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La Centrafrique va-t-elle être coupée en deux ?

Victimes de violences interreligieuses et de représailles, après le départ du pouvoir de l'ex-rébellion séléka, les civils musulmans sont obligés de fuir le sud de la Centrafrique. L'ONU redoute une partition du pays.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Des soldats tchadiens escortent des musulmans fuyant Bangui, la capitale de la Centrafrique, le 7 février 2014. (ISSOUF SANOGO / AFP)

En Centrafrique, les rebelles sont venus du nord. Des régions abandonnées par le pouvoir central, à des centaines de kilomètres de pistes difficiles de la capitale (Bangui) et écumées par des bandits. Après avoir déferlé sur la capitale en mars 2013 et pillé le pays, les ex-rebelles de la Séléka, majoritairement musulmans, ont été contraints au cantonnement ou au départ.

Petit à petit, ils se replient vers le nord-est. Mais, cette fois, pour le voyage retour, ils entraînent dans leur sillage des civils musulmans persécutés par ceux-là même qui étaient martyrisés hier. Et la menace d'une partition plane sur le pays.

D'immenses convois de civils musulmans

"Impossible de capturer la taille de ce convoi de musulmans fuyant Bangui cet après-midi en une seule photo. Il a fallu 30 minutes pour qu'il nous dépasse".

En un tweet accompagné d'une photo, Peter Bouckaert, responsable de l'ONG Human Rights Watch présent en Centrafrique résume, le 7 février, l'ampleur des mouvements de population en République centrafricaine.

Où fuient les musulmans ? Vers le nord, au Tchad et au Cameroun. Des pays où ils n'ont jamais mis les pieds, pour certains, mais où ils ne seront pas traqués, menacés par les exécutions sommaires, les lynchages et les pillages.

Pour ces musulmans, qui vivaient paisiblement depuis des générations, la situation est devenue trop dangereuse. Depuis le départ de l'ex-Séléka, ils sont persécutés par une partie de la population et plus particulièrement par les anti-balaka (anti-machettes, en sango, une des deux langues nationales). Ces milices d'auto-défense chrétiennes – qui maintiennent des contacts avec le président renversé par la Séléka François Bozizé – se sont étoffées d'anciens soldats vaincus des Forces centrafricaines (Faca). Elles sont entrées en lutte contre la Séléka, qui a pillé et incendié des villages entiers. Mais, par extension, ces milices hétéroclites conduisent des représailles contre les civils musulmans, assimilés aux anciens rebelles pour leur religion.

Patrice Edouard Ngaissona, ancien ministre de la Jeunesse et des Sports du régime de François Bozizé, et aujourd'hui coordinateur politique des milices anti-balakas, le 2 février 2014, à Bangui. (ISSOUF SANOGO / AFP)

Aujourd'hui, 1,3 million des 4,5 millions de Centrafricains sont des déplacés. C'est plus du quart de la population. La fuite des commerçants musulmans et des éleveurs peuls islamisés crée une situation de pénurie, signale RFI. Sans compter que la guerre a parfois obligé les paysans à se réfugier en brousse, abandonnant leurs plantations. Une grave crise alimentaire menace.

Nettoyage ethnique ?

A quoi s'apparentent ces mouvements de population ? Un "nettoyage ethnique", répond Amnesty International dans un rapport. En clair, certains chercheraient à transformer le peuplement de la Centrafrique en tuant ou provoquant le départ des musulmans. L'ONG dit avoir recueilli "plus d'une centaine de témoignages" durant les dernières semaines pour documenter des attaques "de grande ampleur menées par les milices anti-balaka contre des civils musulmans", dans l'ouest du pays. Selon Amnesty International, "les milices anti-balaka mènent des attaques violentes dans le but de procéder au nettoyage ethnique des musulmans en République centrafricaine". L'une de ces attaques, à Bossemptélé, a fait 100 morts.


L'ONG affirme encore que "les troupes internationales de maintien de la paix se montrent réticentes à faire face aux milices anti-balaka et ne sont pas assez réactives pour protéger la minorité musulmane menacée". Quant aux convois de fuyards, ils "sont fréquemment pris pour cibles par les milices anti-balaka". Ces milices auraient profité du départ forcé des ex-Séléka pour "prendre le contrôle du pays, ville après ville".

