A Pékin, l'air pur est un produit comme un autre
Un an après l'airpocalypse de janvier 2013, francetv info s'est rendu à Pékin. De nombreux entrepreneurs vendent leurs services pour aider les habitants à vivre avec la pollution.
La France enregistre, vendredi 14 mars, un nouveau pic de pollution aux particules fines. Le seuil d'alerte maximal aux particules a été dépassé dans plus d'une trentaine de départements couvrant une large partie du Nord et de l'Est du pays. Le niveau de pollution à Paris a même dépassé celui de Pékin, pourtant habituée à ces épisodes. Comment la capitale chinoise fait-elle face ? Quelles solutions les Pékinois mettent-ils en place ?
Avant, Chris Buckley vendait des tapis tibétains. "C'était très amusant mais pas vraiment profitable", explique dans un sourire cet Anglais installé à Pékin depuis 2000. Heureusement pour ses affaires, le quinquagénaire n'est pas simplement un amoureux de l'artisanat du haut plateau. Il découvre peu après son arrivée dans la capitale chinoise qu'il est asthmatique. "Je me réveillais la nuit en ayant du mal à respirer", raconte-t-il.
Il se lance alors dans la quête d'un purificateur d'air, ces machines de la taille d'un radiateur électrique, teste plusieurs modèles, et finit par trouver son bonheur avec un modèle de la marque suédoise Blueair. Quelques années plus tard, en 2009, il décide de commercialiser ces machines à Pékin. "J'avais de la place dans mon magasin de tapis. J'ai pris 30 mètres carrés pour exposer quelques purificateurs", se souvient-il. Les six premiers mois, je n'en ai pas vendu beaucoup. Et puis le business a commencé à décoller."
"C'est un bon business"
A partir de l'hiver 2011, avec la reprise économique, la qualité de l'air se dégrade à Pékin. Les expatriés, puis les riches Chinois, se ruent sur les machines de Chris Buckley ou de ses concurrents. Le diplômé d'Oxford double ses ventes en 2012 et 2013. Aujourd'hui, sa petite entreprise, rebaptisée Torana Clean Air Center, ne vend plus de tapis tibétains et possède deux magasins dans la capitale chinoise.
Le prix de ses machines oscille entre 436 et 1 454 euros, mais l'homme refuse de donner son chiffre d'affaires. "C'est un bon business", reconnaît-il. Le fabricant suédois, qui se partage le marché avec le Suisse IQ Air ou le Japonais Sharp, ne donne pas non plus ses chiffres. "Je pense que les Etats-Unis et le Japon sont toujours leurs deux premiers marchés, mais la Chine est juste derrière, estime Chris Buckley, avant de préciser : "Au vu de la tendance, le marché chinois sera numéro un dans quelques années."
Et pour cause. Qu'elles soient étrangères ou chinoises, les familles aisées ne sont pas les seules clientes. Pressées par leurs salariés, les multinationales et les ambassades s'équipent également, tout comme les écoles internationales. Torana vient de vendre 150 machines à la compagnie pharmaceutique Novo Nordisk. L'ambassade de France et le lycée français figurent aussi parmi ses principaux clients. Mais Chris Buckley ne s'est pas occupé de la plus grosse commande jamais faite à Pékin : l'ambassade américaine a acheté plus de 2 000 machines (en anglais) pour équiper les logements de son personnel.
Principaux clients, les entreprises et les expatriés
Le marché de l'air ne se limite pas aux machines ou aux masques. PureLiving China, une start-up lancée en 2010, propose bien plus qu'un purificateur d'air. Avant, son patron, Louie Cheng, était ingénieur chimiste dans l'armée américaine. "Mon travail était de gérer les défenses contre les armes chimiques, biologiques ou nucléaires, raconte cet Américain d'origine chinoise. D'une certaine manière, c'est très similaire à ce que nous faisons aujourd'hui : détecter le poison, se protéger et décontaminer."
