"C'est un projet fasciste" : ce que contient le programme de Jair Bolsonaro, le nouveau président du Brésil
Vainqueur de l'élection présidentielle brésilienne fin octobre, le candidat d'extrême droite devient officiellement le nouveau chef de l'Etat, mardi 1er janvier. Avant son élection, il promettait notamment de libéraliser l'accès aux armes à feu, de faciliter les projets industriels en Amazonie et de "nettoyer le pays des marginaux rouges".
Flou, imprécis et vague... Ce sont les mots utilisés par la presse brésilienne (et internationale) pour qualifier le programme de Jair Bolsonaro, élu président du Brésil fin octobre avec environ 56% des voix, et officiellement investi chef d'Etat mardi 1er janvier. Hyperconservateur, qualifié de "Trump tropical", cet ancien capitaine de l'armée, ouvertement nostalgique de la dictature militaire (1964-1985) – une époque qu'il qualifie de "démocratique" –, s'est fait connaître pour ses multiples dérapages sexistes, racistes et homophobes.
>> Qui est Jair Bolsonaro, le nouveau président du Brésil ?
Son slogan ? "Le Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tous". Une référence "assumée" au Deutschland über alles ("l'Allemagne au-dessus de tout"), l'hymne nazi, selon Maud Chirio, historienne spécialiste de l'histoire contemporaine du Brésil et maître de conférences à l'université de Paris-Est Marne-la-Vallée. S'il fait 81 pages, le programme (PDF, en portugais) du candidat d'extrême droite "reste peu détaillé" : "C'est un choix assumé, Jair Bolsonaro et son équipe expliquent qu'ils ne voulaient pas être attaqués sur les détails par leurs adversaires donc ils n'ont pas souhaité le dévoiler en intégralité", explique l'historienne, interrogée par franceinfo avant le second tour.
Conséquence : les électeurs votaient "sur des idées générales et sur une personne plutôt que sur un programme précis", poursuit Maud Chirio. Toutefois, Jair Bolsonaro a promis, via des prises de parole publiques, de s'attaquer aux multiples maux qui bouleversent le Brésil : chômage, crise économique, insécurité... Voici ce que l'on sait du programme du nouveau président.
Sur la sécurité
Jair Bolsonaro se présente en champion de l'ordre et de la sécurité. En 2017, un record a été atteint, avec 63 880 homicides, soit sept par heure en moyenne, selon une ONG (en portugais), faisant du Brésil l'un des pays les plus violents au monde. Face à cette situation, le candidat d'extrême droite "souhaite libéraliser l'accès aux armes à feu pour la protection et la légitime défense des personnes et de leur propriété", note Maud Chirio. La mesure serait "désastreuse", estime Le Monde (article payant), qui cite une étude de l'Institut de recherche économique appliquée publiée en 2015 : la loi de 2003 qui a mis fin au libre port d'armes "aurait sauvé 121 000 vies sur dix ans, en freinant l'ascension démesurée des homicides."
Autre mesure phare de Bolsonaro en matière de sécurité, une "carte blanche" (selon ses propres mots) laissée aux policiers et militaires pour abattre des criminels présumés. Interrogé sur les violences policières dans les favelas, le candidat était très clair avant le premier tour :
Si un policier tue dix, quinze, vingt personnes, il doit être décoré, pas poursuivi.
Jair Bolsonaro
En clair, "l'armée ou la police pourrait tirer à vue sans que cela n'entraîne d'enquête, une situation inédite pour une démocratie", analyse Maud Chirio.
De manière globale, Jair Bolsonaro promet "un recours massif à la police militaire pour gérer les problèmes de criminalité urbaine", poursuit l'historienne du Brésil. Le candidat souhaite aussi abaisser la majorité pénale de 18 à 16 ans et mettre fin aux aménagements de peine. Il promet de s'attaquer à la corruption des élites "sans toutefois expliquer comment et en laissant planer la menace d'une reprise en main du pouvoir judiciaire", décrypte Maud Chirio.
