Le paradoxe linguistique du Québec
Courriel, téléphone intelligent, tomber en amour… Autant d’expressions inventées par nos cousins québécois pour franciser des vocables et ne pas céder à la facilité de l’anglais. Il s'y est même tenu le premier forum mondial de la langue française ouvert à la société civile. Dans cette province francophone de l’Amérique du Nord, le français, idiome officiel depuis 1977, est presqu’une religion. En théorie.
Quand le français en tant que langue officielle n'était qu'un projet... INA 22/05/1974
Malgré la vigilance des Québécois, l’emploi du français ne cesse de reculer. Le facteur démographique explique, en partie, cette érosion de la francophonie. Depuis 1991, la population anglaise semble mieux se régénérer. D’ici 2026, le poids de la langue de Molière devrait reculer lentement au profit des langues tierces parlées par les immigrants. Mais c’est surtout la réalité implacable du monde du travail qui encourage les Québécois, surtout ceux d’adoption, à se détourner du français : pas d’anglais, pas de job.
Des mesures controversées
Conscient que la connaissance de l'anglais est une vraie nécéssité, le gouvernement a décidé en 2008 de lancer des programmes pour l'apprendre aux nouveaux venus et ainsi faciliter leur insertion. Le Québec accueille 50 000 migrants par an, dont 10,7% sont des non francophones issus d'une trentaine de pays différents.
L’initiative du gouvernement québécois, notamment son coût, sont fortement décriés. D’après Radio Canada le coût de ce programme est d'environ 2,1 millions de dollars. 1095 immigrants, nouveaux arrivants (depuis moins de cinq ans au Québec) et réfugiés ont eu droit à la formation. Cette question est presque taboue pour les autorités. Pour se dédouaner, elles mettent en avant les programmes de français destinés aux migrants ainsi que les aides financières accordées pour réussir l’apprentissage de la langue officielle.
« L’anglais est exigé partout »
Le Parti québécois (PQ), de mouvance social-démocrate, préconise la souveraineté du Québec et la protection de la langue française. Il fustige le programme linguistique du gouvernement libéral : « le Québec accueille 50 000 immigrants par année, mais il est incapable de déployer les ressources nécessaires pour les franciser. Or, le gouvernement dépense des millions pour les angliciser. Le problème n’est pas que les immigrants ne parlent pas un assez bon anglais, mais bien que l’anglais soit exigé partout, y compris là où la loi demande que le français soit la langue d’usage », avait déclaré en 2011 Yves-François Blanchet député et porte-parole du PQ en matière d’immigration.
Les immigrants, même très qualifiés, ne peuvent pas se passer de l’anglais indispensable pour accéder à des métiers dans les télécommunications, l’informatique, les services financiers et tant d’autres. Les francophones unilingues sont confrontés aux mêmes difficultés dans une moindre mesure. Sur le site de Québec emploi, le Pôle emploi de la province, il n’est pas rare de croiser des offres de travail où le bilinguisme est exigé. Rien d'étonnant dans le monde du travail actuel, mais l'exigence de la langue de Shakespeare est contraire aux principes de la province.
Discrimination linguistique
« Il y a pire dans notre ville que quelques cadres supérieurs qui ne parlent pas français : on y pratique la discrimination linguistique en masse. [..] Cette exigence de bilinguisme n'a rien à voir avec l'anglais langue internationale des affaires. Il ne faut d'ailleurs pas confondre langue internationale d'affaires et langue de travail. Il ne faut pas oublier que le rejet d'une candidature unilingue francophone est un acte de discrimination selon la Charte des droits et libertés et la Charte de la langue française », témoigne un cadre chargé du recrutement dans une grande entreprise.
Visite guidée du Mouvement Québec français pour dénoncer l'anglicisation de Montréal le 16 mai 2012.
A Montréal l’anglicisation semble plus accentuée. La proportion des francophones s'établit à 53,2 %, celle des anglophones à 17,7 %, et celle des allophones (les locuteurs de langues tierces) passe de 16,8 % (1991) à 29,1 % (2001). D’après une étude de l’Université de Laval, le Québec subit une certaine «montréalisation». Montréal étant la seule grande ville du de la province, elle dicte la norme dans de nombreux domaines comme les médias et le monde des affaires.
Le gouvernement s’anglicise
A l’anglicisation des immigrants s’ajoute celle du gouvernement qui promeut le bilinguisme. Ce qui est en complète contradiction avec la charte de la langue française, la fameuse loi 101 : « L'Assemblée nationale reconnaît la volonté des Québécois d'assurer la qualité et le rayonnement de la langue française. Elle est donc résolue à faire du français la langue de l'État et de la Loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l'enseignement, des communications, du commerce et des affaires», peut-on lire en préambule.
Le gouvernement du libéral Jean Charest a accordé des financements trois fois plus importants aux universités anglophones qu’aux universités francophones au nom de la compétitivité. La Caisse de dépôt et de placement (institution d’Etat) avait embauché un président et un vice-président unilingue anglophone.
Les défenseurs de la langue de Molière dénoncent également le laxisme du gouvernement face à ceux qui ne respectent pas la Charte, notamment, les commerçants qui n’hésitent pas à mettre des affiches en anglais. Dans les années à venir, le combat pourrait devenir plus difficile. Avec un taux de natalité en déclin, et un taux d’immigration qui reste constant, le français risque de continuer à perdre du terrain dans la Belle Province.
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