Son entreprise propose de mesurer la qualité de l'air d'un appartement ou d'un bureau, d'élaborer un plan pour l'améliorer et, enfin, de réaliser les travaux nécessaires. "Nos projets coûtent de 3 000 à 4,5 millions de yuans [de 363 à 545 000 euros]", explique-t-il. Là-encore, les plus gros clients sont les entreprises et les expatriés, même si les Chinois commencent à faire appel à ses services (20% de la clientèle). La petite entreprise de 26 salariés, qui vend également quelques masques, vit au rythme des pics de pollution, qui lui apportent couverture médiatique et clients. "A Shanghai, en décembre, en un week-end, nous avons eu plus de 300 personnes au bureau. On aurait dit un McDonalds", raconte Louie Cheng. Depuis 2010, PureLiving a doublé son chiffre d'affaires tous les six mois.
Des machines low cost à monter soi-même
Pour ceux qui n'ont pas les moyens de se payer les machines de Torana ou les services de PureLiving, il existe une solution. Un étudiant américain, Thomas Talhelm, et sa petite équipe se sont lancés, sous le nom de Smart Air Filters, dans les filtres à air low cost. Lors de son séjour à Pékin en janvier 2013, en plein airpocalypse, Talhelm découvre qu'il suffit de fixer un filtre HEPA (filtre à particules à très haute efficacité) sur un ventilateur pour diminuer considérablement le taux de particules fines dans une pièce. Coût de cette installation faite maison : 200 yuans (24 euros).
Si les performances de leurs machines - validées depuis par le blog My Health Beijing (en anglais) - n'ont pas grand-chose à envier aux modèles de Blueair pour les particules fines, elles sont plus bruyantes et ne filtrent pas les autres polluants comme l'ozone. "C'est suffisant pour un grand nombre de personnes", argumente Gus Tate, l'un des associés de Thomas Talhelm. Aujourd'hui, même si elle ne fait pas encore de profits, Smart Air Filters a sa boutique en ligne sur Taobao, l'Amazon chinois, expédie des kits et organise régulièrement des ateliers (payants) à Shanghai et Pékin.
Chris Buckley, Thomas Talhelm et Louie Cheng n'ont pas vraiment de concurrents chinois. Il existe bien des purificateurs d'air de marque locale, mais ils n'ont pas le succès des fabricants étrangers. "Il y a encore une préférence pour les marques et les technologies internationales, principalement parce que les standards de qualité ne sont pas les mêmes", analyse le patron de PureLiving. Certaines marques n'hésitent pas à en jouer : chaque filtre Blueair affiche un drapeau suédois.
La qualité de l'air sur votre smartphone
Il existe cependant un secteur dominé par une entreprise chinoise : l'information sur la pollution. Parce qu'ils s'ennuyaient un peu chez Baidu, le Google chinois, Wang Jun et Zhang Bin ont lancé en novembre 2011 l'application pour smartphone et tablette 全国空气质量指数 ("l'indice de la qualité de l'air en Chine"). Disponible en mandarin et en anglais, elle compile les données chinoises et américaines pour donner l'indice de la qualité de l'air dans 190 villes du pays. En cas de pic dans la ville de l'utilisateur, elle envoie une alerte. Depuis 2011, l'application a été téléchargée 3,2 millions de fois et reçoit un million de visites les jours de pic de pollution.
"C'était difficile la première année, mais maintenant, on gagne un peu plus que ce qu'on gagnait à Baidu", explique Zhang Bin, attablé dans le café qui leur sert de bureau. L'application, qui a écrasé la concurrence, tire l'essentiel de ses revenus de la publicité, pour des marques de cosmétiques, de voitures et… de purificateurs d'air. Les autorités chinoises laissent les deux développeurs tranquilles, même si un responsable d'une grande ville de province les a déjà appelés pour leur demander de ne pas diffuser les chiffres de l'ambassade américaine. "Je lui ai répondu que certains utilisateurs avaient peut-être envie de comparer", raconte Wang Jun.
Fresh Ideas, leur start-up, ne devrait pas tarder à être rejointe par d'autres entreprises chinoises. Le marché de la qualité de l'air n'en est qu'à ses balbutiements et le potentiel de croissance est énorme. Jeudi 16 janvier, en plein smog, le journal des jeunes de Pékin racontait cette curiosité immobilière : en une seule journée, le promoteur Jinmao a vendu 184 appartements à 35 000 yuans (4 232 euros) le mètre carré. Un prix plutôt élevé pour des logements situés au-delà du cinquième périphérique de Pékin. Mais ils sont équipés d'un système de filtration de l'air.
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