Un "haut responsable d'ONG", contacté par Le Figaro, refuse, lui, de parler de "nettoyage ethnique", car "cela a des implications juridiques précises". Peter Bouckaert, qui n'a pas hésité à critiquer l'immobilisme des troupes françaises et qui documente aussi le fonctionnement et les exactions des anti-balakas, remarque sur Twitter "que les anti-balaka mènent un nettoyage ethnique ou une punition collective contre les musulmans, le résultat est le même : la disparition de communautés musulmanes depuis longtemps installées"

 

Un risque de partition

Conséquence de ces déplacements massifs, le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon redoute une "partition" du pays entre un Nord comptant plus de musulmans que dans le Sud. "La brutalité sectaire est en train de changer la démographie du pays, la partition de facto de la RCA est un risque avéré", s'inquiète-t-il. "Nous devons faire davantage pour prévenir de nouvelles atrocités, protéger les civils, rétablir l'ordre, fournir l'aide humanitaire et maintenir l'unité du pays." Le  ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, en déplacement en Centrafrique, ajoute que "personne n'acceptera quelque partition que ce soit. Il faut absolument l'empêcher".


La menace n'est pas nouvelle. Le 22 décembre, rappelle TV5 Monde, un chef de faction de l'ex-Séléka menace de faire sécession. Pourtant, si "une dimension Nord-Sud existe, avec un Nord que l'on pourrait qualifier de musulman, et un Sud de chrétien, la réalité centrafricaine est bien plus complexe que ce clivage simplifié à l'extrême, explique alors le chercheur Philippe Hugon. Dans la tradition de la Centrafrique, il n'y a jamais eu de grands problèmes religieux ni d'attaques significatives pour des raisons religieuses." En outre, les musulmans sont très minoritaires dans le pays – de l'ordre de 15% – et les populations sont mélangées.

Mais, relève le député UMP Axel Poniatowski, vice-président de la commission des Affaires étrangères à l'Assemblée nationale, le 10 janvier, sur RFI"ce qui est inquiétant, (...) c'est que ça tourne de plus en plus à la guerre religieuse. On n'est pas dans une situation où des soldats se battent contre des soldats. On est dans des situations où vous avez un clan musulman qui massacre des populations civiles chrétiennes, et vous avez un clan chrétien qui massacre des populations civiles musulmanes".

Il relève "un niveau de haine colossale". Ces communautés peuvent-elles encore vivre ensemble ? "J'espère que la réponse sera positive et qu'on parviendra à trouver des solutions qui ne peuvent être trouvées, une fois encore, qu'après intervention de l'ONU. Mais ce n'est pas sûr, on voit de plus en plus en Afrique ce dérapage des haines religieuses qui se développent. C'est pour cela que j'ai posé cette question car il est indispensable que le massacre des populations civiles s'arrête et cette solution du partage est une solution parmi d'autres".

Ce serait pourtant accepter de contourner le principe d'intangibilité des frontières en Afrique, défendu par l'Union africaine (UA), explique Slate Afrique. Sur ce continent aux armées faibles et riche en matières premières, les séparatismes sont un problème pour la stabilité. Cette solution extrême a été évitée depuis les indépendances, à l'exception notable du Soudan, après une guerre civile et plus 2 millions de morts.

Des menaces fin janvier déjà

Ces menaces de partition sont réapparues à Sibut, ville-clé au nord de Bangui. D'anciens rebelles sillonnant le pays s'y regroupent fin janvier avant d'en être chassés par les troupes internationales. La présidente Samba Panza, soutenue par la communauté internationale, dénonce alors "l'irruption de groupes armés appartenant à l'ex-Séléka à Sibut avec des velléités de sécession". Selon des témoins cités par RFI, des ex-rebelles avaient "planté un drapeau rouge en périphérie de la ville pour marquer leur volonté de partager le pays en deux".

Mis en déroute, un des chefs de la colonne réclame un poste de Premier ministre ainsi que les portefeuilles de la Défense et de la Sécurité pour l'ex-Séléka, sans compter l'intégration des anciens rebelles dans les forces de sécurité, rapporte RFI. Faute de quoi, il promet de revenir à Sibut et, pire, la partition du pays.

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