Cet article date de plus de dix ans.

Les «écoles fantômes» du Pakistan

Au Pakistan, 7.000 établissements scolaires n'assurent plus les cours et sont privés de professeurs. L'immense majorité de ces écoles se situe dans la province pauvre du Sindh. Une catastrophe pour la jeune génération qui se voit privée du droit d'étudier.
Article rédigé par Valerie Kowal
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Marche des écoliers pakistanais pour soutenir les professeurs. Islamabad, le 5 octobre 2013. (AFP/Metin Aktas)

Depuis que leur enseignante a fui, c'est Bushra, 10 ans, qui s'improvise maîtresse de classe. Une institutrice improbable dans une région où les petites filles sont déjà condamnées à abandonner leur rêve d'étudier. Dans la petite salle de classe, c'est une joyeuse pagaille. Bushra lance le «bismillah», une formule répétée au début de chaque sourate du Coran : «Au nom de Dieu, le clément est miséricordieux».

«Nous voulons un professeur mais pas comme la dernière», explique Bushra qui rêve de devenir docteur et d'apprendre l'informatique. La dernière institutrice a décidé de ne plus venir car les parents ne payaient pas son transport jusqu'au village. Depuis son départ, l'Etat n'a pas demandé de remplaçant.

Au Pakistan, les attaques contre les écoles publiques ne sont pas rares dans les zones conservatrices du nord-ouest, près de la frontière afghane. Une situation dénoncée par Malala Yousafzaï, symbole mondial du droit à l'éducation après avoir survécu à une attaque des talibans. Rahmatullah Balal, membre de l'ONG Alif Ailaan, s'indigne : «Les médias parlent beaucoup des attaques des talibans contre les écoles car cela est visible, mais le problème des "écoles fantômes" est encore plus criant

En 2012, la Cour suprême du Pakistan a demandé aux provinces un rapport détaillé sur ces milliers d'établissements sans professeurs où les enfants sont comptés comme scolarisés. Le rapport est accablant. Des enseignants payés mais qui restent chez eux, des écoles où aucun instituteur n'est nommé et des établissements annexés par de riches propriétaires terriens. 

Une situation qui arrange aussi certains parents
C'est dans le Sindh, la province du village de Bushra, que la situation est la plus criante. On y recense 6.000 «écoles fantômes». Humeira Alwani, député au parlement provincial, reconnaît et déplore cette triste réalité : «C'est notre faiblesse et nous devons en parler car si nous ne le faisons pas, nous ne pourrons rien changer. C'est notre objectif de remettre en état ces écoles.»

Les «écoles fantômes» n'arrangent pas que les responsables et les corrompus. Elles satisfont aussi les familles pauvres qui préfèrent envoyer leurs enfants travailler dans les champs. A l'exemple d'Arbab, un jeune adolescent qui ne connaît pas son âge : «Je n'aime pas l'école, c'est pour ça que je n'y vais pas.» Plus de cinq millions de petits Pakistanais ne fréquentent pas l'école primaire. Le pire taux de toute l'Asie.

Un absentéisme qui désole Kazoo Samoon, mère de deux fillettes qui se rendent tous les jours à «l'école fantôme» de Chander Redhar. Sans rien apprendre. «Je n'ai pas eu la chance d'aller à l'école, j'espérais au moins que mes filles auraient la chance d'étudier. Mais nos enfants vont grandir sans éduction», explique-elle, résignée.

Dans sa salle de classe, la petite Bushra récite inlassablement, tous les jours, les chiffres de 1 à 10 et entonne l'alphabet suivi de l'hymne national. Une leçon de 10 minutes avant une nouvelle longue journée à attendre un professeur qui ne viendra peut-être jamais.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.