
La veille, Thein Sein avait affirmé dans le Washington Post que l’armée, «plus disciplinée que le reste de la population, aura toujours une place particulière dans la conduite des affaires». Ce qui a insinué le doute sur la volonté de faire table rase du passé.
 
Washington n'en a pas moins reconnu «les importants changements opérés par le gouvernement birman» en matière politique et économique. Les Etats-Unis ont également assoupli les exigences concernant les visas accordés aux Birmans, après un embargo remontant à 1988. Seuls ceux soupçonnés de violation de droits de l’Homme en sont privés. Autre geste de bonne volonté vis-à-vis de la Birmanie, l’emploi récent par l'administration américaine du nom de Myanmar, le mot anglais choisi par la junte il y a une vingtaine d’années pour désigner le pays, à la place de Birmanie, terme que préférent les exilés.    


L'ouverture gagne de nombreux secteurs
Les premiers pas du régime militaire vers un système civil et pluraliste et une économie ouverte datent du 7 novembre 2010, avec l'organisation d'élections qui ne furent cependant ni tout à fait libres ni tout à fait pluralistes. Puis, tout s’est accéléré. Quelques jours plus tard, Aung San Suu Kyi était remise en liberté. Et, en avril 2012, la pasionaria, fille du père de l'indépendance, devenait députée. Dans le même temps, la presse a retrouvé une relative liberté de ton.
 
Autre signe de décrispation: la libération de centaines de prisonniers politiques depuis le début de l'«opération séduction». Le vent de la réforme souffle aussi dans le domaine économique. La barrière de l’interdiction des investissements a été levée. Ainsi «les investissements locaux et étrangers ont été multipliés par cinq en 2012-2013», soit près d'un milliard d’euros dans chaque cas, a indiqué Thein Sein.   
 
Ces différentes avancées offrent un visage plus séduisant pour les opinions et les gouvernements occidentaux. Ainsi que pour les hommes d’affaires. Au vu de cette évolution, le directeur de cabinet du président a déclaré en mai 2013 : «Notre printemps birman est plus concret que la vague du printemps arabe». De son côté, Thein Sein a affirmé: «Nous ne retournerons jamais en arrière». Cela réussira-t-il à rassurer les puissances occidentales sur la solidité des étapes franchies vers la démocratie?
 
Les rues de Rangoon, l'ancienne capitale, affichent désormais un air détendu, offrent des images d’une vie qui prend ses aises ; les touristes sont nombreux, les militants de la Ligue pour la démocratie, le parti de Aung San Suu Kyi, vendent de tee-shirts et casquettes à son effigie. Les banques et les hommes d’affaires japonais, singapouriens, américains et thaïlandais cherchent à s’implanter. On peut faire dorénavant du business as usual ! Déja, les prix grimpent en flèche: il faut compter 5.000 dollars US par mois pour un 60 m² à Rangoon. 

Les businessmen qui réussissent sont en priorité ceux qui ont des accointances avec le régime, tel le milliardaire Tay Za, qui se vante d’avoir organisé les rencontres historiques d'Aung San Suu Kyi avec Hillary Clinton, alors secrétaire d'Etat américaine, et avec Alain Juppé, ex-ministre français des Affaires étrangères.

Selon Le Point, les chapelets de réformes des quatre dernières années recèlent toutefois de graves lacunes. Ainsi, les grands projets passent par des expropriations, et dans le monde des affaires règne la loi de la jungle. 


La justice doit gagner ses galons   
Khin Maung Win, secrétaire du Réseau pour l’aide légale en Birmanie, juge le système judiciaire non-professionnel et corrompu. Le politologue thaïlandais Pavin Chachavalpongpun estime, lui, que «la population doit en priorité retrouver la confiance dans les lois» existantes. Face à ces difficultés, il faut commencer par modifier la constitution de 2008 qui octroie d’importants pouvoirs à l’armée, plaide Aung Thein, un avocat de villageois qui se battent contre les investissements chinois dans une mine de cuivre dans le centre du pays.
 
Barack Obama est prêt à «soutenir les Etats qui choisissent les réformes», donc à fortiori la Birmanie. De con côté, l’Union européenne a mis fin le 22 avril aux sanctions (5.000 Birmans non grata en Europe et plus de 800 entreprises). Elle n'a cependant pas levé son embargo sur les armes en raison des exactions dont sont victimes certains groupes ethniques, dont les Rohingas. Le processus de démocratisation a réveillé les haines religieuses et le ressentiment des populations locales. Mais dans ce pays qui compte toutes les grandes croyances et 135 ethnies répertoriées, les violences sont souvent le fait des autorités ou des religieux au niveau local.

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