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Coup d'État en Birmanie : "Un coup d'arrêt brutal" à l'agenda démocratique, pointe un chercheur

La dirigeante birmane Aung San Suu Kyi a été arrêtée après un coup d'Etat mené des militaires lundi. L'armée a, dans la foulée, proclamé l'état d'urgence pour un an.

Article rédigé par franceinfo
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Un soldat monte la garde à l'hôtel de ville de Yangon en Birmanie, le 1er février 2021. (STR / AFP)

"C'est un très mauvais message pour les Birmans", un "coup d'arrêt brutal à l'agenda démocratique", a expliqué lundi 1er février sur franceinfo Olivier Guillard, chercheur au Cerias, le centre d'études et de recherche sur l'Inde, l'Asie du Sud et sa diaspora à l'université du Québec à Montréal, alors qu'un coup d'État mené par l'armée a eu lieu lundi en Birmanie. La cheffe de facto du gouvernement civil Aung San Suu Kyi a été arrêtée. Le ministère français des Affaires étrangères a dénoncé une "inacceptable remise en cause du processus démocratique engagé depuis une dizaine d’années", dans un communiqué.

franceinfo : Ce coup d'Etat n'est pas vraiment une surprise, selon vous ?

Olivier Guillard : C'est une mauvaise nouvelle pour les 56 millions de Birmans, pour les défenseurs de la cause démocratique, pour l'image de ce pays qui ne cesse d'être - selon les coups du sort, selon les décisions diverses et variées de ses dirigeants civils ou militaires qui ont travaillé - écornée ou pire encore. Évidemment, les Birmans savent lire et interpréter des déclarations des responsables, des militaires notamment. Elles n'étaient même pas subliminales ces derniers jours. Elles étaient totalement claires.

Ce lundi matin, la prise de fonction du parlement - l'essence démocratique de ce pays où la démocratie a bien du mal à s'enraciner - était de toute évidence le moment précis choisi par les militaires. D'autant plus que nous sommes dans une cacophonie internationale particulière avec une prise de fonction à la Maison-Blanche d'une nouvelle équipe [celle de Joe Biden à la présidence des États-Unis] qui ne mettra certainement pas ce qui se passe en Birmanie au premier rang des déséquilibres ou des crises internationales à gérer de toute urgence.

Les militaires se sont dit que ça passerait certainement, qu'ils n'avaient de toute façon jamais spécialement tremblé face aux récriminations du concert des nations. Ils se savent aussi protégés par les voisins asiatiques, au premier rang desquels l'allié chinois au nord, qui veut renforcer sa mainmise et son effet sur ce pays du sud assez faible.

Est-ce que ça veut dire que c'est la fin des réformes démocratiques qui ont été engagées depuis dix ans ? Est-ce le retour des prisons pleines de prisonniers politiques ?

Il est certainement un peu trop tôt pour le dire. Ces prisons ont eu du mal à se vider des prisonniers politiques et des défenseurs de la cause des droits de l'Homme, y compris lors du quinquennat écoulé, alors même qu'il y avait Aung San Suu Kyi à la tête informellement ou officieusement de cette administration.Ce qui est certain, c'est que cet agenda démocratique, qui a beaucoup de mal à se dérouler, a commencé en 2008. On a commencé à le mettre en place progressivement en 2011 et une décennie plus tard, on lui met un coup d'arrêt brutal. On l'avait vu venir, mais cela fait toujours plus mal que ce à quoi on s'attendait.

Ce qui est certain, c'est que l'image écornée, difficile de cette Birmanie qu'on avait réinsérée très volontiers dans le concert des nations voilà une petite décennie, va après un coup de retrait, déjà en 2017, avec cette crise lamentable des Rohingyas en Arakan, subir un nouveau coup de canif qui, à défaut lui être fatal, n'adoucira pas les contours de son futur immédiat.

Ce qu'il faut surveiller maintenant, c'est un éventuel changement dans la Constitution, qui avait déjà été modifiée en 2008 pour permettre un peu plus de liberté à un gouvernement d'union civile ?

La Constitution de 2008 a surtout été rédigée par des constitutionnalistes militaires, en tout cas pro-junte, qui sous un vernis démocratique, d'ailleurs assez mal rédigé, ont laissé la part belle aux prérogatives et aux compétences de l'armée. D'où la facilité avec lesquelles les militaires reviennent au pouvoir aujourd'hui en usant d'arguments quasiment constitutionnels. Ils s'appuient sur des dispositions d'articles divers et variés, pratiquement en disant que c'est pour remettre à l'honneur la lettre constitutionnelle que les hommes en uniformes reviennent.

La façon dont la Birmanie va réorienter son entrée dans la deuxième décennie du 21e siècle n'est pas la bonne. Ça va être compliqué et c'est une strate supplémentaire qui s'ajoute à celle de la crise des Rohingyas, de cette démocratie qui a du mal à s'enraciner. Des militaires qui sont aussi à l'aise visiblement en dehors de leurs casernes qu'à l'intérieur vont continuer avoir la mainmise sur la gestion des affaires nationales, de l'économique au légal, de l'exploitation des ressources à la poursuite des conflits dans les zones frontalières. C'est un très mauvais message pour les Birmans.

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