Brésil : coup de canif contre la corruption
Le 16 novembre 2013 marquait la fin d’une saga judiciaire, dite du Mensalao (mensualités), de 8 ans. Il s’agit en l’occurrence d’une affaire d’achats de votes de députés au congrès par le Parti des travailleurs (PT-gauche, au pouvoir), entre 2003 et 2005. Parmi les condamnés (12 sur un total de 25), des cadres du PT, comme José Dirceu, chef de cabinet et bras droit de l'ancien chef de l’Etat, José Genoino, l'ancien président du parti et ex-guérillero (contre la dictature militaire dans les années 60), et Delubio Soares, l’ex-trésorier du parti.
Avec José Dirceu, un ancien guérillero qui s’est battu contre la dictature, «c’est la première fois qu’un ministre d’Etat est jugé et condamné pour corruption. Car, jusque-là et depuis des décennies, tous les dirigeants, acteurs politiques ou économiques, échappaient à la justice sur ce terrain», avait indiqué Courrier International après le jugement, fin 2012.
Les condamnations pourraient s’aggraver pour certains des cadres du PT. Un autre procès pour «association de malfaiteurs» est prévu en 2014, année d'élection présidentielle, où Dilma Rousseff, héritière politique de Lula, brigue sa réélection.
«Prévenir et combattre la corruption» est le rôle d’un président, a lancé le 22 novembre l’actuelle chef de l’Etat. Cette dernière a dû, ces dernières années, faire un grand nettoyage (appelé faxina par la presse) au sein du gouvernement pour éviter une crise politique majeure.
Le scandale du Mensalao avait failli coûter sa réélection à Lula en 2006, même s'il avait personnellement été mis hors de cause par la justice. Il a quitté le pouvoir avec une popularité record de 80%.
Le juge Joachim Barbosa, alors qu’il n’était pas encore à la tête de la Cour suprême, avait déclaré en août 2012 : «Ce procès marquera la rupture d’un modèle de corruption», érigé en système dans cet immense pays d’Amérique du Sud.
Désormais, la corruption est considérée comme un crime et non plus comme un délit. Elle coûte chaque année de 1,4 à 2,3% du PIB au Brésil (24 à 38 milliards de dollars). Selon L’Express, qui cite des chiffres de la Fédération des industries de Sao Paulo, «cela correspond à ce que le gouvernement a investi en quatre ans dans son programme d'accélération de la croissance, en routes, aéroports, ports. Ou encore à la construction de près d'un million de logements ou de 57.600 écoles.»
Le Brésil a connu en 2013 de violentes manifestations. Parmi les revendications des protestataires, la fin de la corruption généralisée et le rejet de la classe politique, selon une enquête menée par la revue Epoca et rapportée par le Nouvel Observateur. Il faut dire que 140 projets de loi contre la corruption attendent d’être examinés au Sénat.
Au Brésil, «on a des milliers de détenus pour des petites quantités de marijuana et très peu de détenus pour de grosses affaires. Pour être incarcéré au Brésil, il faut être très pauvre et très mal défendu. Le système est sélectif, presque de castes», a déploré mi-novembre l'un des magistrats de la Cour suprême, Luis Roberto Barroso.
Le Brésil, champion du monde de la corruption
Les petites combines (jeitinho, en portugais) ont beau être un sport national, pratiqué notamment par les plus défavorisés pour survivre, elles affectent tous les niveaux de la société, à commencer par le secteur public.
Une enquête de l’ONG Transparency International révélée en juillet 2013 montre que 47% des Brésiliens estiment que la corruption a augmenté au Brésil (73e pays le plus corrompu sur 182 Etats, en 2012), notamment dans la classe politique et dans la police. Et 70% des sondés jugent très grave ce phénomène dans le secteur public. Conséquences directes : la population ressent un sentiment généralisé d’impunité pour ceux qui sont impliqués dans les combines.
Mais avec le démantèlement du réseau Mensalao et les condamnations qui en résultent, le président de la cour suprême, Joaquin Barbosa, lance le signal d’un changement de cap en la matière.
Il sera aidé en cela par la société civile, qui monte de plus en plus au créneau pour dénoncer ce fléau, comme le montre le manifeste de l’Association brésilienne contre la corruption et l’impunité.
«Dans notre pays, la corruption tend à être considérée comme allant de soi, comme si elle était chronique et incurable, comme si nous étions contraints de nous en accommoder, bien que la majorité du peuple brésilien ne l'accepte pas et se révolte même contre ce qu'il voit et entend», peut-on lire dans le texte. «Dans une culture soutenant de tels agissements, il faut éliminer la corruption de la pratique administrative, politique, dans l'entreprise et dans la vie quotidienne de notre pays, depuis la pratique individuelle de citoyens isolés jusqu'aux opérations organisées des sociétés et collectivités publiques à quelque niveau que ce soit», poursuit le document.
Un vœu pieux à l’heure où des soupçons de corruption entachent aussi les JO et le Mondial 2014, comme l’interview de l’ancien joueur brésilien, Romario, le laisse penser dans Le Figaro. «Ca ne sera pas la Coupe du monde du peuple brésilien, parce que le peuple n'aura pas les moyens d'acheter les billets. C'est aussi le peuple qui va payer l'addition après la Coupe du monde (…). A Manaus, Cuiaba et Natal, qui n'ont plus le temps de faire des appels d'offres, ils vont entrer en période d'urgence (…). C'est fait exprès afin de voler plus d'argent!»
Le chemin de la transparence sera donc long à parcourir. Long, mais pas impossible.
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