Sur l'économie
Même si son programme reste peu disert sur le sujet, sa ligne économique est clairement néolibérale – même si Jair Bolsonaro a défendu auparavant en tant que parlementaire le modèle étatiste. Désormais, le candidat d'extrême droite s'engage à lancer un vaste programme de privatisations des entreprises publiques et de ventes des propriétés foncières de l'Etat afin de rembourser la dette brésilienne et réduire le déficit. Il espère ainsi faire rentrer 1 000 milliards de réis, c'est-à-dire 232 milliards d'euros, dans les caisses de l'Etat. "Un chiffre farfelu, selon les experts, et de toute façon incapable de venir à bout de la créance publique", qui représente plus de 80% du PIB, souligne Le Monde.
Même si tout est vendu, cela ne sera pas suffisant. Mais ça signifie une liquidation intégrale de l'ensemble de la participation de l'Etat à l'économie et la limitation de l'Etat à des fonctions régaliennes : armée, police, justice.
Maud Chirioà franceinfo
Un "traitement de choc", d'après Les Echos, qui font état d'un bon accueil de la part des milieux économiques. Ainsi, le chef économiste pour les marchés émergents d'un cabinet de consultants à Londres explique : "Son programme caresse le marché dans le sens du poil. Il comprend une réforme des retraites, l'indépendance totale de la Banque centrale, des privatisations, et une réduction de la taille de l'Etat."
Bolsonaro jure également de s'attaquer au chômage, qui touche près de 13 millions de Brésiliens. "Dans ses discours, il estime que les droits des travailleurs empêchent leur employabilité, il s'engage donc à les supprimer", résume Maud Chirio. En février, le candidat a ainsi déclaré :
Ce que me disent les entrepreneurs, et je suis d'accord avec eux, c'est que le travailleur va devoir choisir : moins de droits et plus d'emplois ou plus de droits et du chômage.
Jair Bolsonaro
Dans la même veine, Paulo Guedes, un économiste libéral qui conseille le candidat d'extrême droite, a résumé dans ces termes les deux options qui s'offrent au Brésil : "Porte de gauche : syndicats, législation du travail qui protège et charges ; porte de droite : comptes individuels qui ne mélangent pas assistance avec sécurité sociale."
Sur l'éducation
Fervent catholique, conservateur, soutenu par les chrétiens évangéliques, Jair Bolsonaro s'est fait le héraut de la famille traditionnelle, n'hésitant pas à s'appuyer sur des "fake news". Il a par exemple dénoncé un soi-disant "endoctrinement des enfants à l'homosexualité orchestré par le Parti des travailleurs", rapporte l'historienne Maud Chirio. A la télévision brésilienne, en août, le candidat d'extrême droite a brandi la version portugaise du Guide du zizi sexuel et assuré que le livre illustré par Zep, qui vise à expliquer la sexualité aux enfants, faisait partie d'un "kit gay" diffusé dans les écoles brésiliennes pour promouvoir l'homosexualité et constituerait "une porte ouverte vers la pédophilie". "Un manuel qui, en réalité, n'a jamais été distribué aux écoles", souligne Le Monde (article payant).
Afin de faire des économies, Jair Bolsonaro souhaite aussi réduire "le volume de l'éducation publique en développant l'enseignement à distance à tous les niveaux de la scolarité", explique Maud Chirio. Une mesure qui inquiète particulièrement l'universitaire : "Cela signifie notamment un renoncement à l'alphabétisation et aux enseignements fondamentaux dans les zones où les institutions scolaires sont trop chères à entretenir, les zones rurales éloignées." Concernant les programmes scolaires, le candidat souhaite "plus de mathématiques, de sciences et de portugais".
Sur l'environnement
Là encore, le programme du candidat Bolsonaro est peu précis en matière d'environnement mais ses déclarations publiques inquiètent particulièrement les défenseurs de la cause écologiste. L'un des membres de son équipe a par exemple fait part de son souhait de fusionner les ministères de l'Agriculture et de l'Environnement. L'objectif ? "Favoriser l'agrobusiness", note Maud Chirio.
