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Fermeture d'une base américaine au Kirghizstan, la fin d'une influence régionale

La base militaire américaine de Manas vient de fermer au Kirghizstan, les autorités considérant comme «indésirables» les soldats US. Le Kirghizstan a également rompu un accord bilatéral phare datant de 1993. Une rupture diplomatique emblématique de la fin de l'influence américaine en Asie Centrale.
Article rédigé par Celia Mascré
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des soldats américains partent pour l'Afghanistan à partir de la base de Manas, au Kirghizstan. (VLADIMIR PIROGOV / REUTERS)

La base aérienne américaine de l'aéroport de Manas, dans le nord de la capitale Bichkek, est définitivement fermée. Elle avait ouvert suite au 11-Septembre 2001 et constituait la principale plaque tournante du transport et de la logistique des marchandises vers l'Afghanistan. Environ 1000 soldats américains y étaient installés, ainsi que 650 contractuels. En 2009, le président Kourmanbek Bakiev avait annoncé qu'il ne renouvellerait pas le contrat avec les Etats-Unis. Plus tard, il avait changé d'avis, triplant au passage le bail de location de l'aéroport, qui était passé de 17 à 60 millions de dollars.

Perte d'un financier précieux ?
Le portail d'information anglophone Eurasianet écrit: «Le Premier Ministre Temir Sariev met en danger des millions de dollars d’assistance que le Kirghizstan reçoit chaque année de Washington.» Pour Philippe Migault, directeur de recherche de l'IRIS (Institut de Relations internationales et stratégiques), cette somme est négligeable. «Les Russes ont donné 1,3 milliards de dollars aux Tadjiks et aux Kirghizes simplement pour la rénovation de leurs forces armées. Autant dire que 49 millions, c'est une goutte d'eau dans l'océan.»

Pour certains, cette rupture intervient suite à l’attribution du prix Défenseur des droits de l’Homme à Azimjan Askarov par le département d’Etat américain. Cet activiste a été condamné dans son pays à la réclusion à perpétuité pour attisement des haines interethniques en 2010. Ce prix du département d’Etat américain a fortement déplu au gouvernement kirghize, qui le voit comme une «tentative de déstabiliser le pays et de raviver les tensions interethniques» (Eurasianet).

Sommet de l'Union eurasiatique à Astana, en mars 2015 (SELCUK UYSAL / ANADOLU AGENCY)

Dans une interview à la chaîne américaine Pentagon Chanel, le commandant de la base aérienne de Manas, John Millard, a noté qu'il n'était pas question de mettre fin à toute activité et a évoqué l'idée de «s'implanter à un autre endroit». Il a annoncé être à la recherche d'un nouvel emplacement pour la base de déploiement en Asie centrale. Le Kazakhstan serait une option, dans la ville portuaire d'Aktau ou à Shymkent, foyer industriel au sud du pays.
 
La perte d'influence des Américains au profit de Moscou
Mais cette perspective paraît peu réaliste. Pour Philippe Migault, il s'agit plutôt d'une perte d'influence généralisée des Etats-Unis en Asie centrale, au profit de la Russie. «Cela se vérifie aussi au Tadjikistan et au Kazakhstan où la Russie augmente sa présence.» Une évolution qui s'explique par une volonté de prise de distance de la part des gouvernements locaux: «Ils ont peur des conséquences du départ de l'OTAN en Afghanistan et considèrent que l'Asie centrale pourrait être déstabilisée par le terrorisme. Le pays qui est le mieux à même de les assister reste la Russie. Par ailleurs, ces Etats sont aussi inquiets de la présence chinoise dans la région. Encore une fois, en se plaçant dans une alliance avec la Russie ils se mettent à l'abri.»
 
Et pour cause, le Kirghizstan a rejoint l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) qui est une alliance militaire dont le leader est la Russie. Concrètement, le pays est en train de moderniser ses forces armées avec l'aide de la Russie qui a des bases sur son territoire. Par exemple, elle dispose de la base aérienne de Kant et d'un centre d'essai d'armement anti-sous-marins où elle entretient en garnison 700 soldats russes. L'OTSC est une organisation à vocation politico-militaire regroupant la Russie, la Biélorussie, l'Arménie, le Kazakhstan, et le Tadjikistan. 

Un timbre russe vantant les mérites de l’Union eurasiatique (Wikipedia Commons)

L'Union eurasiatique, URSS 2.0?
En 2012, Moscou a également annulé 400 millions d'euros de dette du pays, ce qui marque la volonté de la Russie de se rapprocher du Kirghizstan pour mieux l'englober dans l'Union Eurasiatique, que le pays a rejoint le 8 mai 2015. En 2012, lors des prémices de cette Union, la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton s'était ouvertement opposée à sa création, considérée aux Etats-Unis comme une tentative de Moscou de reconstituer l'Union soviétique. Composée aujourd'hui de l'Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan et le Kirghizstan, l'Union risque en tout cas de nettement freiner l'influence des Etats-Unis dans la région.

Les gouvernements centre-asiatiques n'ont par ailleurs pas confiance en les américains depuis leurs exactions en Afghanistan et en Irak. C'est ce que confirme le journal en ligne kazakh Kursiv«On le sait, le retrait complet annoncé des troupes américaines du territoire afghan n'est toujours pas effectif. Dire que la fin de la mission occidentale en Asie centrale est terminée est donc prématuré.»

Une chose est sûre, les Etats-Unis ont déjà adopté une stratégie dans les anciens satellites soviétiques, mais à l'Est cette fois. En juin 2015, le secrétaire général de l'OTAN Jen Stoltenberg a annoncé que l'organisation atlantique entreposerait de l'artillerie lourde en Europe de l'Est et dans les Balkans, avec de quoi armer 5000 soldats. Ce à quoi la Russie a répliqué en adaptant sa doctrine navale. Objectif, renforcer les positions stratégiques de la marine russe en mer Noire ainsi que maintenir une présence dans l'Atlantique et la Méditerranée. Une lutte d'influence qui ne fait commencer en Europe de l'Est, donc.

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