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Maldives: règlements de comptes au sommet de l'Etat sur fond d'islam radical
L'état d'urgence a été décrété dans l'archipel, destination très prisée par les jeunes couples occidentaux pour leur lune de miel. Après avoir envoyé en prison son prédécesseur puis son vice-président, accusé de trahison, le président Abdulla Yameen, élu en 2013, a fait voter une loi dite «antiterroriste» destinée à museler l'opposition. Une mise au pas qui s'ajoute à une impitoyable charia.
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Depuis plusieurs semaines, une forme de paranoïa s'est emparée du président des Maldives et de son entourage, à l'origine de graves troubles politiques dans cet archipel de l'océan Indien. Dernier acte en date: l'inculpation le 7 novembre 2015 d'un ressortissant sri-lankais - le Sri-Lanka est à 650 km à l'est - pour complot contre le président Yameen, àgé de 59 ans. L'homme est accusé d'avoir voulu tuer M. Yameen avec un fusil de précision, sur ordre de plusieurs ressortissants des Maldives, d'après le ministère des Affaires étrangères.
Le 28 septembre déjà, le chef de l'Etat maldivien affirme avoir été l'objet d'une tentative d'assassinat alors qu'il rentrait à Malé, la capitale, d'un pèlerinage à La Mecque. Une explosion s’est en effet produite sur le yacht qui le transportait. Sa femme et deux autres personnes ont été blessées dans l’incident, dont Abdulla Yameen est sorti indemne.
Les Américains sceptiques
Le FBI, appelé à l'aide, a jugé qu’il n’y avait aucune preuve que l’explosion ait été provoquée par une bombe. Les autorités au contraire ont considéré que leur président était visé et, sans attendre, ont procédé à l'arrestation du vice-président Ahmed Adeeb, accusé d'être à l'origine de cette tentative d'assassinat.
Depuis, presque pas un jour sans qu'un projet d'attentat soit annoncé par la présidence. Résultat: un état d'urgence a été décrété pour 30 jours, jusqu'au 4 décembre, octroyant aux forces de sécurité de larges pouvoirs et suspendant notamment le droit d'association. Dans la foulée, une télévision privée a été réduite au silence.
Aussitôt, les pays membres du Commonwealth ont fait savoir, par l'intermédiaire de leur porte-parole, que les Maldives - ancien protectorat britannique, également membre de l'organisation - étaient priées de renoncer à l'état d'urgence et de restaurer les libertés constitutionnelles.
Washington et Londres ont saisi l'occasion pour demander aux autorités de l'archipel peuplé de 350.000 habitants, en majorité des musulmans sunnites, de «libérer tous les prisonniers politiques, et notamment l'ancien président Nasheed».
Les ferments du raidissement politique
Après trois décennies (1978-2008) de régime autocratique imposé par Maumoon Abdul Gayoom - le chef d'Etat asiatique resté le plus longtemps au pouvoir -, et ponctué de nombreuses tentatives de coups d'Etat, les premières élections libres, depuis l'indépendance de 1965, sont organisées en octobre 2008 à travers les 202 îles habitées sur les 1.200 que comptent les Maldives.
— abdulla ali (@abulho1981) 5 Novembre 2015
C'est ainsi que Mohamed Nasheed, plusieurs fois emprisonné par le pouvoir sortant, ancien plongeur sportif et fervent militant en faveur de l'adaptation au réchauffement climatique, s'empare du pouvoir sous les couleurs du Parti démocratique maldivien. Alors que M. Gayoom, qui se représentait, pensait conserver le pouvoir grâce à un vernis de démocratie, il doit s'incliner face aux 54,2% des voix de son adversaire.
Mais la suite n'a pas donné l'occasion au premier président des Maldives élu au suffrage universel d'aller au bout de son mandat de cinq ans. En février 2012, une obscure mutinerie d'officiers de police le force à la démission, ce qu'il dénonce comme un «coup d'Etat».
Démocratie en trompe-l'oeil
En 2013, une nouvelle élection présidentielle est organisée. Mohamed Nasheed, 46 ans à l'époque, populaire dans l'archipel et à l'étranger pour son engagement climatique, se présente, sûr de ses chances. Face à lui, l'actuel président Abdulla Yameen, demi-frère de l'autocrate Maumoon Abdul Gayoom.
Après l'annulation controversée du premier tour qui le plaçait en tête, Nasheed est finalement obligé de s'incliner face à Yameen qui décide de poursuivre son prédecesseur en justice. Arrêté en pleine rue, Mohamed Nasheed est condamné en mars 2015 à 13 ans de réclusion pour «terrorisme» par «une parodie de justice», selon les termes d'Amnesty International.
Le retour d'une charia pure et dure
Les historiens pensent que l'islam est apparu aux Maldives vers le 12e siècle, après qu'un roi bouddhiste s'est converti. Le pays a ensuite longtemps pratiqué un islam modéré, cependant, ces dernières années, des interprétations du Coran beaucoup plus radicales se sont répandues à cause d'un afflux d'argent et de prêcheurs salafistes venus du Moyen-Orient, notamment d'Arabie Saoudite.
Ainsi, quelques mois après son arrivée à la tête de la république des Maldives, où l'islam est religion d'Etat, Abdulla Yameen s'empresse de rétablir la peine de mort, suspendue depuis soixante ans, et abaisse l’âge de la responsabilité criminelle à 10 ans, et même à 7 ans pour la consommation d’alcool, le vol ou la fornication. Les condamnés ne sont exécutés qu'à leur majorité. «Le meurtre doit être puni par le meurtre !», martèle le nouveau président, en violation des conventions internationales des droits de l'Homme et des droits de l'enfant.
La liste est longue des traitements hors d'âge imposés à la population des Maldives, à l'insu des touristes - un million chaque année - soigneusement tenus à l'écart afin de ne pas tarir cette source cruciale de devises: lapidations publiques des femmes adultères (la dernière condamnation date du 18 octobre 2015), coups de fouet pour les mêmes motifs, mariages précoces de plus en plus nombreux, parfois dès l'âge de 9 ans...
Daech fait son marché aux Maldives
Autre contraste saisissant avec la carte postale idyllique, la grandissante influence de Daech dans l'archipel. En quelques mois, une manifestation à découvert dans les rues de Malé avec des slogans comme «La charia va dominer le monde», «Pas de charia, pas de paix» (voir la vidéo) ou bien des graffittis un peu partout appelant à rejoindre les rangs de l'Etat islamique. En effet, de l'avis des observateurs, la petite république islamique serait, en proportion, l'un des plus gros fournisseurs de combattants en Syrie et en Irak, avec plusieurs centaines de djihadistes.
En avril 2015, The Indian Express s'alarmait de la possibilité que les atolls inhabités servent de base arrière pour des attentats dans l'Inde voisine ou que les terroristes s'attaquent aux vacanciers cloîtrés sur leurs îles-hôtels. Des risques sans doute potentiellement plus dangereux pour le pouvoir en place que les rassemblements d'opposants démocratiques.
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