D'après RFI, "Jair Bolsonaro ne cache pas son intention d'autoriser des projets industriels, hydrauliques et miniers dans les zones protégées". En Amazonie, par exemple. Entre la défense de la nature et les intérêts des grands propriétaires terriens, le candidat d'extrême droite a donc choisi son camp sans équivoque.
Que ce soit bien clair : le futur ministre sera issu du secteur productif. Nous n'aurons plus de bagarres à ce niveau-là.
Jair Bolsonaro
Le credo de Jair Bolsonaro : en finir avec l'"activisme écologiste chiite". Dans son vocabulaire, "chiite", vidé de son sens religieux, est synonyme de radicalisme. En août, en visite dans l'Etat amazonien de Roraima, l'ex-capitaine de l'armée s'est ainsi insurgé contre les "contrôles chiites" des agences publiques environnementales, qui "nuisent à ceux qui veulent produire".
Le 19 octobre, une vingtaine d'ONG, dont Greenpeace et WWF, ont estimé que les propositions du candidat d'extrême droite représentent une grave menace pour l'environnement et pourraient conduire à faire "exploser" la déforestation. Un constat partagé par l'historienne Maud Chirio : "Si l'agrobusiness est libre de déforester à la hauteur des exigences économiques, cela représenterait une catastrophe environnementale considérable."
La forêt amazonienne peut être détruite rapidement car elle a besoin d'une certaine densité pour générer sa propre humidité et continuer à exister. De même, ne plus protéger les réserves indiennes pour exploiter les terres menacerait gravement la biodiversité.
Maud Chirioà franceinfo
Sur les libertés publiques
A mesure que le second tour approche, Jair Bolsonaro , anticommuniste convaincu, se fait menaçant. Dans une vidéo diffusée le 21 octobre, il a promis "d'accélérer le grand nettoyage du pays des marginaux rouges, des hors-la-loi gauchistes", laissant à ses opposants le choix entre l'exil ou la prison.
Si cette bande veut rester ici, ils vont devoir se soumettre à la loi comme tout le monde. Ou ils s'en vont, ou ils vont en prison. Ces marginaux rouges seront interdits [de séjour] dans notre patrie.
Jair Bolsonaro
Le candidat d'extrême droite déclare à l'envi qu'il va "nettoyer le pays des rouges, les communistes, qu'il désigne aussi comme l'antéchrist, et des minorités", estime l'historienne Maud Chirio.
Selon ses propres mots, Bolsonaro promet une "purge comme jamais le Brésil n'en a connue". A Fernando Haddad, le candidat de la gauche qui l'affronte au second tour, il prédit : "Vous allez pourrir ensemble en prison", avec Lula, ancien président déjà emprisonné. Autres ennemis désignés, qualifiés de "terroristes" : les membres du Mouvement des sans-terre, une organisation qui défend les paysans brésiliens non propriétaires, rapporte le Guardian (en anglais).
Par ailleurs, le candidat d'extrême droite, soutenu par les élites du pays, déclare : "Nous sommes la majorité. Nous sommes le véritable Brésil." Des propos qui annoncent une "loi de la majorité", selon l'historienne : "Il s'agit en fait d'imposer la norme de la majorité aux Indiens, aux homosexuels, aux Noirs, aux militants de gauche, aux minorités et aux oppositions."
Derrière cette loi de la majorité, il y a l'idée d'une communauté 'pure", c'est-à-dire blanche, chrétienne, hétérosexuelle et propriétaire. Les autres ne pourront pas réclamer de droits ou de protection.
Maud Chirioà franceinfo
L'historienne pointe le risque d'un basculement vers un "régime qui ne sera pas démocratique, un régime répressif, sans contre-pouvoir". "C'est un projet fasciste, il n'y a pas d'autre mot", dit-elle. Reporters sans frontières met ainsi en garde contre la "menace pour la démocratie" que représente Jair Bolsonaro. Et Le Monde, dans un éditorial, résume l'enjeu du second tour : "Il s'agit ici, purement et simplement, de la survie d'un régime démocratique dans un continent où sa fragilité est historique."
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